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ENCYCLOPÉDIE

METHODIQUE.

GRAMMAIRE

E T

LITTÉRATURE,

DÉDIÉE ET PRÉSENTÉE

A MONSIEUR LE CAMUS DE NÉVILLE,
MAÎTRE DES REQUÊTES, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA LIBRAIRIE.

TOME SECOND.

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A PARIS,

Chez PANCKOUCKE, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins

A LIEGE ,

Chez PLOMTEUX, Imprimeur des États.

M. D C C. L X X X I V.

AVEC AP PROBATION, ET PRIVILÈGE DU

ROI.

Terme de Grammaire

ESPRIT, f. m. grèque. Le mot Efprit, fpiritus, fignifie dans le fens propre un vent fubtil, le vent de la refpiration, un fouffle. En terme de Grammaire grèque, on appelle Efprit, un figne particulier deftiné a marquer l'afpiration comme dans l'ar.icle, le, , la. On prononce ho, hé, comme dans hotte héros; ce petit qu'on écrit fur la lettre, eft appelé Esprit rude.

e

L'Efprit des grecs répond parfaitement à notre H; car, comme nous avons une h afpirée que l'on fait fentir dans la prononciation, comme dans haîne, héros, & que de plus nous avons une h qu'on écrit, mais qu'on appelle muette, parce qu'on ne la prononce point, comme dans l'homme l'heure de même en grec il y a Efprit rude qu'on prononce toujours, & il y a Esprit doux qu'on ne prononce jamais. Nous avons dit que l'Esprit rude eft marqué comme un petit qu'on écrit fur la lettre; ajoutons que l'Esprit doux eft marqué par une petite virgule: ainfi, l'Esprit rude eft tourné de gauche à droite, & le doux de droite à gauche'. Que nos h foient afpirées ou qu'elles ne le foient pas, il n'y a aucun figne qui les diftingue; on écrit également par h le héros & l'héroïne, mais les grecs diftinguoient l'Esprit rude de l'Esprit doux: je trouve que les italiens font encore plus exacts, car ils ne prennent pas la peine d'écrire l'h qui ne marque aucune afpiration; homme, uomo; les hommes, uomini; philofophe, filofofo; rhétorique, rettorica: on prononce les deux .

L'Esprit rude étoit marqué autrefois par h, êta, qui eft le figne de la plus forte afpiration des hébreux, comme l'h en latin & en françois eft la marque de l'afpiration. Ainfi, ils écrivirent d'abord HEKATON, dit la Méthode de Port-Royal, & dans la fuite ils ont écrit exatov en marquant l'Esprit fur l'e.

les

La même Méthode obferve, page 23, que deux Efprits font des reftes de h qui a été fendue en deux horizontalement, en forte qu'une partie c a fervi pour marquer l'Esprit rude, & l'autre être le figne de l'efprit doux.

pour

Le méchanifme des organes de la parole a fouvent changé l'Esprit rude, & même quelquefois le doux ens ou en . Ainfi de vip, deffus, on a fait fuper; de a, deffous, on a fait fub; de os, vinum; de is, vis; de ans, fal; de irá, feptem; de, fex; de nous, femis; de "faw, ferpo. (M. DU MARSAIS).

(N.) ESPRIT. Ce mot n'eft-il pas une grande preuve de l'imperfection des langages, & du hafard qui a dirigé prefque toutes nos conceptions?

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Il a plu aux grecs, ainfi qu'à d'autres nations d'appeler vent, fouffle, pneuma, ce qu'ils entendoient vaguement par refpiration, vie, Ainfi, ame & vent étoient en un fens la même chofe dans l'antiquité; & fi nous difions que l'homme GRAMM. ET LITTÉRAT. Tome II,

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eft une machine pneumatique, nous ne ferions que traduire les grecs. Les latins les imitèrent, & le fervirent du mot fpiritus, Efprit, fouffle. Anima, Spiritus, furent la même chofe.

Le rouhak des phéniciens, &, à ce qu'on prétend, des chaldéens, fignifioit de même fouffie &

vent.

