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devenu grand et en bon point, pour n'avoir bougé tout l'hiver de la maison à ne rien faire, frissait après le baiser, et était gros, comme l'on dit, d'embrasser, faisant toutes choses plus curieusement et plus hardiment que paravant, pressant Chloé de lui accorder tout ce qu'il voulait, et de se coucher nue à nu avec lui plus longuement qu'ils n'avaient accoutumé. « Car il n'y a,

disait-il, que ce seul point qui nous manque << des enseignemens de Philétas, pour la dernière « et seule médecine qui apaise l'amour. »

Et Chloé lui demandant ce qu'il y pouvait avoir outre se baiser, s'embrasser et se coucher tout vêtus, et ce qu'il pensait faire plus quand ils seraient couchés nus? « Cela, lui dit-il, que les « béliers font aux brebis et les boucs aux chèvres. « Vois-tu comment après cela les brebis ne s'en« fuient plus, ni les béliers ne se travaillent plus « à courir après; mais paissent tous les deux amiablement ensemble, comme étant l'un et l'autre assouvis et contens; et doit bien être

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quelque chose plus douce que ce que nous « faisons, et dont la douceur surpasse l'amertume « d'amour. Et mais, fit-elle, vois-tu pas que les << béliers et les brebis, les boucs et les chèvres, «<< faisant ce que tu dis, se tiennent debout; les « mâles montent dessus, les femelles soutiennent « les mâles sur le dos. Et toi tu veux que je me <«<<couche avec toi à terre, et toute nue. Sont-elles

<< donc pas plus vêtues de leur laine ou bien de « leur poil que moi de ce qui me couvre? »

Il la crut, et comme elle voulut, se coucha près d'elle, où il fut long-temps., ne sachant comment faire pour venir à bout de ce qu'il désirait. Il la fit relever, l'embrassa par derrière en imitant les boucs; mais il s'en trouvait encore moins satisfait que devant. Si se rassit à terre, et se prit à pleurer de ce qu'il savait moins que les bélins accomplir les œuvres d'amour.

Or y avait-il non guère loin de là un qui cultivait son propre héritage, et s'appelait Chromis, homme ayant jà passé le meilleur de son âge et étant tout-à-l'heure cassé. Il tenait avec soi certaine petite femme, jeune et belle, et délicate, pour autant mêmement qu'elle était de la ville, et avait nom Lycenion; laquelle, voyant passer tous les matins Daphnis, qui menait ses bêtes en pâture, et le soir les ramenait au tect, eut envie de s'accointer de lui pour en faire son amoureux, et tant le guetta, qu'une fois le trouva seulet, elle lui donna une flûte, une gauffre à miel, et une panetière de peau de cerf; mais elle n'osa lui rien dire, se doutant qu'il aimait Chloé, parce qu'il était toujours avec elle; et néanmoins n'en savait autre chose, sinon qu'elle les avait vus sourire l'un à l'autre et se faire des signes. Si fit entendre à Chromis, un matin, qu'elle s'en allait voir une sienne voisine en travail d'enfant, suivit les

jeunes gens pas à pas, et se cachant entre des buissons pour n'être point aperçue, vit de là tout ce qu'ils faisaient, entendit tout ce qu'ils disaient, et très bien sut remarquer comment et pour quelle cause pleurait le pauvre Daphnis. Par quoi ayant pitié de leur peine, et quant et quant considérant que double occasion de bien faire se présentait à elle, l'une de les instruire de leur bien, l'autre d'accomplir son désir, elle usa d'une telle finesse.

