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Provinciales est quelque part, elle est là : dans ce goût sévère et caché qui règle le choix des mots et des tours, celui du ton de la plaisanterie et de la véhémence du mouvement, sur l'importance vraie de la pensée qu'ils expriment.

F. BRUNETIÈRE, Introduction à l'édit. Hachette.

NARRATIONS ET DIALOGUES

I

Arnauld et Pascal. Au moment où la Sorbonne se préparait à condamner Arnauld, celui-ci, sollicité par ses amis, se résolut à porter sa cause devant le public, et composa un écrit où il se défendait et attaquait tour à tour. Au jour fixé pour la lecture, les amis se réunissent avec empressement. Arnauld lit, on l'écoute, mais en silence, et sans applaudir. Quand il a fini, on se tait encore. « Je vois bien, dit-il, que vous ne trouvez pas cet écrit bon pour son effet, et je crois que vous avez raison. » Puis, se tournant vers Pascal, qui semblait absorbé par de graves pensées, il s'écria : « Mais vous, qui êtes jeune, vous devriez faire quelque chose. » Étonné d'abord, embarrassé, mais entouré bientôt et pressé par ses amis jansénistes, Pascal consent enfin à écrire les petites lettres qui seront les Provinciales.

II

Une alerte. Sainte-Beuve raconte ainsi un incident qui égaye l'histoire de l'impression secrète des Provinciales : « Pour plus de sûreté, Pascal s'alla cacher, sous le nom de M. de Mons, dans une petite auberge de la rue des Poirées, à l'enseigne du Roi David, derrière la Sorbonne et tout vis-à-vis le collège des Jésuites. M. Périer, son beau-frère, étant arrivé à Paris sur ces entrefaites, se loga dans la même auberge; un jésuite, le P. de Fretat, un peu son cousin, l'y vint voir, et lui dit qu'en bon parent il le devait avertir qu'on mettait dans la Société les Provinciales sur le compte de son beau-frère, M. Pascal. M. Périer répondit comme il put: il y avait au moment même sur son lit, derrière le rideau entr'ouvert, une vingtaine d'exemplaires de la septième ou huitième lettre, qui étaient à sécher. Dès que le jésuite fut dehors. M. Périer, délivré d'angoisse, courut conter l'histoire à Pascal, qui demeurait dans la chambre d'au-dessus, et ils en firent une gorge chaude, comme on dit. »

III

Louis Racine nous raconte que le P. Bouhours, causant un jour avec Boileau de la difficulté de bien écrire en français, s'étonna de lui voir critiquer la plupart des écrivains en qui lui voyait des modèles. « Quel est donc, selon vous, lui demanda-t-il, l'écrivain parfait ? Que lirons-nous? Mon Père, répondit brusquement Boileau, lisons les Lettres provinciales, et, croyez-moi, ne lisons pas autre chose. » Discussion vive, mais amicale, entre le jésuite et le satirique, qui s'anime de plus en plus.

IV

Dans la préface de son édition des Provinciales, Nicole affirme que certains amis de Pascal, entre la quatrième et la cinquième lettre, lui représentèrent « qu'il quittait trop tôt la matière de la Grâce; que le monde paraissait disposé à souffrir qu'on l'en instruisit, et que le succès de sa dernière lettre en était une preuve convaincante. «< Mais la lecture d'Escobar, suivant le même Nicole, aurait décidé Pascal à abandonner la question de principe pour la question morale. On suppose un dialogue entre Arnauld, grand admirateur des lettres dogmatiques, et Pascal, qui sent la nécessité de changer de sujet et de ton.

V

Pendant son séjour à Uzès, Racine, jeune encore, écrit à M. Vitart, son parent (30 mai 1662) : « Je ne vous prie plus de m'envoyer les Lettres provinciales; on nous les a prêtées ici; elles étaient entre les mains d'un officier de cette ville, qui est de la religion (réformée). Elles sont peu connues, mais beaucoup estimées de ceux qui les connaissent... Nous avons ici le P. Meynier, jésuite, qui passe pour un fort grand homme. On parle de lui dans la seizième Lettre au provincial. Il n'a pas mieux réussi à écrire contre les huguenots que contre M. Arnauld. » Le P. Meynier et Racine se rencontrent chez l'oncle de Racine, le chanoine Sconin. Une conversation s'engage sur les Provinciales; Racine indique certains mérites, au moins littéraires, des Provinciales, mais avec discrétion, sans parti pris, et en ayant grand soin de ne pas blesser son contradicteur.

VI

La première Provinciale fut lue, dit-on, à l'hôtel de Nevers, chez Mme du Plessis, devant une brillante assistance, où la Rochefoucauld, Rancé, Mmes de la Fayette, de Sablé, etc., figuraient au premier rang. Les principaux parmi les auditeurs échangent leurs impressions après la lecture.

LETTRES

I

Lorsque la première Provinciale parut, un des jansénistes les plus militants et les plus austères, M. Singlin, ne partagea pas, dit-on, l'enthousiasme général. Le ton de la plaisanterie qui régnait dans un sujet aussi sérieux inquiétait son âme scrupuleuse. Mis au courant de ses craintes, Arnauld lui écrit pour le rassurer.

II

Mme de Grignan ne partageait pas l'admiration de sa mère pour Pascal. Elle jugeait que le style de Pascal, «< c'est toujours la même chose ». Mme de Sévigné lui répond un jour où elle vient de relire quelqu'une des Lettres provinciales.

III

Nicole écrit à Pascal pour lui soumettre le recueil des Lettres provinciales, traduites par lui en latin, dans le but d'en accroître, par toute l'Europe, le succès déjà éclatant.

IV

Enfermé à la Bastille pour ses imprudences de langage et de conduite, Bussy-Rabutin fut, dit-on, sollicité d'écrire une réponse aux Provinciales. On lui laissait entendre que s'il y consentait, le P. Annat, tout-puissant près du roi, dont il était le confesseur, obtiendrait sa grâce. Le prisonnier fut tenté d'abord d'acheter la liberté à ce prix; il accepta même; mais presque aussitôt il revint sur une promesse inconsidérée, dont son esprit clairvoyant et son goût délicat lui firent sentir les dangers. On suppose qu'il motive son refus dans une lettre adressée au P. Rapin.

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