Quand on traduifit la Bible en latin, on employa toujours indifféremment le mot fouffle, Ejprit, vent, ame. Spiritus DEI ferebatur fuper aquas, le vent de DIEU, P'Efprit de DIEU étoit porté fur les eaux.

Spiritus vitæ, le fouffle de la vie, l'ame de la vie.

Infpiravit in faciem ejus fpiraculum, ou fpiritum vitæ: & il fouffla fur la face un fouffle de vie ; &, felon l'hébreu, il fouffla dans fes narines un fouffle, un Efprit de vie.

Hæc quum dixiffet, infufflavit, & dixit eis: Accipite fpiritum fanctum. Ayant dit cela, il fouffla fur eux, & leur dit: Recevez le fouffle faint, l'Esprit

faint.

Spiritus ubi vult fpirat, & vocem ejus audis, fed nefcis unde veniat : l'Esprit, le vent fouffle ou il veut, & vous entendez fa voix (fon bruit), mais vous ne favez d'où il vient.

Ce que nous entendons communément en françois par Efprit, bel- Efprit, trait d'Esprit, &c. fignifie des penfées ingénieufes. Aucune autre nation n'a fait un tel ufage du mot fpiritus. Les latins difoient ingenium, les grecs euphuia, ou bien ils employoient des adjectifs. Les efpagnols difent agudo, agudezza.

Les italiens emploient communément le terme ingegno.

Les anglois fe fervent du mot wit, witty, dont l'étymologie eft belle, car ce mot autrefois fignifioit fage.

Les allemands difent verftandig; & quand ils veulent exprimer des penfées ingénieufes, vives, agréables, ils difent riche en fenfations, fin reich. C'eft de là que les anglois, qui ont retenu beaucoup d'expreflions de l'ancienne langue germanique & françoife, difent fenfible man.

Ainfi, prefque tous les mots qui expriment des idées de l'entendement, font des métaphores.

L'ingegno, l'ingenium, eft tiré de ce qui engendre; l'agudeffa, de ce qui eft pointu; le fin reich des fenfations; l'Esprit, du vent; & le wit, de la fageffe.

En toute langue ce qui répond à Esprit en général, eft de plufieurs fortes; & quand vous dites: Cet homme a de l'Esprit, on eft en droit de vous demander, duquel?

Girard, dans fon livre utile des définitions, intitulé Synonymes françois, conclut ainfi :

Il faut dans le commerce des dames de l'Esprit, ou du jargon qui en ait l'apparence. ( Ce n'est

A

pas leur faire honneur, elles méritent mieux :) l'entendement eft de mife avec les politiques & les courtisans.

Il me femble que l'entendement eft néceffaire partout, & qu'il eft bien extraordinaire de voir un entendement de mife.

Le génie eft propre avec les gens à projets & à dépenfe.

Ou je me trompe, ou le génie de Corneille étoit fait pour tous les fpectateurs, le génie de Boffuet pour tous les auditeurs, encore plus que propre avec les gens à dépenfe.

Le mot qui répond à fpiritus, Efprit, vent, fouffle, donnant néceffairement à toutes les nations l'idée de l'air, elles fapposèrent toutes que notre faculté de penfer, d'agir, ce qui nous anime, eft de l'air; & de là notre ame fut de l'air subtil.

De là les manes, les Efprits, les revenants, les ombres, furent compofés d'air.

De là nous difions il n'y a pas long temps: Un Efprit lui eft apparu; il a un Efprit familier; il revient des Efpris dans ce château; & la populace

le dit encore.

Il n'y a guères que les traductions des livres hébreux en mauvais latin, qui ayent employé le mot de fpiritus en ce fens.

Manes, umbræ, fimulacra, font les expreffions de Cicéron & de Virgile. Les allemands difent geeft, les anglois ghost, les efpagnols duende, trafgo; les italiens femblent n'avoir point de terme qui fignifie revenant. Les françois feuls fe font fervis du mot Efprit. Le mot propre pour toutes les nations doit être fantôme, imagination, rêverie, fottife, friponnerie.

Quand une nation commence à fortir de la barbarie, elle cherche à montrer ce que nous appelons de l'Esprit.

Ainfi, aux premières tentatives qu'on fit fous François I, vous voyez dans Marot des pointes, des jeux de mots, qui feroient aujourdhui intolérables.