Le lendemain, feignant d'aller voir sa voisine qui travaillait d'enfant, elle vient droit au chène sous lequel était Daphnis avec Chloé, et contrefaisant la marrie troublée : « Hélas! mon ami, dit-elle, Daphnis, je te prie, aide-moi. De mes vingt oisons, voilà un aigle qui m'en emporte « le plus beau. Mais, parce qu'il est trop pesant, l'aigle ne l'a pu enlever jusque sur cette roche là haut, où est son aire, ains est allé choir avec au « fond du vallon, dedans ce bois ici: et pour ce,

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je te prie, mon Daphnis, viens-y avec moi, car « toute seule j'ai peur, et m'aide à le recourir. « Ne veuille souffrir que mon compte demeure imparfait. A l'aventure pourras-tu bien tuer l'aigle même, qui ainsi ne ravira plus vos agneaux « ni vos chevreaux; et Chloé ce temps pendant gardera vos deux troupeaux. Tes chèvres la con<< naissent aussi bien comme toi; car vous êtes toujours ensemble. »

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Daphnis, ne se doutant de rien, se leva incontinent, prit sa houlette en sa main, et s'en fut avec Lycenion. Elle le mena loin de Chloé, dans le plus épais du bois, près d'une fontaine, où l'ayant fait seoir : « Tu aimes, lui dit-elle, Dapb<«< nis, tu aimes la Chloé. Les Nymphes me l'ont << dit cette nuit. Elles me sont venues, ces Nymphes, conter en dormant les pleurs que tu fai<«< sais hier, et si m'ont commandé que je t'ôtasse « de cette peine, en t'apprenant l'œuvre d'amour, qui n'est pas seulement baiser et embrasser, ni << faire comme les béliers et boucquins; c'est bien <«< autre chose, et bien plus plaisante que tout <«< cela. Par quoi, si tu veux être quitte du déplaisir que tu en as, et trouver l'aise que tu y cherches, ne fais seulement que te donner à << moi apprentif joyeux et gaillard, et moi, pour <«< l'amour des Nymphes, je te montrerai ce qui

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Daphnis perdit toute contenance, tant il fut aise, comme un pauvre garçon de village, jeune et amoureux. Si se met à genoux devant Lycenion, la priant à mains jointes de tot lui montrer ce doux métier, afin qu'il pût faire à Chloé ce qu'il désirait; et, comme si c'eût été quelque grand et merveilleux secret, lui promit un chevreau de lait, des fromages frais, de la crème, et plutôt la chèvre avec. Adonc le voyant Lycenion plus naïf et plus simple encore qu'elle n'avait

imaginé, se prit à l'instruire en cette façon. Elle lui commanda de s'asseoir auprès d'elle, puis de la baiser tout ainsi qu'ils avaient de coutume entre eux, et en la baisant de l'embrasser, et finablement de se coucher à terre au long d'elle. Comme il se fut assis, qu'il l'eut baisée, se fut couché, elle, le trouvant en état, le souleva un peu, et se glissa sous lui, puis elle le mit dans le chemin qu'il avait jusque-là cherché, ou chose ne fit qui ne soit en tel cas accoutumée, nature elle-même du reste l'instruisant assez.

Finie l'amoureuse leçon, Daphnis, aussi simple que devant, s'en voulut courir vers Chloé, pour lui faire tout aussitôt ce qu'il venait d'apprendre, comme s'il eût eu peur de l'oublier. Mais Lycenion le retint, et lui dit : « Il faut que tu saches « encore ceci, Daphnis; c'est que, comme j'étais

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déjà femme, tu ne m'as point fait mal à ce « coup; car un autre homme, il y a déjà quelque « temps, m'enseigna cela que je te viens d'ap

prendre, et en eut mon pucelage pour son loyer. « Mais Chloé, lorsqu'elle luttera cette lutte avec << toi, la première fois elle criera, elle pleurera, « et si saignera, comme qui l'aurait tuée; mais << n'aie point de peur, et, quand elle voudra « se prêter à toi, amène-la ici, afin que, si elle a crie, personne ne l'entende, et, si elle pleure, « personne ne la voie, et, si elle saigne, qu'elle se puisse laver en cette fontaine. Et te souvienne

«

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