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expulser de cette position. Les Turcs, de leur côté, marchèrent à la rencontre du duc, pour défendre leurs tentes. On combattit long-temps des deux côtés avec le plus grand acharnement, mais enfin le duc et les siens, fatigués et épuisés, prirent la fuite et eurent grand'peine à regagner la porte par laquelle ils étaient sortis. D'autres, au nombre de deux cents environ, qui ne purent passer par cette porte à cause de ses étroites dimensions, furent tués, blessés ou faits prisonniers. Le duc ayant été ainsi repoussé et ayant perdu beaucoup de ses hommes devant la porte, les Turcs, fiers de l'avantage qu'ils venaient de remporter, sortaient par la porte de la citadelle, s'avançaient à travers des sentiers qui leur étaient connus, et dans les sinuosités de la vallée, jusque vers les remparts, s'élançaient à l'improviste, et en poussant des cris, sur les Chrétiens errants çà et là, les perçaient à coups de flèches, et remontaient aussitôt après vers leur forteresse et dans les montagnes. Le matin, à midi, le soir, on les voyait sortir de cette manière du milieu des montagnes ou de la vallée, et attaquer les Chrétiens inopinément. Boémond et Raimond, enflammés de colère, firent aussitôt creuser un immense fossé entre les montagnes et la ville, et élever une forte construction en forme de muraille, pour mettre leurs hommes à l'abri des attaques imprévues, afin que les ennemis ne pussent plus faire d'irruptions en sortant de la montagne, assaillir les chevaliers pélerins tandis qu'ils erraient imprudemment dans les divers quartiers de la ville, et les faire périr à coups de flèches. Mais les Turcs qui occupaient toujours la citadelle située sur le haut de la

montagne, descendaient souvent pour attaquer la nouvelle redoute, lui livraient de fréquens assauts et faisaient beaucoup de mal à ceux qui la défendaient, en faisant pleuvoir sur eux des grêles de flèches, et les attaquant avec diverses armes. De leur côté les chevaliers chrétiens Walbrich, Ives, Rodolphe de Fontenay, Évrard du Puiset, Raimbaud Greton et Pierre, fils de Gisie, établis gardiens et commandans dans la nouvelle redoute, résistaient, ainsi que leurs compagnons d'armes, aux attaques des Turcs, en leur opposant la lance et d'autres armes ; ils leur coupaient le chemin de la vallée, et leur faisaient essuyer de temps en temps des pertes considérables.

Tandis que les Turcs livraient ainsi de fréquens assauts devant la nouvelle redoute, et étaient vigoureusement contenus par les Français, les chevaliers de Corbahan formèrent un bataillon d'hommes de pied, sortirent par la porte supérieure de la citadelle, et, quittant les montagnes et les lieux inaccessibles, ils allèrent attaquer avec vigueur le prince Boémond, après avoir appris qu'il venait d'entrer dans la nouvelle redoute; un rude combat s'engagea, et beaucoup d'hommes succombèrent dans cette mêlée. Boémond et les siens, eussent même été vaincus, si les Chrétiens n'étaient accourus en hâte de tous les quartiers de la ville. Le comte Robert de Flandre, le duc Godefroi, quoiqu'il eût été battu dans une précédente rencontre, Robert prince de Normandie, et beaucoup d'autres chevaliers illustres et magnifiques vinrent porter secours à Boémond, et, à l'aide de leurs hommes d'armes, ils repoussèrent les Turcs loin de la

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ville et de la nouvelle redoute. Chassés avec leur prince Corbahan lui-même, ils demeurèrent pendant deux jours encore dans les montagnes, en dehors de la porte et des murailles, attendant quelque occasion de faire du mal aux Chrétiens. Mais comme ils ne pouvaient trouver dans ces collines tous les pâturages dont ils avaient besoin pour l'entretien de leurs chevaux, ils levèrent leur camp, passèrent le Fer à gué et allèrent établir leurs tentes dans la plaine, à un demimille de la ville. Le lendemain Corbahan, d'après l'avis de ses chevaliers, répartit sa nombreuse armée en plusieurs corps, qu'il disposa tout autour de la place pour bloquer toutes les portes, afin que les pélerins fussent enfermés de tous côtés et ne pussent ni à droite ni à gauche sortir de la ville et y

rentrer.

