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contre lui. C'est même à cet ordre de considérations que nous empruntons notre objection la plus forte. M. Astié nous pardonnera-t-il d'avoir violé les préceptes de sa rhétorique, en la réservant pour la dernière?

Si Pascal eût mis immédiatement le pécheur auquel il a dévoilé sa misère en présence de l'homme-Dieu, quelle puissance aurait eue la dernière partie de l'œuvre, dans laquelle il serait revenu sur ses pas pour parler des prophéties, des miracles et des figures? Il peut en parler avant d'avoir approché du lieu très-saint; l'intérêt dramatique, qu'il a trouvé le secret d'exciter, donne du prix à tout ce qui vient fortifier ce rayon de lumière, tout à coup découvert dans les ténèbres. Mais plus tard, quand le but est atteint, quand le soleil nous a été montré, quand la puissance de la preuve interne a dissipé tous les doutes, à quoi bon ces lumières nouvelles et incertaines qui s'éclipsent devant le grand astre? à quoi bon toutes ces preuves surérogatoires? à quoi bon, après l'argument décisif, des arguments dont la force plus contestable ne servirait qu'à ébranler la conviction? La conscience a fait entendre sa grande voix. A quel oracle vous adressez-vous encore? quel prophète sera digne de parler après elle?

Dans de pareilles circonstances, une dissertation nécessairement froide et calme sur le peuple juif, la révélation, les prophètes viendrait-elle donc plus à propos? Pascal ne serait-il plus coupable alors d'abandonner le champ de bataille après avoir remporté la plus glorieuse victoire, et de briser l'épée à deux tranchants qui vient de lui servir à prosterner ses adversaires à ses pieds pour recourir à la pesante armure de l'apologie ordinaire?

Soyons conséquents. Voulez-vous, oui ou non, réserver une petite place aux preuves historiques? Si vous voulez les exclure, dites-le; sinon, où les placerons-nous? J'en suis vraiment fort en peine. Pascal essaie-t-il de les employer à l'entrée de la seconde partie, on le lui interdit, sous prétexte

que la première étant toute morale, il descendrait des hauteurs de la preuve interne aux lieux communs des vulgaires apologistes. Mais que serait-ce done quand il serait parvenu jusqu'aux plus hauts sommets de l'apologie chrétienne, quand il aurait gravi le coteau du Calvaire pour y contempler Christ sur la croix? Ah! c'est alors que la chute serait complète! Pour prêter une pareille inconséquence à un tel homme, il faut, c'est vous qui le dites, il faut absolument y être forcé.

Je crains fort que, dans le système de M. Astié, il n'y ait place nulle part pour les développements historiques, et que, pour rendre Pascal conséquent avec lui-même, il ne soit obligé d'en retrancher la moitié. Mais ce dont je crois être sûr, c'est que si Pascal eût été fidèle au plan qu'on lui impose, il eût terminé d'une manière pâle et languissante. Or l'auteur des Provinciales n'avait pas coutume de terminer ainsi.

Qu'on lise Pascal dans l'édition de M. Astié. Cette lecture, ou je m'abuse étrangement, confirmera tout ce que j'avance. Au lieu de conclure avec autorité, Pascal s'allonge indéfiniment sur des sujets d'une importance secondaire, en comparaison de ceux qu'il vient d'aborder. Il termine, non en posant la clef de voûte, mais en travaillant à consolider l'édifice par des étais extérieurs. Le lecteur s'impatiente. Il y a des choses fort remarquables dans ce que dit Pascal du peuple juif, mais dans le Pascal de M. Astié elles perdent une grande partie de leur prix, tant il est vrai que les belles choses ellesmêmes ont besoin d'être à leur place.

Ce n'est pas une tâche facile que de refaire l'œuvre de Pascal. Ce grand homme avait la main souple et forte. Son apologie n'est pas tant d'un théologien que d'un homme et d'un artiste. Pour lui, défendre une cause, ce n'est pas simplement exposer les motifs sur lesquels elle fonde son droit; c'est toute une œuvre de stratégie qui demande des ménagements infinis, une habileté consommée à profiter des accidents du terrain et des points faibles de l'adversaire, à employer tour à tour et au

juste moment l'autorité et l'adresse, à mettre en œuvre toutes les ressources de l'attaque et de la défense, jusqu'à ce que la cause soit gagnée et gagnée sans retour. Pascal est un grand tacticien. C'est un trait de son génie que les deux volumes de M. Astié ne font guère ressortir.

