Page images
PDF
EPUB

Qu'importerait la vie à qui l'aurait trahi? La honte et le remords le suivraient partout.

Je me résume. Tout acte émané des représentans du peuple est un attentat à sa souveraineté s'il n'est pas soumis à sa ratification formelle ou tacite. Le peuple qui a promis l'inviolabilité à Louis peut seul déclarer qu'il veut user du droit de punir, auquel il avait renoncé. Des considérations puissantes vous prescrivent de vous conformer aux principes. Si vous y êtes fidèles, vous n'encourrez aucun reproche; et si le peuple veut la mort de Louis, il l'ordonnera. Si au contraire vous les violez, vous encourrez au moins les reproches de vous être écartés de votre devoir. Et quelle effrayante responsabilité cette déviation ne fait-elle pas peser sur vos têtes!

Moreau. La discussion actuelle offre un spectacle bien étonnant par l'abus des mots, des principes, par la singularité des raisonnemens que se sont permis plusieurs de ceux qui l'ont traitée.

Quelque étranges, cependant, que m'aient paru leurs opinions, je suis loin de suspecter leur bonne foi, il en est même dont j'oserai cautionner le civisme; je ne les traiterai donc pas de royalistes, de scélérats, parce que les injures ne sont pas les armes de la vérité; elles décèlent l'orgueil, l'ignorance et le despotisme; voilà pourquoi les prêtres et les théologiens s'en

servent si souvent.

La juinais vous a dit que le peuple passait rapidement de la haine à l'amour, qu'en conséquence vous deviez craindre d'accumuler sur votre tête une responsabilité terrible, en prononçant la mort de Capet; et, pour vous en décharger, il vous propose d'en accabler un tribunal particulier qui, effrayé par la même considération, temporiserait ou même sauverait le coupable.

Quoi donc! c'est en vous disant que le Français séduit peut rendre sa bienveillance au tyran, que l'on vous propose de prolonger sa vie?

On vous offre en perspective la possibilité de voir le peuple regretter le despote, lui rendre son amour; et l'on en conclut

qu'il faut lui conserver une existence qui pourra ravir cette liberté qui nous coûte si cher. Quelle logique, grand Dieu!

N'est-il pas plutôt naturel d'en conclure qu'il est de notre devoir de détruire promptement cette idole que l'on pourrait relever, et sauver ainsi à la nation qui yous confie son sort une faute peut-être irréparable? La France entière, si elle parvenait à ce degré d'égarement que l'on suppose, ouvrirait bientôt les yeux; et n'aurait-t-elle pas le droit de vous dire alors: Je serais libre, si vous n'aviez laissé l'existence à celui qui a perverti l'opinion publique; votre cruelle pitié m'a remis dans les fers; c'est vous qui avez conservé, cultivé le germe des maux qui m'accablent?

On vous effraie par la responsabilité: eh bien, supposons pour un instant que, dans un accès d'une fausse humanité, l'on vous représente comme des violateurs de toutes les formes, disons plus, comme les meurtriers d'un innocent; cette idée est cruelle, sans doute ; comme vous j'en suis frappé; mais je vous dirai: aimez-vous votre pays? Le nom de patriotes, dont vous vous décorez, tous ces sermens de vous sacrifier pour vos frères, ne sont-ils que de vains sons? Quoi! vous osez mettre dans la balance votre intérêt personnel et le salut public? Loin de nous cette lâcheté? Que le peuple égaré nous blâme un jour, s'il le veut; mais qu'il jouisse de notre courage, qu'il soit libre, qu'il n'ait plus dans son sein le foyer de l'esclavage et de la discorde, et sacrifions à son bonheur, à sa sûreté, notre existence et notre réputation même, si la liberté l'exige: voilà quels doivent être lęs sentimens d'un vrai patriote.

Si vous admettez une seule fois que le peuple doit prononcer en personne sur toutes les mesures de sûreté générale, vous n'avez plus le droit d'en prendre une seule sans son consen

tement.

Ainsi, l'invasion de la Savoie, celle de la Belgique, la loi sur les émigrés, le changement d'un ministre, deviendront autant d'attentats à la souveraineté nationale; car on peut sur chacun de ces objets vous opposer ce dilemme.

Mais je vous demanderai si vous avez calculé les suites de cet

appel au peuple; si vous pouvez vous dissimuler que c'est une pomme de discorde que vous jetez au milieu de vos concitoyens? Voyez quels orages, quelles dissensions, le simple abord de cette question a jeté parmi les membres de la Convention, et jugez par-là de ce que la discussion dans les assemblées primaires peut produire d'alarmant pour la tranquillité publique? Les haines qui pourraient en résulter se propageraient peut-être jusqu'à nos descendans, et dans cent ans on verrait encore des familles se reprocher l'opinion de leurs pères.

Quant à moi, mon choix est fait ; que Louis périsse, que le peuple soit sauvé, et que tous les maux dont on nous menace retombent ensuite sur ma tête s'il le faut, je les brave; on n'est jamais malheureux quand on s'est sacrifié pour son pays.

