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sacs contre les murailles, afin d'amortir le choc des pierres que lançaient les mangonneaux et d'en préserver leurs fortifications. Le duc voyant ce nouvel obstacle, et retirant immédiatement du feu des flèches embrasées, les lança avec une arbalète contre les cordes et les sacs; le feu s'attacha aussitôt aux substances desséchées, un vent léger l'entretint et l'anima; bientôt les sacs et les cordes furent brûlés, et l'on recommença à battre les murailles en brèche.

Afin de mieux assurer l'effet de cette attaque et la destruction des murailles, on fit avancer un bélier d'un poids et d'une dimension énormes, et recouvert de claies en osier. Poussé avec une grande vigueur par une quantité innombrable de pélerins au-delà du fossé de la ville qu'on avait comblé, le bélier attaqua et renversa en un moment les barbacanes, c'est-àdire la muraille extérieure; et ouvrant ainsi un chemin pour conduire la machine vers les murailles intérieures et plus antiques, il pratiqua une large et terrible ouverture, par laquelle on arrivait ainsi jusque sur la ville. Les Sarrasins, voyant cette vaste brèche et ne pouvant demeurer plus long-temps exposés à un si grand péril, firent du feu avec du soufre, de la poix et de la cire, et brûlèrent le bélier qui se trouvait placé tout près des murailles de la ville, de peur qu'il ne recommencât à les battre de sa tête de fer, ou qu'il n'agrandît la brèche déjà ouverte. Aussitôt les serviteurs de Dieu, poussant des cris, allèrent de tous côtés dans les tentes pour chercher de l'eau, et parvinrent enfin à éteindre les flammes qui consumaient le bélier.

Dans le même temps les mangonneaux continuaient sans relâche à battre les murailles et en éloignaient les Sarrasins qui cherchaient à les défendre. Sans prendre aucun moment de repos, les Chrétiens dressèrent aussitôt leur grande machine avec tous ses agrès, ses cloisons intérieures, ses étais superposés, ses claies doublées de cuirs de taureau, de cheval et de chameau, et ils y firent entrer des chevaliers, qui devaient attaquer la place et combattre avec plus de facilité contre les assiégés. Ils travaillèrent avec ardeur, depuis le jour du sabbat, à assembler toutes les pièces de cette machine, et n'eurent terminé leur entreprise que le cinquième jour de la semaine, vers le soir. Le duc Godefroi et son frère Eustache, et deux autres frères, Ludolfe et Engelbert, originaires de la ville de Tournai, furent chargés de veiller sur cette machine et de diriger l'attaque contre la ville. Le duc et les siens occupèrent l'étage supérieur; Ludolfe et son frère, et les autres Chrétiens qui les suivaient, se placèrent dans l'étage du milieu, et l'étage inférieur fut réservé pour ceux qui devaient pousser la machine contre la muraille. Lorsque tous les chevaliers eurent occupé le sommet de la machine et les autres étages, les barbacanes se trouvant renversées et le fossé comblé, les Chrétiens mirent eux-mêmes et volontairement le feu à leur bélier, qu'il était trop difficile de faire mouvoir à cause de sa pesanteur, et qui pouvait, par son immensité, mettre obstacle aux mouvemens de la machine mobile.

Le sixième jour de la semaine, et dès le matin, les chevaliers sarrasins et tous ceux qui étaient dans la ville, voyant cette machine toute dressée et remplic

d'hommes cuirassés, furent frappés de stupeur et de tremblement, et s'étonnèrent que les chevaliers fussent de si grand matin armés et prêts au combat. Ceuxci, en effet, tiraient à coups de flèches sur tous ceux qu'ils voyaient marcher dans la ville, et comme leur machine s'élevait au dessus des murailles, ils ne cessaient de combattre et de lancer des traits et des pierres sur tous les individus qu'ils découvraient dans l'enceinte intérieure de la place. De leur côté les Gentils, se réunissant en groupes, ne se faisaient pas faute de lancer également des flèches pour atteindre le duc et résister à ses efforts; d'autres se portaient sur les remparts et blessaient les pélerins de leurs traits légers, et les pèlerins à leur tour leur répondaient vigoureusement. Au milieu de ce combat, également acharné au dedans et au dehors, les chevaliers enfermés dans la machine, qui s'élevait au dessus des murailles de la ville de la hauteur d'une lance de frêne, lançaient d'énormes blocs de pierre pour faire brèche aux murailles et répousser ceux qui les défendaient, et en même temps ils frappaient à coups de flèches et de pierres ceux des Sarrasins qui erraient çà et là dans la ville. D'un autre côté, et sur la montagne de Sion, les chevaliers du comte Raimond, enfermés dans une autre machine, lançaient aussi des pierres et des traits pour faire brèche aux murailles et frapper ceux qui leur résistaient, tandis que ceuxci se consumaient en vains efforts contre la machine du comte cette machine avait été dressée et appliquée de ce côté contre la muraille, pendant la même nuit et à la même heure où la machine commandée par le duc Godefroi était dressée sur un autre point.

