cette attention observatrice qui le distingua en toutes choses, et il apprit à manier les instruments des diverses professions en voyant les autres s'en servir. Il se rendit ainsi capable de fabriquer plus tard avec adresse les petits ouvrages dont il eut besoin dans sa maison, et les machines qui lui furent nécessaires pour ses expériences. Son père se décida à le faire coutelier. II le mit à l'essai chez son cousin Samuel Franklin, qui, après s'être formé dans ce métier à Londres, était venu s'établir à Boston '; mais la somme exigée pour son apprentissage ayant paru trop forte, il fallut renoncer à ce projet. Son père voyant son goût décidé pour les livres, le destina enfin à être imprimeur. Il le plaça en 1718 chez l'un de ses fils, nommé James, qui était revenu d'Angleterre, l'année précédente, avec une presse 2 et des caractères d'imprimerie. Le contrat d'apprentissage fut conclu pour neuf ans. Pendant les huit premières années, Benjamin Franklin devait servir sans rétribution son frère, qui, en retour, devait le nourrir et lui donner, la neuvième année, le salaire d'un ouvrier. Il devint promptement très-habile. Il avait beaucoup d'adresse, qu'il accrut par beaucoup d'application. Il passait le jour à travailler et une partie de la nuit à s'instruire. C'est alors qu'il étudia tout ce qu'il ignorait, depuis la grammaire jusqu'à la philosophie; qu'il apprit l'arithmétique, dont il savait imparfaitement les règles, et à laquelle il ajouta la connaissance de la géométrie et la théorie de la navigation; qu'il fit l'éducation méthodique de son esprit 3, comme il fit un peu plus tard celle de son caractère. Il y parvint à force de volonté et de privations. Celles-ci, du reste, lui coûtaient peu, quoiqu'il prît sur la qualité de sa nourriture et les heures de son repos pour se procurer les moyens et le temps d'apprendre. Il avait lu qu'un auteur ancien1, s'élevant contre l'usage de manger de la chair, recommandait de ne se nourrir que de végétaux. Depuis ce moment, il avait pris la résolution de ne plus rien manger qui eût eu vie, parce qu'il 1. Boston. Ville de l'Amérique septentrionale, qui faisait alors partie des colonies anglaises, et qui est aujourd'hui la capitale de l'un des États-Unis. 2. Une presse. Machine qui sert à imprimer sur le papier la forme des caractères disposés à cet effet dans des cadres par les ouvriers compositeurs. 3. L'éducation méthodique de son esprit. Il n'est personne qui n'ait à revenir sur les connaissances acquises pendant l'enfance, et sur son éducation morale, pour travailler à acquérir certaines qualités, et se corriger de certains défauts. Cette seconde éducation toute personnelle est de toutes la plus fructueuse, pourvu qu'on y apporte, comme Franklin, une volonté énergique et des efforts persévérants. 4. Pythagore, philosophe grec, qui vivait au vie siècle avant Jésus-Christ, croyait que c'était une habitude à la fois barbare et pernicieuse. Pour tirer profit de sa sobriété systématique, il avait proposé à son frère de se nourrir lui-même, avec la moitié de l'argent qu'il dépensait pour cela chaque semaine. L'arrangement fut agréé, et Franklin, se contentant d'une soupe de gruau qu'il faisait grossièrement lui-même, mangeant debout et vite un morceau de pain avec un fruit, ne buvant que de l'eau, n'employa point tout entière la petite somme qui lui fut remise par son frère. Il économisa sur elle assez d'argent pour acheter des livres, et sur les heures consacrées aux repas, assez de temps pour les lire 37. MIGNET. La main droite et la main gauche. Tandis que sa main droite achevait un tableau, Gourmandait sa main gauche et disait : « La naturo Un simple trait peut-il sortir de ta main gauche ? Non, pas même un crayon ! Cependant, maladroite, Pour faire en tout mes volontés, Qu'as-tu de moins que ma main droite? Doigt qui sait ce qu'il dit, comme tel qui l'écoute. La main gauche en repos : voilà toute l'affaire. 1. Esquisse. Ensemble des traits élémentaires d'un dessin. Ébauches. Premier essai d'une œuvre quelconque, premier jet avant-coureur de l'œuvre travaillée et conduite à perfection. 