PARIS PALAIS-ROYAL, 13 et 17, GALERIE D'ORLÉANS. 1861 On a singulièrement médit des citations, aussi bien de celles qui interviennent dans la conversation que de celles qui courent dans les livres ; on a dit des unes et des autres : C'est de l'esprit prêté sur mauvais gages; c'est le mont-de-piété des esprits pauvres qui n'ont jamais la réplique en poche et qui ne peuvent parler argent comptant; enfin, c'est l'esprit des gens qui n'en ont pas. On a même créé un mot pour bien flageller l'innocent ridicule que leur abus peut amener: L'homme qui, toujours fouillant dans sa mémoire, cite toujours, cite quand même, cite à jet continu, cet homme s'appelle un poncis. En effet, dit-on, le travail de son intelligence ressemble sinL'ESPRIT DES AUTRES. 1 a gulièrement à celui du dessinateur qui crible de piqûres le dessin qu'il veut contre-tirer et sur lequel il passe ensuite la ponce ; le citateur, par un procédé pareil, contre-tire et décalque l'esprit des autres à travers les trous du sien. Ce n'est pas tout: armant les citations contre elles-mêmes, sans se douter qu'on tombait ainsi dans le ridicule incriminé, on s'est mis à invoquer contre elles toutes sortes d'anecdotes, toutes sortes de passages des anciens auteurs, toutes sortes de phrases qui en sont la malicieuse critique. On a surtout rappelé cette saillie charmante de Bayle, disant -avec cet esprit net et froid, qui lui est ordinaire-à propos d'un ouvrage tout bourré des emprunts faits à l'esprit des autres : « Ce livre est chargé d'un si grand nombre de citations, qu'elles offusquentet empêchent de voir l'ouvrage de l'auteur. » Phrase on ne peut plus spirituelle encore une fois, et qui fait qu'on se souvient malgré soi du paysan de la chanson poitevine, s'écriant, perdu dans Paris : La hauteur des maisons On cite encore-car, je le répète, le ridicule |