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verneur. Il lui laissa ses ordres pour y continuer quelques dehors. Le maréchal de La Force arriva en même temps que lui à Bergerac avec le marquis de Castelnau, son fils, qui commandait dans la place; et le duc de La Rochefoucauld qui était venu de la Haute-Guienne avec M. le prince de Conti, s'y rendit aussi.

Ce fut en ce même temps que commencèrent à paraître à Bordeaux les factions et les partialités qui ont ruiné le parti de M. le Prince en Guienne, divisé sa maison, séparé de ses intérêts ses plus proches, et l'ont enfin réduit à chercher parmi les Espagnols une retraite dont il les paie tous les jours par tant de grandes actions qui leur ont plus d'une fois sauvé la Flandre. Je me réserve de dire, en son lieu, le plus brièvement que je pourrai, les causes d'un si grand changement, lorsque j'en rapporterai les effets; et je passerai maintenant au récit de ce que M. le Prince fit durant cet intervalle.

Son principal soin était de réparer promptement les places de Guienne; mais il s'attachait particulièrement à mettre Bergerac en état de se défendre. Il y employa quelques jours avec beaucoup d'application, pendant lesquels il apprit que ses affaires dépérissaient en Saintonge; que le comte de Doignon était renfermé dans ses places, n'osant en sortir par ses défiances ordinaires; que le prince de Tarente avait reçu quelque désavantage dans un combat qui s'était donné auprès de Pons; que Saintes qu'il croyait en état de soutenir un grand siége par -les travaux qu'on y avait faits et par une garnison de ses meilleures troupes, s'était rendue sans faire de résistance considérable, et que Taillebourg qui était assiégé était près de suivre l'exemple de Saintes. M. le Prince fut encore informé que le marquis de Saint-Luc assemblait un corps pour s'opposer à celui de M. le prince de Conti qui avait pris Caudecoste, et quelque autre petite ville peu importante. Cette dernière nouvelle était la seule où il pouvait apporter quelque remède; mais comme il savait que le marquis de Saint-Luc était encore éloigné de M. le prince de Conti, il crut ne devoir pas passer dans la HauteGuienne, sans être informé plus particulièrement de l'état des affaires de Bordeaux, et, pour cet effet, il manda à madame la Princesse et à madame de Longueville de se rendre à Libourne, où il arriva en même temps qu'elles. Il y demeura un jour seulement, et y donna les ordres qui dépendaient de lui pour empêcher le progrès du mal que la division commençait de faire naître dans son parti et dans sa famille.

Il partit ensuite avec le duc de La Rochefoucauld pour aller joindre le prince de Conti, qui était avec ses troupes en un lieu nommé Staffort, à quatre lieues au dessus d'Agen. Mais ayant

appris, près de Libourne, par un courrier, que le marquis de Saint-Luc marchait vers Staffort, il crut que sa présence serait d'un grand secours, et fit toute la diligence possible pour joindre M. le prince de Conti, avant que l'un ou l'autre eût rien entrepris. En effet, étant arrivé à Staffort, il trouva que M. le prince de Conti rassemblait ses quartiers, dans la créance que le marquis de Saint-Luc le devait combattre. Ilˇsut de plus qu'il était à Miradoux avec les régimens de Champagne et de Lorraine, et que sa cavalerie était logée séparément dans des fermes et dans des villages proches. Alors prenant son parti, avec sa diligence accoutumée, il résolut de marcher toute la nuit pour enlever les quartiers de cavalerie du marquis de SaintLuc. Pour exécuter ce dessein, il prit celle qui se trouva à Staffort, où il laissa M. son frère, avec ordre de le suivre des que le reste de ses troupes serait arrivé. Il partit à l'heure même avec le duc de La Rochefoucauld; et bien que le chemin fût long et mauvais, il arriva devant le jour à un pont où les ennemis avaient un corps-de-garde de douze ou quinze maîtres. Il les fit pousser d'abord ; ceux qui se sauvèrent donnèrent l'alarme à toutes leurs troupes et les firent monter à cheval. Quelques escadrons firent ferme près de Miradoux, mais il les chargea et les rompit sans beaucoup de peine. Il y eut six régimens de défaits. On prit beaucoup d'équipages et de prisonniers, et le reste se retira à Miradoux. Cette petite ville est située sur la hauteur d'une montagne dont elle n'occupe que la moitié; n'a pour toutes fortifications qu'un méchant fossé et une simple muraille, où les maisons sont attachées. Dès que le jour fut venu, le marquis de Saint-Luc mit toutes ses troupes en bataille dans l'esplanade qui est devant la porte de la ville; M. le Prince attendit, au bas de la montagne, celles que M. le prince de Conti lui amenait : elles arrivèrent bientôt après; mais comme la montée est assez droite et fort longue, et que les terres y sont grasses en hiver, et divisées par des fossés et par des haies, M. le Prince vit bien qu'il ne pouvait aller en bataille aux ennemis sans se mettre en désordre, et sans se rompre lui-même avant que d'être arrivé à eux. Ainsi il se contenta de faire avancer son infanterie, et de chasser avec beaucoup de feu les ennemis de quelques postes qu'ils avaient occupés. Il y eut aussi deux ou trois escadrons qui combattirent, et toute la journée se passa en de continuelles escarmouches, sans que le marquis de Saint-Luc quittât la hauteur, et sans que M. le Prince entreprît de l'aller attaquer en un lieu si avantageux, n'ayant point de canon et n'en pouvant avoir que le lendemain. Il donna ses ordres pour en faire venir deux pièces ; et cependant jugeant bien que