Dubois-Crancé. Après quatre jours d'une discussion décrétée devoir être définitive, mais qui n'a perdu à mes yeux, rien de sa simplicité, je vais combattre une proposition qui, selon moi, mettrait le comble aux malheurs de la patrie; mais je ne puis aborder cette question qu'avec un sentiment profond d'inquiétude. Depuis quatre ans j'ai l'œil fixé sur notre révolution ; j'en ai suivi pas à pas toutes les chances; j'ai vu détruire des principes éternels, corrompre l'esprit des meilleures lois; j'ai vu le peuple constamment trahi par ceux à qui il avait donné sa confiance; puisse cette fatale expérience nous garantir un meilleur avenir: je songe qu'à peine il y a cinq mois, la majorité du corps législatif, séduite et trompée, marchait avec Louis et Brunswick à la contre-révolution, et que, sans le noble désespoir du peuple, non-seulement nous ne délibérerions pas ici, mais aucun de nous peut-être ne respirerait encore. Serait-il possible que le même aveuglement nous entraînât encore aujourd'hui à notre perte!

J'ai jugé ce que nous avions à attendre de Louis dès 1789. Lorsque après avoir vu échouer les plus noirs complots, après la prise de la Bastille, il vint, pour dernière ressource, se jeter dans le sein de l'assemblée constituante, assemblée qui, la nuit précédente, devait être par ses ordres criblée de mitraille; il fut, pour ainsi dire, porté en triomphe; les représentans et le peu

ple pleuraient d'attendrissement: Louis seul était impassible; et ses frères orgueilleux osaient nous menacer.

Louis est reconnu coupable d'avoir conspiré contre la nation, et si cette question était seule à décider, il serait inutile de prolonger la discussion; mais on s'attendrit sur le sort d'un homme, lorsque des milliers d'individus ont été victimes de sa barbarie, et que vingt-cinq millions d'hommes peuvent le devenir encore. N'est-ce donc plus un simple criminel qui se présente à vos yeux, ou est-ce l'image de la royauté que vous n'osez regarder en face?

Si vous ne voulez pas vous charger de la responsabilité entière du jugement, il est un système simple dont on ne vous a pas parlé; je m'y serais rallié, si je n'avais un mandat exprès pour juger Louis Capet ; ce serait de déclarer, par appel nominal, que Louis est coupable de haute trahison, et d'envoyer des courriers extraordinaires aux tribunaux criminels des quatre-vingt-quatre départemens, pour qu'ils ouvrent le livre de la loi et qu'ils appliquent la peine. Si l'on voulait suivre ce plan sans aucun moyen dilatoire, avec loyauté, je descendrais de la tribune; mais j'ai entendu dire que cinq cents membres de la Convention voulaient un appel de ce jugement au peuple. C'est cette opinion que je vais combattre.

Si je ne puis porter ma conviction dans le cœur de mes collègues, je ne serai pas au moins responsable de ce que j'appelle un crime de lèse-nation. Le peuple est accusateur ; il le fut dans la journée du 10 août, il le fut en emprisonnant le tyran, il le fut en nommant la Convention nationale et en lui remettant le soin de sa vengeance. Vous lui renverriez donc un jugement qu'il vous a chargés de porter; vous déplaceriez en votre faveur la souveraineté. C'est le peuple qui doit déléguer les pouvoirs, et vous vous arrogeriez le droit de déléguer, à lui souverain, le pouvoir de juger! Vous iriez plus loin, vous le circonscririez dans des formes sans lesquelles le jugement serait nul; car votre intention n'est pas sans doute que, par une irrégularité de décisions, telle qu'en offre la combinaison de trente mille jugemens

[ocr errors]

partiels, Louis Capet reste impuni. Vous prescririez donc des lois aux assemblées primaires? Que deviennent alors vos belles protestations de respect à la souveraineté? Mais si les citoyens étaient partagés d'opinions, qui donc déciderait entre le peuple et le tyran? Seraient-ce les émigrés? En un mot cet appel au peuple est si absurde, que Louis Capet lui-même, qui eût été seul intéressé à le demander, l'a positivement refusé. Il vous a cité cette maxime de Jean-Jacques : « La volonté générale ne peut prononcer comme volonté générale, ni sur un fait, ni sur un individu. >

Vengeous notre patrie du tyran qui a voulu l'asservir. Disons ensuite au peuple : Faites voler nos têtes sur l'échafaud ; nous rendrons grace aux dieux. Nous avons sauvé la patrie.

Corin-Fustier. Mon opinion consiste dans cette proposition simple. Les sections de Paris ont cherché à influencer la Convention par des pétitions pour que cette influence ne soit pas reprochée, il faut que la nation entière soit consultée.

La discussion est ajournée au lendemain.

La séance est levée à cinq heures.]

SÉANCE EXTRAORDINAIRE DU LUNDI SOIR,

destinée à entendre la lecture des adresses venues des départemens.

On lit une lettre des commissaires de la Convention à Nice, dans laquelle ils expriment leur vou sur le jugement de Louis XVI. Lasource, Goupillau, Collot-Herbois, votent pour la mort de Louis Capet.

Le rapporteur du comité des pétitions lit les adresses; en voici une analyse:

Les administrateurs du département des Ardennes jurent de mourir en faisant exécuter les lois.

L'assemblée électorale du département des Hautes-Alpes s'exprime ainsi :

S'il existait une tête qui voulût s'élever au-dessus des autres, qu'elle soit abattue; si quelqu'un parlait de royauté, de dictature, de triumvirat, qu'il périsse; s'il était quelque portion du

« PreviousContinue »