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tilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi ? vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurez rien cette fois; pas un mot, nulle nouvelle; pour vous punir, je veux ne vous rien dire, si je puis.

Oui, par ma foi, c'était une chose curieuse à voir. Figurez-vous, sur une estrade, un homme tout brillant de crachats, devant lui une table, et sur la table une urne. Si vous me demandez ce que c'est que cette urne; cela m'avait tout l'air d'une boîte de sapin. L'homme, c'était le président, comte Villemanzy, noble pair, dont le père n'était ni pair ni noble, mais procureur fiscal, ou quelque chose d'approchant. Je note ceci pour vous qui aimez la nouvelle noblesse. Jadis Larochefoucault était de votre avis, il la voulait toute neuve; neuve elle se vendait alors; elle valait mieux. La vieille ne se vendait pas. Pour moi ce m'est tout un, l'ancienne, la nouvelle, la Tremouille ou Godin, Rohan ou Ravigot, j'en donne le choix pour une épingle.

Il tira de sa poche une longue écriture (c'est le président que je dis), et lut: Le roi tout seul pouvait faire les lois; il en avait le droit et la pleine puissance; mais, par un rare exemple de bonté paternelle, il veut bien prendre notre avis. Je n'entendis pas le reste; on cria vive le roi, les princes, les princesses et le duc de Bordeaux. Puis le président se lève. Nous étions au parterre quelque deux cent cinquante, choisis par

le préfet pour en choisir d'autres qui doivent lui demander des comptes. Le président debout nous donna des billets sur lesquels chacun de nous devait écrire deux noms; mais il fallait jurer d'abord. Nous jurâmes tous. Nous levâmes la main de la meilleure grace du monde et en gens exercés; puis, nos billets remplis, le président les reprenait avec le doigt index et le pouce seulement, ses mánchettes retroussées, les remettait dans la boîte d'où nous vimes sortir un ultra-royaliste et un ministériel.

Sans être son compère, j'avais parié pour cela et deviné d'abord ce qui devait sortir de la boite ou de l'urne, par un raisonnement tout simple, et le voici : Nous étions trois sortes de gens appelés là par le préfet; gens de droite, aisés à compter; gens de gauche, aussi peu nombreux, et gens du milieu à foison, qui, se tournant d'un côté, font le gain de la partie, et se tournent toujours du côté où l'on mange. Or, en arrivant, je sus que tous ceux de la droite dînaient chez le préfet, ou chez l'homme aux crachats avec ceux du milieu, et que ceux de la gauche ne dinaient nulle part. J'en conclus aussitôt que leur affaire était faite; qu'ils perdraient la partie, et paieraient le diner dont ils ne mangeaient pas ; je ne me suis point trompé.

J'étais là le plus petit des grands propriétaires, ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, devinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant : Qu'as-tu Cadet? puis je

me repris qu'avez-vous, M. de Cadet ? (car c'est sa nouvelle fantaisie de mettre un de avant son nom depuis qu'il est éligible et maire de sa commune). Je vous vois soucieux, inquiet. Ce n'est pas sans sujet, me dit-il, J'ai trois maisons, comme vous savez: l'une est celle de mon père, où je n'habite plus; l'autre appartenait ci-devant à M. le marquis de.... chose, qui s'en alla, je ne sais pourquoi, dans le temps de la révolution. J'achetai sa maison pendant qu'il voyageait. C'est celle où je demeure et me trouve fort bien. La troisième appartenait à Dieu, et de même je m'en suis accommodé. Je viens de voir làbas, vers la droite, des gens qui parlaient de restituer, et disaient que de mes trois maisons la dernière doit retourner à Dieu, les deux autres pourraient servir à recomposer une grande propriété pour le marquis. A ce compte, je n'aurais plus de maison. Je vous avoue que cela m'a donné à penser. C'est dommage pour vous, lui dis-je, que d'autres comme vous, peu amis de la restitution, ne se trouvent point ici. On ne les a pas invités, et je m'étonne de vous y voir. Ah! me dit-il, c'est que je pense bien. Je ne pense point comme la canaille. Je vois la haute société, ou je la verrai bientôt du moins, car mon fils me doit présenter chez ses parens.—Qui? quels parens? Eh! oui, mon fils de la Rousselière se marie, ne le savez-vous point? il épouse une fille d'une famille....... Ah! il sera dans peu quelque chose. J'espère par son moyen arranger tout.-J'entends, vous voudriez par son moyen voir la haute société et ne point restituer. - Justement. Garder l'hôtel de

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chose et y recevoir le marquis? — C'est cela. — Vous aurez de la peine.

