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de cette même ville, auquel il allait succéder avec l'autorisation du roi, ferait des démarches pour rentrer dans sa première dignité, et il se rendit prudemment vers Othon. L'empereur lui fit une réception honorable, le nomma sur-le-champ à l'archevêché de Ravenne, et bientôt après l'éleva au pontificat de Rome. Il arriva qu'à cette même époque, l'empereur, par le conseil du pape et d'autres personnes également zélées pour l'avantage de la religion et de la maison de Dieu, voulut chasser de l'église de SaintPaul des moines qui n'avaient de religieux que le nom, se conduisant du reste très-mal. Il devait encore, d'après les mêmes avis, leur substituer, pour . servir à leur place, des moines d'un autre Ordre, de ceux que nous appelons chanoines. Dans le temps qu'il songeait à exécuter ce dessein, il eut pendant la nuit une vision, dans laquelle lui apparut le bienheureux apôtre saint Paul, qui voulut bien donner ces instructions à l'empereur : « S'il est vrai que ce « soit le zèle de l'excellente œuvre du divin amour qui t'embrase, garde-toi de changer la règle de « cette église, en chassant les moines qui l'occupent. « Il n'est jamais permis de rejeter ou de changer la

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règle d'un Ordre ecclésiastique, quand il serait en « partie dépravé, car chacun sera jugé dans l'Or«dre où il s'est consacré au service de Dieu; et si <«< un moine est corrompu, il pourra toujours s'amen« der dans l'église où l'a appelé sa vocation. » Après cet avertissement, l'empereur répéta aux siens les paroles qu'il avait entendues de la bouche de l'Apôtre, et ne s'occupa plus que d'améliorer la règle des moines, sans songer à les chasser, ni même à les changer.

Cependant il ne fut pas aussi bien inspiré, quand il prit pour épouse la veuve de ce Jean Crescentius, et peu de temps après cette résolution peu réfléchie, il la répudia. Enfin, au moment où il se préparait à revenir en Germanie, la mort le surprit en Italie, Les soldats qu'il avait amenés avec lui se voyant privés de leur chef, se réunirent en une seule troupe, pour n'être point massacrés par les gens qu'ils avaient opprimés en Italie. Ils firent porter à leur tête le corps de leur ancien empereur sur un cheval', et, après avoir dans cet ordre gagné sûrement leur patrie, ils l'ensevelirent honorablement à Aix-la-Chapelle, dans le monastère de la bienheureuse Marie, toujours vierge. Othon ш eut pour successeur au trône des Saxons Henri', son parent, qui devint aussi empereur des Romains après huit ans de règne 3. Mais je m'arrête ici, pour raconter en partie par quelle suite de malheurs successifs le monde romain fut désolé au dedans comme au dehors sous les rois dont nous venons de parler. Il est sûr qu'en partageant l'empire du monde, on avait voulu assurer à Constantinople la domination de toutes les provinces soumises aux Grecs dans l'Orient, même de celles qui étaient situées au-delà des mers, comme Rome, à son tour, devait régner aussi sur tout l'empire latin. Mais une fois que l'univers eut appris à se déchirer entre deux maîtres, chacun d'eux s'accoutuma à voir insensiblement décroître son pouvoir, jusqu'à ce qu'enfin, res

I En 1002.

2 Henri, duc de Bavière, petit-fils du duc Henri, frère de l'empereur Othon Ier. Il ne fut couronné empereur que la douzième année de son règne.

3 En 1014.

serré par une suite de guerres dans des limites plus étroites, il offrît une proie plus facile à l'ambition de l'étranger. Et comme toute la puissance des empereurs reposait plutôt sur la tyrannie que sur une douceur libérale ou sur les droits d'une possession héréditaire, il était juste que les peuples, pour se venger d'un gouvernement si fatal à ses sujets, portassent la désolation dans ses États par de fréquentes invasions.

CHAPITRE V.

Des Infidèles.