le bruit de son arrivée étonnerait plus ses ennemis que l'avantage qu'il avait remporté sur eux, il donna la liberté à quelques prisonniers pour en porter la nouvelle au marquis de Saint-Luc. Elle fit l'effet qu'il avait désiré; car les soldats en prirent l'épouvante, et elle mit une si grande consternation parmi les officiers, qu'à peine attendirent-ils la nuit pour cacher leur retraite et se sauver à Leitoure. M. le Prince qui l'avait prévu, mit des corpsde-garde si près des ennemis qu'il fut averti dans le moment qu'ils marcherent; et on peut dire que son extrême diligence l'empêcha de les défaire entièrement; car, sans attendre que l'infanterie fût engagée dans le chemin où rien n'aurait pu l'empêcher d'être taillée en pièces, il la chargea sur le bord du fossé de Miradoux, et entrant l'épée à la main dans les bataillons de Champagne et de Lorraine, il les renversa dans le fossé, demandant quartier et jetant leurs armes : mais comme on ne pouvait aller à cheval à eux, ils eurent la facilité de rentrer dans Miradoux, moins pour défendre la place que pour sauver leur vie. M. le prince de Conti combattit toujours auprès de M. son frère, qui suivit le marquis de Saint-Luc et le reste des fuyards jusques auprès de Leitoure, et revint investir Miradoux, où Morins, maréchal de camp, et Couvonges, mestre de camp de Lorraine, étaient entrés avec plusieurs officiers. M. le Prince les fit sommer, croyant que des gens battus qui étaient sans munitions de guerre et sans vivres, n'entreprendraient pas de défendre une si méchante place. En effet, ils offrirent de la rendre et d'aller joindre le marquis de Saint-Luc. Mais M. le Prince qui ne voulait pas laisser sauver de si bonne infanterie, et qui comptait pour rien d'être maître d'un lieu de nulle considération, s'attacha à les vouloir prendre prisonniers de guerre, ou à les obliger de ne servir de six mois. Ces conditions leur parurent si rudes, qu'ils aimèrent mieux se défendre, et réparer en quelque sorte la honte du jour précédent que de l'augmenter par une telle capitulation. Ils trouvèrent que les habitans avaient des vivres, et jugeant bien que M. le Prince n'était pas en état de faire des lignes, ils crurent qu'on pourrait aisément leur faire porter de la poudre, de la mèche et du plomb. En effet, le marquis de Saint-Luc y en fit entrer la nuit suivante, et continua toujours de les rafraîchir des choses les plus nécessaires, tant que le siége dura, quelque soin qu'on pût prendre pour l'empêcher. Cependant M. le Prince renvoya M. son frère à Bordeaux, et connut bientôt qu'il eût mieux fait de recevoir Miradoux aux conditions qu'on lui avait offertes, que de s'engager à un siége, manquant comme il faisait de toutes choses, et n'étant pas même assuré d'avoir du canon. Néanmoins, comme on est souvent obligé à

