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Tu te promènes seul; tu fuis tes camarades; tu as le mal du pays. Nous l'avons tous, bonhomme

Paul.

Touché de pitié, je m'assieds, et il continue: Vous savez, père Paul, comment je vivais chez nous, toujours travaillant, labourant ou façonnant ma vigne, et chantant la vendange ou le dernier sillon; attendant le dimanche pour faire danser ma Sylvine aux assemblées de Véretz ou de Saint-Avertin. On m'a ôté de là, pourquoi? pour escorter la procession, ou bien prendre les armes lorsque le bon Dieu passe. On m'apprend la charge en douze temps. A quoi bon? Pour quelle guerre? On s'y prend de manière à n'avoir jamais de querelle avec les puissances étrangères. Pourquoi donc charger, et sur qui faire feu? Je sers; mais à quoi sers-je? A rien, bonhomme Paul. Tout cela nous ennuie, et nous fait regretter le pays dans nos casernes. Ah! Véretz, ah! Sylvine! ah! mes bœufs, mes beaux bœufs! Fauveau à la raie noire, et l'autre qui avait une étoile sur le front! Vous en souvient-il, bonhomme Paul?

Là-dessus, sans répondre, je lui glisse ce mot : Sais-tu bien ce qu'on m'a dit de toi? Mais je n'en crois rien. Je me suis laissé dire que tu voulais nous sabrer. Moi, vous sabrer, bonbomme! Quiconque vous l'a dit est un.....

gazetier censuré.

Oui, mon ami, c'est un

Mais que fais-tu ? Comment te trouves-tu à ton régiment? Es-tu content, dis-moi, de tes chefs?

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Fort content, bonhomme, je vous jure. Nos sergens et nos caporaux sont les meilleures gens du monde. Vois là-bas Francisque, notre sergent-major, brave soldat, bon enfant; il a fait les campagnes d'Égypte et de Russie, et il fait aujourd'hui sa première communion. Tout de bon? - Oui vraiment; c'est aujourd'hui le numéro cinq, demain ce sera le numéro six. Comment? que veux-tu dire? - Nous communions par numéros de compagnie, la droite en tête. - Fort bien. Tes officiers? Mes officiers? Ma foi, je ne les connais guère. Nous les voyons à la parade. Nous autres soldats, bonhomme Paul, nous ne connaissons que nos sergens. Ils vivent aveo nous; ils logent avec nous; ils nous mènent à vêpres. - En vérité? Cependant tu dois savoir, mon cher, si ton capitaine te veut du bien. — Notre capitaine n'a pas rejoint; nous ne l'avons jamais vu. Il prêche les missions dans le midi. - Bon! Mais ton colonel? Oh! celui-là nous l'aimons tous. C'est un joli garçon, bien tourné, fait à peindre, bel homme en uniforme, jeune; il est né peu de temps avant l'émigration. Dis-moi il a servi? oui; en Angleterre il a servi la messe; et il y paraît bien, car il aime toujours l'Angleterre et la messe.

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Ob!

A ce que je puis voir, tu ne te soucies point de rester au régiment, de suivre jusqu'au bout la carrière militaire. Où me mènerait-elle ? Sergent après vingt ans, la belle perspective! Mais, par la loi Gouvion, ne peux-tu pas aussi devenir officier? --Ah! officier de fortune! Si vous saviez ce que c'est!

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J'aime mieux labourer et mener bien ma charrue, que d'être ici lieutenant mal mené par les nobles. Adieu, bonhomme Paul; la retraite m'appelle. Au revoir, mon bonhomme. Au revoir, mon ami.

