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maire et à MM. les juges, à M. le procureur du roi et à M. le préfet, gens queje n'ai jamais vus et dont j'ignore les noms.

Enfin il est notoire, dans le département, qu'on peut me voler, me courir sus, et chaque jour on use de cette permission. Je suis hors de la loi pour avoir défendu avec succès des gens qu'on voulait faire périr, il y a deux ou trois ans. Voilà, disent quelques-uns, le vrai motif du mal qu'on me fait à présent.

Je supplie votre Excellence d'ordonner que tous ceux qui me pillent ou m'ont pillé soient également poursuivis, et qu'on me laisse en repos à l'avenir. C'est malgré moi que j'ai recours à l'autorité quand les lois devraient me protéger. Mais la chose presse, et je crains que mes bois ne soient bientôt brûlés.

Je suis avec respect, Monseigneur,

De votre Excellence,

Le très-humble et très-obéissant serviteur.

Paris, le 30 mars 1817.

DIT BLONDEAU,

A MESSIEURS LES JUGES

DE POLICE CORRECTIONNELLE

A BLOIS.

(1822.)

MESSIEURS,

J'ai fait de grandes fautes; mais j'en suis trop puni déjà par tout ce que j'ai souffert, et si vous regardez ma conduite, vous verrez qu'il y a en moi, pauvre et simple homme de village, plus de bêtise que de méchanceté.

Mapremière faute fut d'entrer au service de M. de Beaune, le maire de notre commune. Je le connaissais. M. de Beaune est un jeune homme vif, emporté, violent dans ses vengeances. Je savais cela; j'aurais dû fuir M. de Beaune et prévoir ce qui m'arrive; mais quoi? il fallait vivre; je n'avais point d'autre ressource, et il n'était pas maire encore; il ne faisait point de procès-verbaux ; en

le servant, on ne risquait que d'être assommé. J'entrai chez lui, et me conduisis avec tant de prudence, qu'au bout de deux ans, j'en sortis sans contusion ni blessure. En cela, je ne fus pas bête.

Mais, malheureusement, il était maire alors. En me renvoyant, M. le maire ne me payait pas mes gages de trois mois, cinquante francs qu'il me devait; je les lui demandai. Ce fut ma seconde faute, pire que la première : pour moi, dans le besoin, sans place, sans travail, cinquante francs, c'était beaucoup: ce n'était rien pour M. de Beaune. Et que pensez-vous qu'il me dit, quand je lui demandai mon argent? Tu me le paieras, me dit-il, et jamais, Messieurs, je n'en pus tirer autre

chose.

Moi, Messieurs, voyant cela, je le fis assigner, Ah! faute irréparable! mon supérieur, mon maire, le plus riche propriétaire de toute la commune, l'attaquer en justice! moi pauvre paysan, domestique renvoyé, lui demander mon dû ! Je fis cette folie, dont je me repens bien, et vous jure que de ma vie, dussé-je mourir de faim, jamais plus ne m'arrivera de faire assigner un maire. Aussi bien que sert-il ? M. de Beaune comparut devant le juge de paix, fit serment, leva la main qu'il ne me devait rien, et je perdis mes cinquante francs, et tou. jours: Tu me le paieras. Il m'a tenu parole; je lui paie bien l'argent qu'il me devait.

Dès lors on me conseilla de quitter le pays. Vat'en, Blondeau, va-t'en, me dit un de nos voisins,

Que veux-tu faire ici ayant fâché le maire? le maire est plus maître ici que le roi à l'aris. Procès, amende, prison, voilà ce qui t'attend. Plus de repos pour toi, plus de travail paisible. Tu ne man. geras plus morceau qui te profite, ayant fàché le maire. Va-t'en, pauvre Blondeau.

Il n'avait que trop de raison de me parler ainsi. Je devais le croire, partir, vendre mon quartier de terre, emmener ma famille. Mais environ ce temps, je trouvai à me placer fort avantageusement, à ce qu'il me semblait. M.Courier me prit pour garde de ses bois, et je me crus heureux d'entrer à son service. Je pensais qu'étant chez lui, qui passe pour bon homme, quoique peu de gens l'aient vu, et que personne ne le connaisse, je pourrais vivre tranquille. En cela, je me trompais, comme vous allez voir.

Je fus accusé, peu après, d'avoir dit à M. le maire, causant avec lui dans son parc: Allez vous promener. C'est la déposition de quelques-uns des témoins que vous avez entendus. D'autres disent que j'ai dit: Allez vous faire f......; d'autres enfin prétendent que je n'ai rien dit du tout. L'affaire était sérieuse. J'avais tout à redouter, vu le nombre et le crédit de ceux qui m'attaquaient; car chacun s'en mêlait; le maire portait plainte; le procureur du roi me poursuivait à outrance; le domaine me menaçait de m'ôter mon état de garde particulier. Le préfet même daigna, et plus d'une fois, écrire aux juges contre moi. Les puissances de Tours étaient coalisées pour écraser Blondeau.

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