Tandis que le siége de la Cité sainte se prolongeait ainsi, quoique les Chrétiens employassent avec la plus vive ardeur tous les moyens possibles pour parvenir à s'en rendre maîtres, on entendait parler sans cesse des menaces du roi de Babylone et des forces dont il disposait. Des transfuges qui, avant le moment où la ville fut prise, indiquèrent au frère Tancrède les trésors et les ornemens renfermés dans le temple du Seigneur, firent alors connaître aux princes de l'armée que l'on envoyait constamment des messagers au roi de Babylone pour l'informer de tout ce qui se passait, et que ces messagers sortaient par le côté de la ville qui n'avait pu être investi, et par la porte de la montagne des Oliviers et de la vallée de Josaphat; que très-souvent aussi les messagers du roi rentraient dans la ville par la même issue, portant en secret à ses défenseurs les avis et les instructions de ce roi, et qu'enfin les Chrétiens pourraient réussir facilement à intercepter ces communications. Aussitôt les princes chrétiens tinrent un conseil secret, à la suite duquel ils allèrent, au milieu de la nuit, placer des hommes en embuscade dans la vallée et à la sortie de la montagne, faisant ainsi observer soigneusement tous les chemins en avant et en arrière, afin que personne ne pût descendre d'Ascalon, de Babylone ou de toute autre partie du royaume, et tenter de porter, comme à l'ordinaire, les messages, en passant par la porte demeurée libre, sans tomber dans un piége et sans être fait prisonnier, ne pouvant trouver aucun moyen de refuge, ni échapper aux mains de ces nouveaux surveillans.

Déjà les sentinelles des Chrétiens avaient été pla

cées sur les chemins, ainsi que sur la montagne des Oliviers, lorsqu'au milieu des ténèbres de la nuit, deux Sarrasins venant d'Ascalon et portant aux assiégés des dépêches du roi de Babylone, tombèrent dans le piége qui leur était préparé, au moment où ils espéraient entrer dans la ville sans aucun obstacle. Les chevaliers qui veillaient auprès de la porte s'emparèrent aussitôt de ces deux hommes; mais l'un fut percé d'un coup de lance par un jeune imprudent, et expira bientôt après; l'autre fut conduit sain et sauf en présence des princes chrétiens, afin qu'on pût lui arracher par des menaces, ou en lui promettant la vie sauve, l'aveu de ce qu'il était chargé d'annoncer, et que par ce moyen les coups des ennemis connus à l'avance fussent moins dangereux. Tremblant et rempli d'inquiétude pour sa vie, le Sarrasin déclara beaucoup de choses sur le roi de Babylone et sur son message; il annonça qu'il était chargé d'inviter les fidèles chevaliers du roi et les habitans de la ville à ne point se laisser abattre par la terreur et les fatigues, à se soutenir les uns les autres, à demeurer fermes dans la résistance, assurés qu'ils devaient être que le roi avait résolu de marcher à leur secours avec de grandes forces de là en quinze jours, afin d'exterminer les Français, et de délivrer les assiégés. Après cette déclaration et plusieurs autres, le Sarrasin fut rendu aux chevaliers, qui lui lièrent les pieds et les mains, et le firent placer sur un mangonneau, afin qu'au premier ou au second effort de cette machine, son corps fut jeté par-delà les murailles de la ville. Mais la machine, surchargée de ce poids extraordinaire, ne put lancer bien loin le malheureux

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