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ils virent paraître dans cette même plaine vingt mille Sarrasins; qui étaient allés assiéger Joppé, n'a

vaient point assisté à la bataille de la veille, et s'étaient portés sur la ville d'après les ordres de l'émir Afdal, pour livrer plusieurs assauts. Comme il n'y avait aucun moyen de les éviter, le roi fit aussitôt ses dispositions, et s'adressant avec fermeté et à haute voix à tous les siens, il chercha à les encourager : « Voici, dit-il, ils viennent à nous avec toutes <«<leurs armes; et nous fatigués des combats, nous « sortons à peine des mains de nos ennemis, que « nous avons vaincus par la seule protection de « Dieu. Nos grands et tous nos chevaliers sont tom«bés, il ne reste que nous; et que ferions-nous en « un si petit nombre contre tant de milliers d'hom<< mes qui n'ont point encore combattu ? Nous som«mes en petit nombre et accablés de fatigues; nous « n'avons aucun moyen, aucun lieu de retraite pour «< leur échapper; je ne sais donc ce que j'ai à pres« crire, si ce n'est que nous tenions ferme pour com<«< battre ces hommes dénués de foi, au nom du Sei«gneur Jésus, et par la puissance de la sainte croix. « Dieu a le pouvoir de nous délivrer des mains « de ceux-ci, comme il nous a délivrés des mains « d'un plus grand nombre, et d'hommes plus forts. « Si nous sommes destinés à la mort et à la destruc«<tion, ayons la confiance et l'espoir qu'en livrant « nos corps en ce monde pour le nom de Jésus, << et pour les lieux saints de Jérusalem, nous pourrons « dans l'avenir conserver nos ames pour la vie éternelle, « avec ceux de nos frères qui sont tombés dans le << combat d'hier, immolés pour l'amour du Christ. »

Après cette exhortation, les chevaliers et les hommes de pied, fortifiés par l'espoir de la vie éternelle, attendirent les bandes ennemies qu'ils voyaient arriver de loin, et se couvrant de leurs armes, ayant toujours devant les yeux le bois du Seigneur, ils engagèrent bientôt un rude combat. Aveuglés et affaiblis, frappés de terreur par ce bois vénérable qui leur était opposé comme un bouclier, les Sarrasins ne soutinrent pas long-temps la bataille. En voyant l'intrépidité audacieuse des Chrétiens, et les traces récentes de la défaite de leurs compagnons, les uns se sauvèrent vers Ascalon, les autres vers les montagnes de Jérusalem; tous vaincus et dispersés prirent la fuite; le roi les poursuivit avec fureur et en fit un nouveau carnage. Dès qu'il fut de retour il rallia le petit nombre de ses chevaliers, et se rendit à Joppé avec de nouvelles dépouilles, en or, en argent, en chevaux, mulets, et en toutes sortes de richesses. Là, s'étant dépouillé de sa cuirasse de fer et de ses vêtemens dé pourpre, il sembla que toutes les choses qu'il portait sur lui se fussent baignés dans le sang des ennemis. Le roi passa cette nuit dans la joie et l'allégresse, et au milieu d'une grande abondance de vivres. Les citoyens se portèrent en hâte dans la plaine d'Ascalon, où ils enlevèrent des tentes, de l'or et de l'argent, et beaucoup de précieuses dépouilles sur les cadayres même des Gentils : le roi et ses quelques chevaliers n'avaient pu les transporter d'abord, et les habitans de Joppé les rapportèrent dans la ville avec le secours des ânes et des chameaux. Le lendemain au point du jour, le roi remonta vers Jérusalem, et lorsqu'il y fut arrivé, il adjugea à l'hô

460 ALBERT D'AIX. HISTOIRE DES CROISADES.

pital et aux pauvres du Christ la dîme de toutes les dépouilles et du butin pris sur l'ennemi.

Cette même année, peu de temps avant ces batailles, et dans le courant du mois d'août, Wicker l'Allemand avait été pris d'une fièvre violente et était mort dans la ville de Joppé, où il fut aussi enseveli, armé du même glaive avec lequel, sur le pont d'Antioche, il avait pourfendu un turc à travers sa cuirasse et ses vêtemens: ce guerrier eût rendu de grands services. au roi dans ces deux journées, si la mort ne l'eût prévenu. Il y avait dans le pays de Joppé un lion d'une taille et d'un aspect horribles, qui dévorait très-souvent dans les montagnes voisines des hommes et des bœufs. Un jour ce lion voulut attaquer un cheval qui paissait dans la prairie: Wicker, chevalier illustre, prit son bouclier et marcha contre lui. Le lion, aux pieds légers et habile à sauter vint se présenter face à face; le chevalier le frappa de son glaive bien affilé, lui fendit la tête d'un coup vigoureux, et laissa l'animal cruel autant qu'intrépide mort au milieu de la plaine.

FIN DU TOME PREMIER.

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