A quatre pas de là, je trouve le seigneur du fief de Haubert, et je lui dis: Mon gentilhomme, vous n'aurez jamais ces gens-là. Pourquoi, s'il vous plait? C'est qu'ils ont tâté de l'avancement. Vous voulez toutes les places, mais surtout vous voulez toutes les places d'officier, et vous avez raison; car sans cela point de noblesse. Eux veulent avancer. Le marquis aura beau faire, c'est une fantaisie qu'il ne leur ôtera pas. Je ne vois guère moyen de vous accommoder. M. Quatremère de Quincy, bourgeois de Paris, vous accordera ce que vous voudrez: priviléges, pensions, traitemens, et la restitution, et la substitution, et la grande propriété. Vous le gagnerez aisément en l'appelant mon cher ami, et lui serrant la main quelquefois. Mais les soldats ne se paient point de cette monnaie. Pour lui, l'ancien régime est une chose admirable, c'est le temps des belles manières; mais, pour les soldats, c'est le temps des coups de baton. Vous ne les ferez pas aisément consentir à rétrograder jusque-là. Puis le public est pour eux. On sait qu'un bon soldat est un bon officier et un bon général, tant qu'il ne se fait point gentilhomme. On ne le savait pas autrefois. En un mot comme en cent, vous n'aurez jamais en ce pays une armée à vous. Nous aurons les gendarmes et le procureur du roi.

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P. S. M. le Tissier, le dernier de nos députés (j'entends dernier nommé), nous assure, par une circulaire, qu'il a de la vertu plus que nous ne croyons. Il n'acceptera, nous dit-il, ni places, ni titres, ni argent. Beau sacrifice! car sans doute on ne manquera pas de lui tout offrir. Ses talens ora toires, ses rares connaissances, sa grande réputation vont lui donner une influence prodigieuse sur l'assemblée des députés de la nation. Les ministres tenteront tout pour s'acquérir un homme comme M. le Tissier; mais leurs avances seront perdues; ils n'acceptera rien, dit-il, quand on voudrait le faire gentilhomme et le mettre à la garde-robe.

On va ici couper le cou à un pauvre diable pour tentative d'homicide. Il se plaint, et dit à ses juges : Supposons qu'en effet j'aie voulu tuer un homme. Vous connaissez des gens qui ont tenté de faire tuer la moitié de la France par les puissances étrangères. Ils voulaient de l'argent, et moi aussi. Le cas est tout pareil. Vous n'avez contre moi que des preuves douteuses; vous avez leurs notes secrètes signées d'eux; vous me coupez le cou, et vous leur faites la révérence.

Je lis avec grand plaisir les Mémoires de Montluc. C'est un homme admirable, il raconte des choses! par exemple, celle-ci : Un jour, il avait pris quinze cents huguenots, et ne sachant qu'en faire, il écrit à la cour. Le roi lui mande de les bien traiter. La reine lui fait dire de les tuer. Le roi, qui alors négociait avec leur parti, se flattait d'un accommodement. Mais la reine-mère ne voulait point d'acconi

modement. Voilà le bon maréchal en peine entre deux ordres si contraires. Enfin il se décide. Je crus, dit-il, ne pouvoir faillir en obéissant à la reine. Je tuai mes huguenots, et fis bien; car le traité manqua, la guerre continua et la reine me sut gré de tout. Ce livre est plein de traits pareils. Mais, pour en entendre le fin, il faut savoir l'histoire du temps. Il y avait en France alors deux gouvernemens.

Est-il donc vrai que les notes secrètes ne savent plus où s'adresser, et que tout se brouille là-bas. Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge; l'Anglais défie l'Allemand Celui-ci, plus rusé, lui joue d'un tour de diplomate, gagne le postillon de milord, qui verse sa Grace dans un trou, pensant bien lui rompre le cou. Mais l'Anglais roule jusqu'au fond sans s'éveiller, et cuve son vin; puis, sorti de là, demande raison. Voilà les contes qu'on nous fait, et nous écoutons tout cela. Que vous êtes heureux à Paris de savoir ce qui se passe, et de voir les choses de près, surtout la garde-robe et Rapp dans ses fonctions! C'est là ce que je vous envie.

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