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vertes? Quand on doublerait, triplerait, décuplerait cette pratique, on ne rendrait à la terre que la substance qu'elle aurait fournie; on ne l'aurait ni améliorée ni appauvrie : après bien des peines et des frais, on l'aurait laissée dans l'état où on l'aurait prise; moins toutefois les déperditions causées par l'entraînement des eaux pluviales, par l'évaporation du soleil et des vents, accrues les unes et les autres par l'action de la charrue qui, en sillonnant la terre et la tenant soulevée sur des végétaux en fermentation, aurait ouvert une large voie aux causes d'épuisement. Mais les faits les plus irrécusables, l'expérience de tous les jours, nous démontrent que, plus les plantes ont pris de développement, plus elles sont riches en feuilles et en rameaux, plus la couche à enterrer est épaisse, tassée et élevée, plus l'enfouissement produit de moyens de reproduction

S'ils n'émanent pas du sein de la terre, d'où proviendraient-ils done? Quel est l'immense réservoir qui peut concourir d'une manière si puissante à subvenir aux besoins d'une végétation qui couvre une grande partie du globe ? C'est l'atmosphère, c'est là que se forment et se développent tous les météores; c'est là que voyagent les débris des corps organiques réduits en gaz, c'est-à-dire dans l'état le plus propre à rentrer dans le cours de la végétation; que, transportés par l'air dans la sphère d'attraction de chaque partie de la plante, ils cèdent sans résistance à la puissance d'assimilation dont elle est pourvue.

L'un de nos savans modernes qui se soient le plus occupés de physiologie végétale, a été amené, par ses expériences, à penser que la quantité d'alimens puisée dans le sol par les plantes, ne s'élève pas audessus du vingtième de leur masse totale, et que les dix-neuf autres vingtièmes sont fournis par l'acide carbonique contenu dans l'air.

Qui de nous n'a pas recueilli des faits qui viennent à l'appui de cette théorie? Nous voyons des lentilles (plante réputée très-épuisante), prendre, pendant l'hiver, un grand accroissement sur nos cheminées, pourvu qu'on les entretienne dans l'humidité au moyen de l'eau la plus pure. Par le même moyen, les jacinthes développent un plus grand appareil encore, puisqu'elles arrivent à l'état complet de floraison. Autrefois je passais de temps en temps dans un village de Champagne, où je remarquais avec plaisir un orme plus que séculaire, de la première force, sans être très-élevé. Deux hommes auraient à peine embrassé son tronc; ses branches, nombreuses et fort allongées, couvraient une grande étendue de terrain. Après avoir résisté très-long-temps à l'impétuosité des vents, il fut un jour renversé par un ouragan: ses racines, fort multipliées, formaient un large réseau qui, avec la terre qui les couvrait, portait une épaisseur de 8 à 9 pouces. Il n'était pas implanté, mais assis sur le sous-sol de craie pure qu'il avait laissé à nu. La terre attachée à ses racines aurait fourni au plus la charge de deux voitures, tandis que quatre chariots n'auraient pas en

levé tous ses débris. Croira-t-on que cette énorme masse de bois soit le produit de deux voitures de terre? On connaît l'histoire d'une treille palissée à la paroi d'une serre un de ses sarmens fut introduit dans la serre à l'exception des deux extrémités qui restèrent à l'extérieur. La partie du milieu qui jouissait d'une température douce et d'une atmosphère humide, se chargea de feuilles ; du centre de ses bourgeons on vit s'élancer de jeunes rameaux comme dans la belle saison, tandis que le pied et la sommité de cette branche, exposés à toutes les intempéries, restaient dans l'état de deuil qui couvrait toute la nature. La matière de ces feuilles, la substance ligneuse de ces jeunes rameaux, n'étaient sûrement pas puisées dans la terre glacée qui couvrait le pied de cette treille. Il faut reconnaître que la partie moyenne avait tiré tous ces moyens de développement de l'atmosphère où elle était plongée. On ne finirait pas si on voulait donner toutes les preuves de cette grande vérité, que l'atmosphère contribue beaucoup plus que la terre aux frais de la végétation. Sans cela, comment expliquerait-on l'amélioration progressive du sol de nos forêts, de nos prairies naturelles et artificielles ? Défrichez au milieu de nos plaines les plus arides, les plus nues de la Champagne, un bois, un buisson, et vous trouverez un sol riche, excellent. A qui doit-on ces précieuses qualités que l'action trop répétée de la charrue et les récoltes successives de céréales auront bientôt fait disparaître ?

Avantages que retirerait notre agriculture de l'emploi. en grand des récoltes vertes enterrées.

Il faut convenir que cette pratique n'est pas inusitée dans notre Département, surtout sur les terres légères où elle produit les plus heureux effets. Pourquoi faut-il qu'elle soit aussi bornée, pourquoi chaque laboureur en restreint-il l'usage à un seul champ de quelques ares de superficie, et n'y consacre-t-il qu'une seule sorte de plante? On connaît le mérite du procédé, et il semble qu'on ne l'emploie que pour prouver qu'on ne l'ignore pas. C'est l'histoire des pommes de terre; tout le monde en apprécie les heureux résultats dans la nourriture des bestiaux, et on se contente d'en cultiver quelques pieds pour la consommation exclusive du ménage. Conseillez d'en étendre l'emploi à l'alimentation des animaux, on vous répond froidement : Ce n'est pas l'usage. Tant que nos Champenois seront travaillés par la manie d'occuper leurs capitaux à augmenter le nombre de leurs propriétés, au lieu de les employer à les faire fructifier par la multiplication des bestiaux et des engrais, notre agriculture fera peu de progrès, et la plupart de nos terres resteront dans l'état d'appauvrissement qui leur a valu une dénomination flétrissante, tout en acquérant du prix, sans augmentation de valeur réelle.

Il est bien certain qu'elles sont fort au-dessus de la réputation que les siècles les plus reculés leur ont laissée. Elles possédent presque toutes les qualités physiques qui constituent les sols, sinon supérieurs,

au moins d'une bonne médiocrité. On ne leur reproche que de manquer d'humus; à qui la faute? C'est visiblement au mauvais système de culture auquel on les a soumises. De temps immémorial, on ne leur demande que des récoltes de céréales, sans autre réparation que l'épuisante jachère on a trouvé dans la facilité de leur culture le moyen de les ruiner, en se dispensant de multiplier les bestiaux et par conséquent les engrais; on a cultivé les sommets et les pentes des collines, on a détruit les haies, les garennes et tout ce qui pouvait y créer quelqu'abri et quelque humus. On a rendu la terre absolument nue; quel est le sol qui pourrait résister à un régime aussi barbare? Si celui de la Flandre même avait été mis à de semblables épreuves, il ne serait peut-être pas bien supérieur au nôtre. Ce qui prouve que ces terres ne manquent que d'engrais toujours trop tôt dissipés et trop incomplètement réparés, c'est que nos cantons de terres argileuses dont la culture exige jusqu'à huit à dix chevaux pour chaque charrue, qui laboure beaucoup moins d'étendue, ont conservé beaucoup plus de fertilité que ceux dits de Champagne, bien que soumis au même assolement. Ce n'est donc qu'à la nécessité de nourrir un plus grand nombre d'animaux et à l'impossibilité d'exploiter une étendue de terres hors de toute proportion avec la quantité d'engrais qu'ils produisaient, qu'elles doivent l'avantage d'être moins appauvries.

Néanmoins, l'expérience nous prouve que nos

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