2. Dans l'état de nature ou l'état d'ignorance. Cette pensée n'est pas juste. Les sauvages sont bien dans l'état de nature et d'ignorance, et pourtant leur main droite l'emporte sur leur main ganche, parce que celle-ci est inégalement exercée, malgré l'état de nature et d'ignorance. On ne peut devenir habile à ne rien faire '. Au seul défaut d'instruction Attribuez, monsieur, l'impuissance où nous sommes. Moins nécessaire aux mains qu'aux hommes ? » Je trouvais très-difficile d'observer l'ordre, en ce qui regardait la place que devait occuper chaque chose, chaque papier. Je n'avais pas été habitué de bonne heure à la méthode, et, comme j'avais une excellente mémoire, je sentais peu l'inconvénient du défaut d'ordre. Cet article me coûtait donc une attention si pénible, et j'avais tant de dépit à me surprendre si souvent en faute, d'avoir des rechutes si fréquentes, et de faire si peu de progrès, que je me décidai presque à y renoncer et à prendre mon parti sur ce défaut. Je ressemblais à l'homme qui était venu acheter une hache chez un marchand, mon voisin, et qui voulait que toute la surface du fer fût aussi brillante que le tranchant. Le marchand consentit à donner le poli au fer de la hache, à condition que l'acheteur tournerait la roue de la meule. Celui-ci donc se mit à tourner, tandis que le marchand appuyait fortement le fer sur la pierre. Notre homme, qui trouvait la besogne fatigante, quittait la roue de temps en temps pour aller voir où en était l'opération; et, à la fin, il voulut reprendre sa hache telle qu'elle était. « Eh! non, dit le marchand, tournez, tournez toujours; la hache deviendra brillante dans un instant; elle ne l'est encore que par places. N'importe, répond l'acheteur, je crois que je l'aime mieux tachetée. » Ce cas a été, je pense, celui de bien des gens qui, ayant trouvé trop de difficulté à prendre certaines bonnes habitudes, ou à en quitter de mauvaises, ont renoncé à leurs efforts et fini par dire que la hache vaut mieux tachetée. Certain renard gascon, d'autres disent normand, Et couverts d'une peau vermeille. 1. A ne rien faire. Pour en ne faisant rien. Remarquer cette acception de à et la tournure de la phrase. 2. Apparemment. C'est-à-dire en apparence, selon les apparences. Le galant en eût fait volontiers un repas; Mais comme il n'y pouvait atteindre : «Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats'. » Fit-il pas mieux que de se plaindre ?? Un loup, qui commençait d'avoir petite part 3 Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard*, Il s'habille en berger, endosse un hoqueton *, Sans oublier la cornemuse". Pour pousser jusqu'au bout la ruse, Et ses pieds de devant posés sur sa houlette, Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette "; Et pour pouvoir mener vers son fort les brebis, 1. Goujats. Le mot s'appliquait autrefois aux valets d'armée; il s'est appliqué depuis aux gens grossiers. 2. Le mot du renard exprime une résignation fine et sage en présence de biens que la nature a mis hors de notre portée, et qu'il nous est impossible d'atteindre. Mais s'il s'agit au contraire d'avantages que nous puissions conquérir par nos efforts, et auxquels nous renonçons par découragement et lâcheté, ce n'est que le déguisement d'une faiblesse répréhensible, comme dans le morceau précédent de Franklin. 3. Avoir petite part aux brebis. Gallicisme pour: « qui commençait à prendre quelques brebis. » 4 S'aider de la peau du renard. Le renard est fourbe et rusé. S'aider de sa peau signifie ici emprunter son caractère, recourir à la ruse, et ne plus em ployer la violence; de là, faire un nouveau personnage. 5. Un hoqueton. Espèce de veste ou de casaque autrefois à l'usage des paysans. 6. La cornemuse. Instrument de musique qui, dans certains pays, sert à faire danser les gens de la campagne. 7. Guillot le sycophante. Le faux Guillet. Sycophante, fourbe, hypocrite. 8. Musette. Instrument de musique du genre de la cornemuse. 9. Vers son fort. Vers sa retraite. Le mot fort s'emploie pour désigner les lieux sauvages et escarpés qui servent d'asile aux lions, etc. Il voulut ajouter la parole aux habits, Mais cela gâta son affaire : Il ne put du pasteur contrefaire la voix. Les brebis, le chien, le garçon. Ne put ni fuir ni se défendre. Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. 41.- L'ane et ses maîtres. LA FONTAINE. L'âne d'un jardinier se plaignait au destin 3 Et pourquoi? pour porter des herbes au marché. Lui donne un autre maître; et l'animal de somme J'attrapais, s'il m'en souvient bien, 1. Le mystère. C'est-à-dire la fourberic la tromperie. 2. Cet esclandre. Cette bagarre, ce tumulte. Ce mot équivaut d'ordinaire à Scandale. 3. Au destin. Les païens appelaient Destin ou Sort une divinité supérieure à toutes les autres, et qui présidait à tout ce qui arrive. 4. Matineux. Qui a l'habitude de se lever matin; matinal, qui paraît le matin, qui s'est levé matin. 5. L'animal de somme. On dit seulement aujourd'hui bête de somme, pour désigner un animal destiné à porter les lourds fardeaux. 6. J'ai regret à mon premier seigneur, pour « Tour à remarquer. je regrette mon premier maître." |