Un juge compétent, doué d'un sens critique très-fin, M. le professeur Vulliemin, après avoir, il y a quelque temps déjà, analysé l'ouvrage de M. Astié, concluait ainsi : « Il nous semble, s'il était encore au milieu de nous, voir M. Vinet, l'interprète le plus intelligent et le plus sympathique qu'ait encore eu Pascal, sourire à cette édition qu'il a inspirée, et que M. Astié a consacrée à sa mémoire bénie: «On m'a pris mon Pascal, » disait-il en parlant de je ne sais laquelle des éditions qu'il a connues; « Pascal, dirait-il, s'il avait celle-ci en main, mon Pascal m'a été rendu1. »

Vinet parlerait-il vraiment ainsi? J'ai peine à le croire. Il serait heureux sans doute de voir Pascal étudié avec amour; mais il n'admettrait pas, que je sache, le brusque et malheureux passage essayé par M. Astié entre les deux parties des Pensées, et sur lequel M. Vulliemin, malgré la bienveillance de sa critique, ne se prononce qu'avec hésitation. Vinet était trop artiste lui-même; il avait d'ailleurs un sentiment trop exquis de l'art de Pascal, pour permettre qu'on y portât la moindre atteinte, fût-ce au nom des convictions qui lui étaient le plus chères.

Pour nous, après la lecture du nouveau Pascal, nous sommes resté sous une impression pénible. Si cette édition devait être définitive, si elle devait supplanter toutes les autres, nous n'aurions plus qu'à dire avec Vinet: « On m'a pris mon Pascal.»Voilà pourquoi nous réclamons.

Revue chrétienne, novembre 1857.

EUGENE RAMBERT.

(La fin au prochain numéro.)

LE COSMOS DE M. A. DE HUMBOLDT.

I

Le quatrième et dernier volume du Cosmos1 vient de paraître. C'est un événement important dans la littérature scientifique, puisque l'œuvre considérable qu'avait entreprise, il y a bien des années déjà, un auteur illustre, se trouve maintenant achevée.

« J'offre à mes compatriotes, au déclin de ma vie, un ouvrage dont les premiers aperçus ont occupé mon esprit depuis un demi-siècle. Souvent je l'ai abandonné, doutant de la possibilité de réaliser une entreprise trop téméraire, toujours et imprudemment peut-être j'y suis revenu, et j'ai persisté dans mon premier dessein. »Voilà en quels termes, il y a bientôt quatorze ans, M. de Humboldt commençait la préface de son premier volume. Aujourd'hui l'ouvrage entier, tel qu'il avait été conçu, se trouve livré au monde savant.

Dans le

pre

Le plan qui a été suivi par l'auteur a pu sembler étrange, ou plutôt on a pu douter parfois qu'il y eût un plan précis. Actuellement que l'œuvre est terminée, on aperçoit mieux peut-être le développement de ce vaste projet. mier volume, l'auteur, après une introduction remarquable, fait une description générale et rapide de l'univers. Des nébuleuses et du ciel stellaire, il passe au système solaire, puis à notre globe. Il le décrit à grands traits, en donnant un aperçu

1

Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung, von Alexander von Humboldt. Stuttgart und Tübingen, J.-G. Cotta'scher Verlag, 1850-1858. L'édition française du dernier volume n'a pas encore paru; elle est sans doute en traduction.

des forces physiques qui sont en jeu à sa surface et dans son intérieur, puis il consacre quelques pages à des réflexions générales sur le monde organique. Ce premier volume est un tableau de l'univers tout entier; c'est un panorama qui se déroule pour le lecteur, et où la richesse des détails est toujours subordonnée à la considération du lien qui rattache les faits les

uns aux autres.

Le second volume a pour objet l'influence que le spectacle et l'étude de la nature ont eue sur l'esprit de l'homme. L'auteur y examine comment le monde extérieur se reflète dans la pensée et l'imagination des peuples aux divers âges de l'histoire de l'humanité. Il étudie les variations de cette pensée dépendant des temps, des races et des lieux, et cherche comment l'idée du Cosmos s'est modifiée, perfectionnée, agrandie à travers les siècles. Cette étude est aussi une histoire des découvertes et par l'abondance des détails, la justesse des rapprochements, elle révèle la vaste érudition d'un esprit éminemment philosophique. -La portion uranologique ou astronomique de la Description physique du monde est l'objet du troisième volume. Une première partie traite de l'astronomie stellaire; une seconde partie, du système solaire. Le quatrième volume enfin, celui qui vient de paraître, termine cette œuvre importante en comprenant l'étude de la terre; c'est la partie tellurique, comme le disent les Allemands, de la description du monde.

II

Ce n'est point en quelques lignes, ni même en quelques pages, qu'on peut donner une idée des divers sujets que M. de Humboldt a abordés dans le volume dont nous parlons. Là, comme dans ses publications précédentes, la richesse des faits vient servir au développement des idées générales.

L'étude physique du globe terrestre est trop vaste pour qu'il eût été possible de l'embrasser d'une manière complète, et

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