Comme je regardais curieusement partout, j'aperçus Germain dans un coin, parlant à quelques-uns de la gauche; il semblait s'animer, et, m'approchant, je vís qu'il s'agissait entre eux de ce qu'on devait écrire sur ces petits billets. Écrivez, disait-il, écrivez le bonhomme Paul, qui demeure là - haut, sur le coteau du Cher. Il n'est pas jacobin, mais il ne veut point du tout qu'on pende les jacobins ; il n'aime pas Bonaparte, mais il ne veut point qu'on emprisonne les bonapartistes: nommez-le, croyez-moi. Il sait écrire, parler; il vous défendra bien : vous êtes sûrs au moins qu'il ne vous vendra pas; c'est quelque chose à présent. Non, répondirent-ils, ce Paul n'est pas des nôtres. Il en sera bientôt, reprit Germain, car on l'a vu toujours du parti opprimé. Aristocrate sous Robespierre, libéral en 1815, il va être pour vous, et ne vous renoncera que quand vous serez forts, c'est-à-dire insolens.-Non, nous voulons des nôtres. Mais personne n'en veut ; vous allez être seuls, et que pensez-vous faire ?-Rien, nous voulons ceux-là. Ils ne savent pas grand'chose, et sont peut-être un peu sujets à caution. Mais ce sont nos compères, et Paul, dont vous parlez, n'est compère de personne. Germain, à ce discours : Mes amis, leur dit-il, je crois que vous serez pendus, vous et les vôtres, oui, pendus à vos pruniers, et j'aurai le plaisir d'y avoir contribué. Car je vais de ce pas me joindre à messieurs de droite, et voter avec eux. Que me faut-il à moi? culbuter les ministres; pour

cela les ultra sont aussi bons que d'autres, sinon meilleurs. Adieu.

Je voulais passer avec lui du côté des honnêtes gens. Mais en chemin je trouvai des ministériels qui parlaient de places, et disaient : Il n'y en a point qui soit sûre. Comme j'entends un peu la fortification, je m'arrêtai à les écouter. Il n'y en pas une, disaientils, sur laquelle on puisse compter. C'est sans doute, leur dis-je, que les remparts ne sont pas bien entretenus, ou faute d'appprovisionnement? Ils me regardaient étonnés. Oui, reprit un d'eux, que je meure, s'il y a une place à présent, qu'aucune Compagnie d'Assurance voulût garantir pour un mois. Cependant, leur dis - je, il me semble qu'avec de grandes demi-lunes, des fronts en ligne droite et un bon défilement, on doit tenir un certain temps. Ils me regardèrent plus surpris que la première fois, et le même homme continua: Ma foi, vu leur peu de sûreté, les places aujourd'hui ne valent pas grand'chose. Vous voulez dire, lui répliquai-je, que les meilleures ont été livrées à l'ennemi.

Comme je semblais les gêner, je m'en allai, fâché de quitter cette conversation, et plus loin je rencontrai l'honnête procureur, qui passe pour mener tout le parti noble ici. C'est Calas ou Colas qu'on le nomme, je crois; garçon d'un vrai mérite. Avez-vous remarqué que depuis quelque temps les nobles nulle part ne font rien, s'ils ne sont menés par des vilains? Qu'est-ce que Lainé, de Villèle, Ravez, Donnadieu, Martainville, sinon les chefs de la noblesse, et tous vilains? Sans eux, que deviendrait le parti des puis

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