Romorentin fa perte remémore,

Cognac s'en cogne en fa poitrine blême,
Anjou fait joug, Angoulême eft de même.

Ces belles idées ne fe préfentent pas d'abord pour marquer la douleur des peuples. Il en a couté à l'imagination, pour parvenir à cet excès de ri

dicule.

On pourroit apporter plufieurs exemples d'un goût fi dépravé; mais tenons-nous-en à celui-ci qui eft le plus fort de tous.

Dans la feconde époque de l'Esprit humain en France, au temps de Balzac, de Mairet, de Rotrou, de Corneille, on applaudiffoit à toute penfée qui furprenoit par des images nouvelles qu'on appeloit Elprit. On reçut très-bien ces vers de la tragédie de Pyrame:

Ah! voici le poignard qui du fang de fon maître
Eft encor tout fanglant; il en rougit, le traître,

On trouvoit un grand art à donner du fentiment à ce poignard, à le faire rougir de honte d'être tein: du fang de Pyrame autant que du fang dont il étoit coloré.

Perfonne ne se récria contre Corneille quand, dans fa tragédie d'Andromède, Phinée dit au foleil :

Tu luis, Soleil, & ta lumière Semble fe plaire à m'affliger. Ah! mon amour te va bien obliger A quitter foudain ta carrière. Viens, Soleil, viens voir la Beauté Dont le divin éclat me dompte, Et tu fuiras de honte D'avoir moins de clarté.

Le foleil qui fuit parce qu'il eft moins clair que le vifage d'Andromède, vaut bien le poignard qui rougit.

Si de tels efforts d'ineptie trouvoient grâce devant un Public dont le goût s'eft formé fi difficilement, il ne faut pas être furpris que des traits d'Efprit qui avoient quelque lueur de beauté ayent long temps féduit.

Non feulement on admiroit cette traduction de l'espagnol :

Ce fang qui tout verfé fume encor de courroux
De fe voir répandu pour d'autres que pour vous;

non feulement on trouvoit une fineffe très - fpirituelle dans ce vers d'Hipfipile à Médée dans la Toifon d'or:

Je n'ai que des attraits, & vous avez des charmes :

mais on ne s'appercevoit pas, & peu de connoiffeurs s'apperçoivent encore, que, dans le rôle impofant de Cornélie, l'auteur met prefque toujours de l'Esprit où il falloit feulement de la douleur. Cette femme dont on vient d'affaffiner le mari, commence fon difcours étudié à Céfar, par un car:

Céfar, car le deftin, que dans tes fers je brave,
M'a fait ta prifonnière & non pas ton efclave;
Et tu ne prétends pas qu'il m'abaifle le cœur
Jufqu'à te rendre hommage & te nommer feigneur.

Elle s'interrompt ainfi dès le premier mot, pour dire une chofe recherchée & fauffe. Jamais une citoyenne romaine ne fut efclave d'un citoyen romain; jamais un romain ne fut appelé feigneur; & ce mot feigneur n'eft parmi nous qu'un terme d'honneur & de rempliffage ufié au theatre.

Fille de Scipion, & pour dire encor plus,
Romaine, mon courage eft encor audessus.

Outre le défaut fi commun à tous les héros de Corneille, de s'annoncer ainfi eux-mêmes, de dire:

Je fuis grand, j'ai du courage, admirez-moi; il y a ici une affectation bien condannable de parler de fa naiffance quand la tête de Pompée vient d'être préfentée à Céfar. Ce n'eft point ainsi qu'une affliction véritable s'exprime. La douleur ne cherche point à dire encor plus. Et ce qu'il y a de pis, c'eft qu'en voulant dire encor plus, elle dit beaucoup moins. Être romaine eft fans doute moins que d'être fille de Scipion & femme de Pompée. L'infame Septime, affaffin de Pompée, étoit romain comme elle. Mille romains étoient des hommes très-médiocres; mais être femme & fille des plus grands des romains, c'étoit là une vraie fupériorité. Il y a donc dans ce difcours de l'Esprit faux & déplacé, ainfi qu'une grandeur fauffe & déplacée. Enfuite elle dit après Lucain, qu'elle doit rougir d'être en vie :

Je dois rougir pourtant, après un cel malheur,
De n'avoir pu mourir d'un excès de douleur.

