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rins, ranimés par les paroles de ces hommes vaillans, se remirent tous aussitôt à la poursuite de leurs ennemis; ils combattirent long-temps contre eux; de part et d'autre il y eut beaucoup de morts et de blessés, et Baudouin du Bourg fut blessé d'un trait qui le frappa sur la poitrine.

Enfin les Chrétiens ayant pris l'avantage et mis les Sarrasins en fuite, retinrent prisonnier un de leurs chevaliers, homme très-noble, au front chauve, à la taille élevée, déjà chargé d'années et très-gros de corps; ils le conduisirent à Jérusalem, et l'attacherent avec des chaînes de fer dans la tente de Baudouin du Bourg; mais le Turc alla fièrement s'asseoir sur le trône de Baudouin, recouvert d'une pourpre extrêmement précieuse. Les princes chrétiens voyant que le Sarrasin était noble, vaillant et rempli de sagesse, cherchèrent souvent à recueillir des informations sur sa vie et sa conduite, eurent plusieurs discussions à ce sujet, et firent leurs efforts pour le convertir à la foi chrétienne. Mais comme il s'y refusa obstinément, on le fit conduire en face de la tour de David, et l'écuyer de Baudouin lui trancha la tête en présence de tous les Turcs qui défendaient cette tour, afin qu'ils fussent effrayés par cet exemple. Les corps des deux princes Gilbert et Achard, morts en combattant les Turcs, furent ensuite transportés dans le camp au milieu des lamentations de tous les Chrétiens; les prêtres catholiques célébrèrent leurs obsèques, et déposèrent leurs ossemens dans le cimetière de leurs frères chrétiens, situé en dehors de la ville.

Le siége de Jérusalem, la Cité sainte et notre mère

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commune, que les enfans adultérins avaient envahie, et disputaient aux fils légitimes, fut commencé le troisième jour de la seconde semaine du mois de juillet, mois insupportable à cause de l'ardeur excessive du soleil, principalement dans cette contrée de l'Orient où non seulement l'on ne trouve aucun ruisseau, mais où l'on ne rencontre même de source d'eau vive, pour si petite qu'elle soit, qu'à trois milles de la ville aussi cette chaleur brûlante du soleil, ce défaut absolu d'eau et cette sécheresse intolérable, ne cessèrent de désoler le peuple chrétien pendant toute la durée du siége. Ceux des pélerins qu'on envoyait de tous côtés chercher des sources et puiser de l'eau, revenaient quelquefois sains et saufs après avoir trouvé une fontaine, mais d'autres fois ils tombaient entre les mains des Gentils, qui les saisissaient et leur tranchaient la tête : ceux qui revenaient rapportaient, dans des sacs de peau de chèvre, une eau toute trouble, devenue bourbeuse à la suite des querelles qui s'élevaient entre ceux qui voulaient puiser en même temps, et remplie en outre de sangsues, espèce de ver qui glisse dans les mains. On faisait payer deux pièces de monnaie à chacun de ceux qui portaient les lèvres à l'embouchure très-étroite de ce sac pour avaler une gorgée de cette eau, quelque vieille et pourrie qu'elle fût, et toujours puisée dans des marais puans ou d'antiques citernes. Beaucoup de gens du menu peuple, poussés par une soif dévorante, venant à obtenir la faculté de boire de cette manière, avalaient souvent les sangsues dont j'ai parlé, et mouraient bientôt à la suite d'une enflure dans le gosier ou dans le ventre. D'ailleurs on

ne trouve que sur la montagne de Sion un petit ruisseau extrêmement faible, conduit par un aquéduc souterrain, à un trajet de flèche du palais de Salomon, jusqu'au lieu où cet édifice s'élève en forme carrée, présentant l'aspect d'un couvent entouré de murailles : les eaux du ruisseau se ramassent pendant la nuit dans l'enceinte de ce bâtiment, et le jour les habitans de la ville s'en servent et y abreuvent les animaux.

