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ses supérieurs, néglige ses protecteurs, et ne fera jamais rien dans la partie des lettres.

Si Gail eût étudié, s'il eût appris le grec, seraitil aujourd'hui professeur de langue grecque, académicien de l'Académie grecque, enfin le mieux renté de tous les érudits? Haase a fait cette sottise. It s'est rendu savant, et le voilà capable de remplir toutes les places destinées aux savans, mais non pas de les obtenir. Bien plus avisé fut M. RaoulRochette, ce galant défenseur de l'Église, ce jeune champion du temps passé. Il pouvait, comme un autre, apprendre en étudiant: mais bien il vit que cela ne le menait à rien, et il aima mieux se produire que s'instruire, avoir dix emplois de savant, que d'être en état d'en remplir un qu'il n'eût pas eu s'il se fût mis dans l'esprit de le mériter, comme a fait ce pauvre Haase, homme, mon jugement, docte mais non habile, qui s'en va pâlir sur les livres, perd son temps et son grec, ayant devant les yeux ce qui l'eût dû préserver d'une semblable faute, Gail, modèle de conduite, littérateur parfait. Gail ne sait aucune science, n'entend aucune langue :

Mais s'il est par la brigue un rang à disputer,
Sur le plus savant homme on le voit l'emporter.

à

L'emploi de garde des manuscrits, d'habiles gens le demandaient; on le donne à Gail qui ne lit pas même la lettre moulée. Une chaire de grec vient à vaquer, la seule qu'il y eût alors en France: on y nomme Gail, dont l'ignorance en grec est

devenue proverbe *; un fauteuil à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres on place Gail, qui se trouve ainsi, sans se douter seulement du grec, avoir remporté tous les prix de l'érudition grecque, réunir à lui seul toutes les récompenses avant lui partagées aux plus excellens hommes en ce genre. Haase n'oserait prétendre à rien de tout cela, parce qu'il étudie le grec, parce qu'il déchiffre, explique, imprime les manuscrits grecs, parce qu'il fait des livres pour ceux qui lisent le grec, parce qu'enfin il sait tout, hors ce qu'il faut savoir pour être savant patenté du gouvernement. Oh! que Gail l'entend bien mieux ! il ne s'est jamais trompé, jamais fourvoyé de la sorte, jamais n'eut la pensée d'apprendre ce qu'il est chargé d'enseigner. Certes un homme comme Gail doit rire dans sa barbe, quand il touche cinq ou six traitemens de savans, et voit les savans se mor fondre.

Messieurs, voilà ce que c'est que l'esprit de conduite. Aussi, avoir donné le fouet jadis à un duc et pair, il faut en convenir, cela aide bien un homme, cela vous pousse furieusement, et, comme dit le poëte,

Ce chemin aux honneurs a conduit de tout temps.

Le pédant de Charles-Quint devint pape, celui de Charles IX fut grand aumônier de France, mais tous deux savaient lire; au lieu que Gail ne

Tu t'y entends comme Gail au grec, proverbe d'écolier.

sait rien, et même est connu de tout le monde pour ne rien savoir, d'autant plus admirable dans les succès qu'il a obtenus comme savant.

Vous n'ignorez pas combien sont désintéressés les éloges que je lui donne. Je n'ai nulle raison de le flatter, et suis tout-à-fait étranger à ce doux commerce de louanges que vous pratiquez entre vous. M. Gail ne m'est rien, ni ami, ni ennemi, ne me sera jamais rien, et ne peut de sa vie me servir ni me nuire. Ainsi le pur amour du grec m'engage à célébrer en lui le premier de nos hellénistes, j'entends le plus considérable par ses grades littéraires. Le public, je le sais, lui rend assez de justice; mais on ne le connaît pas encore. Moi, je le juge sans prévention, et je vois peu de gens qui soient de son mérite, même parmi vous, Messieurs. En Allemagne, où vous savez que tout genre d'érudition fleurit, je ne vois rien de pareil, rien même d'approchant. Là, les places académiques sont toutes données à des hommes qui ont fait preuve de savoir. Là, Coraï serait président de l'Académie des Inscriptions, Haase garde des manuscrits, quelque autre aurait la chaire de grec, et Gail... qu'en ferait-on? Je ne sais, tant l'industrie qui le distingue est peu prisée en ce paysla. Ces gens, à ce qu'il paraît, grossiers, ne reconnaissent qu'un droit aux emplois littéraires, lą capacité de les remplir, qui, chez nous, est une exclusion.

Ce que j'en dis toutefois ne se rapporte qu'à votre Académie, Messieurs, celle des Inscriptions

et Belles-Lettres. Les autres peuvent avoir des maximes différentes. Et je n'ai garde d'assurer qu'à l'Académie des Sciences un candidat fût refusé, uniquement parce qu'il serait bon naturaliste ou mathématicien profond. J'entends dire qu'on y est peu sévère sur les billets de confession, et un de mes amis y fut reçu l'an passé, sans même qu'on lui demandât s'il avait fait ses Pâques, scandales qui n'ont point lieu chez vous.

Mais, Messieurs, me voilà bien loin du sujet de ma lettre. J'oublie en vous parlant ce que je viens vous dire, et le plaisir de vous entretenir me détourne de mon objet. Je voulais répondre aux méchantes plaisanteries de ce journal qui dit que je me suis présenté, que je me présente actuellement, et que je me présenterai encore pour être reçu parmi vous. Dans ces trois assertions il y a une vérité, c'est que je me suis présenté, mais une fois, sans plus, Messieurs. Je n'ai fait, pour être des vôtres, que quarante visites seulement, et quatre-vingts révérences, à raison de deux par visite. Ce n'est rien pour un aspirant aux emplois académiques; mais c'est beaucoup pour moi, naturellement peu souple et neuf à cet exercice. Je n'en suis pas encore bien remis. Mais je suis guéri de l'ambition, et je vous proteste, Messieurs, que, même assuré de réussir, je ne recommencerais pas.

Quant à ce qu'il ajoute touchant les principes de ceux que vous avez élus, principes qu'il dit être connus, cette phrase tendant à insinuer que les miens ne sont pas connus, me cause de l'in

quiétude. Si jamais vous réussissez à établir en France la Sainte-Inquisition, comme on dit que vous y pensez, je ne voudrais pas que l'on pût me reprocher quelque jour d'avoir laissé sans réponse un propos de cette nature. Sur cela donc j'ai à vous dire que mes principes sont connus de ceux qui me connaissent, et j'en pourrais demeurer là. Mais, afin qu'on ne m'en parle plus, je vais les exposer en peu de mots.

Mes principes sont, qu'entre deux points la ligne droite est la plus courte, que le tout est plus grand que sa partie, que deux quantités, égales chacune à une troisième, sont égales entre elles.

Je tiens aussi que deux et deux font quatre; mais je n'en suis pas sûr.

Voilà mes principes, Messieurs, dans lesquels j'ai été élevé, grâce à Dieu, et dans lesquels je veux vivre et mourir. Si vous me demandez d'autres éclaircissemens (car on peut dire qu'il y a différens principes en différentes matières, comme principes de grammaire; il ne s'agit pas de ceuxlà, ces Messieurs ne sachant, dit-on, ni grec, ni latin; principes de religion, de morale, de politique), je vous satisferai là-dessus avec la même sincérité.

Mes principes religieux sont ceux de ma nourrice, morte chrétienne et catholique, sans aucun soupçon d'hérésie. La foi du centenier, la foi du charbonnier sont passées en proverbe. Je suis soldat et bûcheron, c'est comme charbonnier. Si

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