Lucain, après le beau fiècle d'Augufte, cherchoit de l'Esprit, parce que la décadence commençoit; & dans le fiècle de Louis XIV on commença par vouloir étaler de l'Esprit, parce que le bon goût n'étoit pas encore entièrement formé comme il le fut depuis.

Céfar, de ta victoire écoute moins le bruit,
Elle n'eft que l'effet du malheur qui me fuit.

Quel mauvais artifice, quelle idée fauffe autant qu'imprudente! Céfar ne doit point, felon elle écouter le bruit de fa victoire. Il n'a vaincu à Pharfale que parce que Pompée a époufé Cornélie! Que de peine pour dire ce qui n'eft ni vrai, ni vraisemblable, ni convenable, ni touchant!

Deux fois du monde entier j'ai caufé la difgrâce.

C'eft le bis nocui mundo de Lucain. Ce vers préfente une très-grande idée. Elle doit furprendre, il n'y manque que la vérité. Mais il faut bien remarquer que fi ce vers avoit feulement une foible lueur de vraisemblance, & s'il étoit échapé aux emportements de la douleur, il feroit admirable; il auroit alors toute la vérité, toute la beauté de la convenance théâtrale.

Heureuse en mes malheurs, fi ce trifte hyménée

Pour le bonheur du monde à Rome m'eût donnée,
Et fi j'euffe avec moi porté dans ta maison
D'un aftre envenimé l'invincible poison;
Car enfin n'attends pas que j'abaiffe ma haîne;

Je te l'ai déja dit, Céfar, je fuis romaine;
Et quoique ta captive, un cœur tel que le mien,
De peur de s'oublier, ne te demande rien.

C'eft encore de Lucain; elle fouhaite dans la Pharfale d'avoir époufé Céfar, & de n'avoir eu à fe louer d'aucun de fes maris :

Atque utinam in thalamis invifi Cafaris effem
Infelix conjux & nulli lata marito.

Ce fentiment n'eft point dans la nature; il eft à la fois gigantefque & puéril: mais du moins ce n'eft pas à Cefar que Cornélie parle ainfi dans Lucain. Corneille au contraire fait parler Cornélie à Céfar même; il lui fait dire qu'elle fouhaite d'être fa femme, pour porter dans fa maifon le poifon invincible d'un aftre envenimé; car, ajoute-t-elle, ma haîne ne peut s'abaiffer, & je t'ai déja dit que je fuis romaine & je ne te demande rien. Voilà un fingulier raifonnement ; je voudrois t'avoir épousé pour te faire mourir, car je ne te demande rien. Ajoutons encore que cette veuve accable Céfar d'injures, dans le moment où Céfar vient de pleurer la mort de Pompée & qu'il a promis de la venger.

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Il eft certain fi l'auteur n'avoit que pas voulu donner de l'Esprit à Cornélie, il ne feroit pas tombé dans ces défauts qui fe font fenir aujour dhui après avoir été applaudis i long temps. Les actrices ne peuvent plus guères les pallier que par une fierté étudiée & des éclats de voix féducteurs.

Pour mieux connoitre combien l'Esprit feul eft au deffous des fentiments naturels, comparez Cornélie avec elle-même, quand elle dit des chofes toutes contraires dans la même tirade:

Encore ai-je fujet de rendre grâce aux dieux
De ce qu'en arrivant je te trouve en ces lieux,
Què Célar y commande & non pas Ptolomée.
Hélas! & fous quel aftre, ô Ciel ! m'as-tu formée?
Si je leur dois des vœux de ce qu'ils ont permis
Que je rencontre ici mes plus grands ennemis,
Et tombe entre leurs mains plus tôt qu'aux mains d'un
prince,

Qui doit à mon époux son trône & fa province.

Paffons fur la petite faute de ftyle, & confidérons combien ce difcours eft décent & douloureux; il va au cœur : tout le refte éblouit l'Esprit un moment & enfuite le révolte.

Ces vers naturels charment tous les fpecta

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