A force de puiser de l'eau l'armée chrétienne parvint à se restaurer un peu, quoique les habitans ne cessassent de lancer des traits, vers le côté qui n'était pas assiégé, sur ceux qui s'y rendaient, faisant tous leurs efforts pour repousser sans cesse les Chrétiens loin de ce réservoir. Les princes de l'armée, et tous ceux qui pouvaient payer, avaient des raisins et du vin en abondance; mais les pauvres, ceux qui avaient épuisé leurs ressources, ne trouvaient pas même, en quantité suffisante, de l'eau telle que vous venez de l'ouïr. Ce fléau augmentant journellement, et aggravant la position du peuple catholique, les princes de l'armée crurent devoir, d'après l'avis des évêques et des membres du clergé qui étaient présens, consulter un homme de Dieu qui habitait, solitaire, dans une tour antique et d'une grande hauteur, située sur la montagne des Oliviers, et lui demander ce qu'ils avaient à faire, quel parti ils devaient prendre d'abord, en lui annonçant l'ardent desir qu'ils éprouvaient d'entrer dans la ville sainte, et de visiter le sépulcre du Seigneur, après avoir entrepris un long voyage dans ce dessein, et bravé des périls infinis. L'homme de Dieu, ayant appris leurs projets et

leurs desirs, leur donna le conseil de commencer d'abord, en toute dévotion, à se mortifier par des jeûnes, de continuer assidûment leurs prières, et d'aller ensuite avec plus de confiance, et sous la protection de Dieu, livrer de nouveaux assauts contre les murailles et les Sarrasins qui les défendaient.

Par suite des conseils de l'homme de Dieu, les évêques et le clergé ordonnèrent un jeûne de trois jours, et le sixième jour de la semaine tous les Chrétiens marchèrent en procession autour de la ville; ils se rendirent de là sur la montagne des Oliviers, vers le lieu où le Seigneur Jésus monta aux cieux; et se portant sur une autre place, celle où il enseigna à ses disciples à prier, ils s'y arrêtèrent en toute dévotion et humilité. Sur ce même emplacement, Pierre l'Ermite et Arnoul de Roie (château de Flandre), clerc doué de beaucoup de science et d'éloquence, ayant parlé au peuple, apaisèrent les nombreuses querelles qui s'étaient élevées entre les pélerins en diverses occasions. Leurs exhortations spirituelles parvinrent aussi à éteindre l'inimitié qui régnait depuis long-temps entre le comte Raimond et Tancrède, et qui provenait de l'injustice du comte Raimond, lequel refusait de payer à Tancrède la solde qu'il lui avait promise. Les deux princes furent touchés de componction et se réconcilièrent. Après eux beaucoup d'autres chrétiens se réunirent également en bonne intelligence, et toute la procession des pélerins descendit alors de la montagne des Oliviers et se rendit sur la montagne de Sion, dans l'Église de la sainte Mère de Dieu. Pendant ce trajet, des clercs vêtus de blanc et portant avec respect des reliques

de Saints, et un grand nombre de laïques furent frappés par les flèches des Sarrasins, qui du haut de leurs remparts voyaient passer le cortége, car les murailles de la ville ne sont éloignées de l'église de Sion qu'à la distance d'une portée de flèche. Afin d'exciter la fureur des Chrétiens et en témoignage de mépris et de dérision, les Sarrasins dressèrent des croix sur le même emplacement, et crachèrent sur ces croix, tandis que d'autres ne craignaient même pas de les arroser de leur urine en présence de tout le monde.

Les jeûnes, la sainte procession, les litanies et les prières étant terminés, et le ciel déjà enveloppé dans les ténèbres, au milieu du silence de la nuit, on transporta les diverses pièces de la machine et tout l'attirail des instrumens à projectiles, vers le quartier de la ville où est situé l'oratoire du premier martyr Étienne, du côté de la vallée de Josaphat : c'était un jour de sabbat, et l'on dressa aussitôt autour de la machine des tentes transportées de la première station. Ce fut là que l'on termina entièrement la construction de la machine, de tous les instrumens à projectiles et du bélier. D'après une résolution des grands, on mit d'abord en place et l'on dressa trois mangonneaux, avec lesquels les Chrétiens commencèrent à livrer assaut, pour tâcher de tenir les Sarrasins éloignés des murailles et pour s'en rapprocher eux-mêmes, en continuant à lancer des traits et des pierres. Les Sarrasins voyant qu'en effet leurs murailles étaient fortement ébranlées et battues en brèche par ce genre d'attaque, remplirent des sacs de paille, fixèrent bien près les unes des autres des cordes de vaisseau d'une grosseur énorme, et appliquèrent les

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