Quelques jours après que l'armée ennemie eut entrepris d'investir Antioche de tous côtés et par une belle journée, des chevaliers Turcs sortirent à cheval de leur camp, et se dirigeant vers les remparts, armés de leurs arcs de corne, ils allèrent provoquer les chrétiens à coups de flèches, espérant obtenir un succès pareil à celui dont ils s'étaient auparavant glorifiés lors de la mort de Roger, et pouvoir retourner auprès de Corbahan avec un plus grand renom. Ils livrèrent donc un assaut devant les murailles avec plus d'ardeur que jamais et descendirent de cheval afin de pouvoir attaquer plus librement, et sans exposer leurs chevaux, ceux qui occupaient les remparts, et d'avoir plus de facilité à lancer leurs traits contre les pélerins. Tancrède, chevalier plein d'ardeur, insatiable du sang des Turcs et toujours avide de le ré

pandre, ayant reconnu cet acte de folie, frémit, et dans son audace belliqueuse revêtit de la cuirasse son corps accoutumé à porter le fer; prenant avec lui des compagnons habiles à manier les chevaux et la lance, et traversant en silence l'espace compris entre les murailles et les remparts extérieurs, que l'on appelle vulgairement les barbacanes, il sortit secrètement par la porte que Boémond avait été chargé d'observer pendant que les Chrétiens assiégeaient la ville, s'élança à l'improviste et en poussant de grands eris sur les Turcs, occupés de leur entreprise, les attaqua vigoureusement, les enfonça et les écrasa. Se voyant exposés au plus grand danger, les Tures firent tous leurs efforts pour remonter sur leurs chevaux ; mais ils ne purent y parvenir qu'après que six d'entre eux eurent péri sous le glaive, pour venger la tête de Roger tombée sous le fer des ennemis devant les murs de la place. Tancrède, couvert de gloire et rempli de joie, retourna alors dans la ville auprès de ses frères, rapportant les têtes des Turcs en témoignage de sa victoire.

Un autre jour, après que Corbahan eut établi son camp, assigné les positions de tous les corps de son armée et fermé ainsi tous les chemins aux assiégés, soit pour sortir de la ville, soit pour y rentrer, les Gentils résolurent, d'un commun accord, que deux mille Turcs d'élite iraient attaquer et détruire la redoute que le duc Godefroi et les principaux chefs de l'armée chrétienne avaient construite après la grande victoire que j'ai déjà racontée, c'est-à-dire, lorsque les Turcs avaient été battus et précipités dans les eaux du Fer, sous le pont même qui traverse ce

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fleuve, redoute dans laquelle Raimond s'établit lorsqu'elle fut terminée, et qu'il garda en personne jusqu'au moment où les Chrétiens s'emparèrent de la ville. Depuis lors elle avait été abandonnée mais lorsqu'on apprit l'arrivée des Gentils, le comte Robert de Flandre appela à lui cinq cents hommes vaillans à la guerre, et se chargea de défendre cette position, de peur que les Turcs ne cherchassent à s'en emparer promptement, et que leur présence sur ce point n'empêchât les pélerins de traverser le pont et de passer de l'autre côté du fleuve. Les deux mille Turcs s'avancèrent donc courageusement et bien armés vers cette redoute, et l'attaquèrent de tous côtés à coups de flèches. Ayant mis pied à terre, faisant résonner les trompettes et poussant leurs vociférations accoutumées, ils résolurent de franchir le fossé; et, depuis le matin jusqu'à la chute du jour, ils ne cessèrent de presser vivement ceux qui défendaient la redoute. Mais Robert et ses compagnons d'armes, voyant les maux qui les menaçaient, et sachant bien qu'ils périraient de la manière la plus cruelle s'ils étaient vaincus et livrés à discrétion à leurs ennemis, résistèrent vigoureusement pour défendre leur vie, attaquèrent les Turcs avec leurs lances et leurs arbalètes et les repoussèrent par la force des armes loin du fossé : on combattit avec ardeur des deux côtés, et l'on assure qu'il y eut dans cette journée beaucoup de blessés de part et d'autre. Les Turcs n'ayant pu réussir, et voyant qu'ils s'épuisaient en vains efforts, abandonnèrent cette redoute que les Chrétiens n'avaient défendue qu'avec beaucoup de peine, et retournèrent vers Corbahan,

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