ENFIN, vers l'an 900 de l'Incarnation du Verbe, Algalif, roi des Sarrasins, étant sorti de l'Espagne, conduisit une armée nombreuse en Italie, comptant s'enrichir des dépouilles de ce pays, et prêt à le ravager, le fer et la flamme à la main. Il s'avança jusqu'à Bénévent, dévastant tout sur son passage. Cependant les grands de quelques villes d'Italie réunirent leurs forces, pour présenter la bataille à Algalif. Mais voyant que leurs troupes n'étaient pas en état de se mesurer avec lui, ils préférèrent, selon l'usage de ces Italiens modernes, chercher leur sûreté dans la fuite, que dans une résistance courageuse. Sur ces entrefaites, les Sarrasins revinrent en Afrique avec leur prince; et depuis cette époque, quoique battus en plusieurs rencontres, tant par les empereurs que par les ducs et marquis du pays, ils ne cessèrent plus de venir attaquer l'Italie, jusqu'au temps de leur roi Altmuzor et de Henri, empereur des Romains.

2

C'est-à-dire le Khalife. · -2 Almanzor.

Les peuples des Gaules n'avaient pas moins à souffrir alors des incursions et des ravages des Normands. Le nom de Normands leur venait de cet amour du pillage qui les entraînait du fond des provinces septentrionales dans les pays occidentaux, car dans leur langue, nord signifie septentrion, et mint désigne le peuple. C'est pour cela qu'on les appelle Normands, ou peuple du nord. Dans leurs premières incursions, ils restaient dans les parages de l'Océan, se contentant de lever quelques contributions sur les côtes; mais lorsqu'ils eurent formé une nation redoutable, on les vit répandre au loin la guerre sur terre et sur mer, et ils finirent par s'approprier des villes et des provinces.

Dans la suite des temps naquit, près de Troyes, un homme, de la plus basse classe des paysans, nommé Hastings. Il était d'un village appelé Tranquille, à trois milles de la ville; il était robuste de corps, et d'un esprit pervers. L'orgueil.lui inspira dans sa jeunesse du mépris pour la pauvreté de ses parens; et cédant à son ambition, il s'exila volontairement de son pays. Il parvint à s'enfuir chez les Normands. Là, il commença par se mettre au service de ceux qui se vouaient à un brigandage continuel pour procurer des vivres au reste de la nation, et que l'on appelait la flotte. Après avoir quelque temps débuté dans ce méchant métier, il l'emporta bientôt sur ses compagnons les plus endurcis, par son intelligence, c'est

1 Mann, homme.

2 Camusat dit que Tranquille est un petit village du diocèse de Troyes, à neuf lieues de cette ville, et nommé aujourd'hui Trancost ou Trancout.

à-dire par son audace dans le crime. Enfin différentes circonstances ayant concouru à augmenter ses forces et son pouvoir, tous les siens le reconnurent pour leur prince sur terre et sur mer. Trouvant dans ce haut rang une carrière nouvelle ouverte à sa cruauté, et ne voyant dans les fureurs de ses prédécesseurs que des exemples trop modérés pour la sienne, il commença à promener son glaive dans les pays lointains. Bientôt même il vint, avec presque toute la nation qu'il commandait, débarquer sur les côtes supérieures des Gaules, et rendre une funeste visite à cette terre natale qui avait enfanté un tel monstre. Il pénétra, sans éprouver de résistance, dans ce pays, où il porta partout la destruction, le meurtre et l'incendie, plus cruel envers sa patrie que les plus cruels ennemis, Alors aussi toutes les églises des Gaules qui n'étaient pas défendues par des villes fortifiées ou des châteaux forts, se virent abandonnées aux derniers outrages, et devinrent la proie des flammes, car il parcourut toutes les Gaules, emportant avec lui les plus riches dépouilles, avant de ramener ses soldats dans leur pays. Depuis ce temps, Hastings lui-même, et les princes de cette nation qui lui succédèrent, ne manquèrent pas, durant cent ans, de renouveler au loin les mêmes désastres chez tous les peu-' ples des Gaules. Les événemens que nous venons de raconter se passèrent dans l'intervalle qui s'écoula depuis la chute des empereurs et rois en Italie et dans les Gaules, jusqu'à leur rétablissement. Cependant l'armée des Normands ayant résolu de faire, selon son habitude, une nouvelle incursion dans les Gaules, le vénérable Richard, duc de Bourgogne,

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