continuer de sang-froid ce qu'on a commencé en colère, il voulut soutenir son dessein jusqu'au bout, croyant étonner ses ennemis, et qu'il en ferait un exemple. Il tira donc d'Agen deux pièces, l'une de dix-huit livres, et l'autre de douze, avec un très-petit nombre de boulets de calibre; mais il crut qu'il y en aurait assez pour faire brèche et les emporter d'assaut avant que le comte d'Harcourt, qui marchait à lui, pût être arrivé. En effet, on prit des maisons assez près de la porte où on mit les deux pièces en batterie. Elles firent d'abord beaucoup d'effet dans la muraille; mais les boulets manquèrent aussi bientôt; de sorte qu'on était contraint de donner de l'argent à des soldats pour aller chercher dans le fossé les boulets qu'on avait tirés. Les assiégés se défendaient assez bien pour le peu de munitions qu'ils avaient; et ils firent deux sorties avec beaucoup de vigueur. Enfin, la brèche commençait de paraître raisonnable, et la muraille étant tombée avec des maisons qui y tenaient, avait fait une fort grande ouverture. Mais tout ce débris servit d'un nouveau retranchement aux assiégés; car le toit de la maison où se fit la brèche, étant tombé dans la cave, ils y mirent le feu et se retranchèrent de l'autre côté. De sorte que cette cave ardente devint un fossé qui ne se pouvait passer : cet obstacle retint M. le Prince; il ne voulut pas hasarder une attaque qui aurait sans doute rebuté ses troupes et augmenté le courage des ennemis. Il résolut de faire battre un autre endroit où les maisons n'avaient point de caves, et il y avait un jour que l'on commençait d'y tirer, lorsqu'il reçut avis que le comte d'Harcourt marchait à lui et qu'il arriverait le lendemain à Miradoux. Leurs forces étaient trop inégales pour hasarder un combat. Ainsi il résolut de lever le siége et de se retirer à Staffort, où il arriva sans avoir été suivi de ses ennemis.

Cette ville n'est ni plus grande ni meilleure que Miradoux ; mais comme le comte d'Harcourt était au-delà de la Garonne, et qu'il ne la pouvait passer qu'à un lieu nommé Auvillars, M. le Prince ayant l'autre côté du pays libre, sépara ses quartiers dans la créance que c'était assez d'en mettre quelques-uns près d'Auvillars, et de commander qu'on détachât continuellement des partis de ce côté-là pour être averti de tout ce que les ennemis voudraient entreprendre mais il ne prévit pas que de nouvelles troupes et de méchans officiers exécutent d'ordinaire ce qui leur est commandé d'une manière bien différente de ce qu'ont accoutumé de faire des gens éprouvés et aguerris; et cet ordre qui aurait suffi pour mettre un camp en sûreté, pensa exposer M. le Prince à la honte d'être surpris et défait. Car de tous les partis commandés, pas un ne suivit son ordre; et au lieu

d'apprendre des nouvelles du comte d'Harcourt, ils allèrent piller les villages voisins. Ainsi il passa la rivière, marcha en bataille au milieu des quartiers de M. le Prince, et arriva à un quart de lieue de lui, sans que personne en prît l'alarme ni lui en vînt donner avis. Enfin des gens poussés lui ayant apporté cette nouvelle avec le trouble ordinaire en semblables occasions, il monta à cheval suivi du duc de La Rochefoucauld, du comte de Marchin et du marquis de Montespan pour voir le dessein des ennemis; mais il n'eut pas fait cinq cents pas qu'il vit leurs escadrons qui se détachaient pour aller attaquer ses quartiers; et même des gens s'ébranlerent pour le pousser. Dans cette extrémité, il n'eut point d'autre parti à prendre que d'envoyer faire monter à cheval ses quartiers les plus éloignés, et de revenir joindre ce qu'il avait d'infanterie campée sous Staffort, qu'il fit marcher à Boué pour y passer la Garonne en bateau et se retirer à Agen. Il envoya tous les bagages au port SainteMarie, et laissa un capitaine à Staffort, et soixante mousquetaires avec une pièce de douze livres qu'il ne put emmener le comte d'Harcourt ne se servit pas mieux de cet avantage qu'il avait fait de ceux qu'il pouvait avoir à Tonnay-Charente et à Saint-Andras: car au lieu de suivre M. le Prince et de le charger dans le désordre d'une retraite sans cavalerie, et contraint de passer la Garonne pour se mettre à couvert, il s'arrêta pour investir le quartier le plus proche de Staffort, nommé le Pergan, où étaient logés trois ou quatre cents chevaux des gardes de M. le Prince et des généraux. Ainsi il lui donna douze ou treize heures, dont il passa la plus grande partie à Boué, à faire passer la rivière à ses troupes, avec un désordre et des difficultés incroyables, et toujours en état d'être taillées en pièces, si on l'eût attaqué.

Quelque temps après que M. le Prince fut arrivé à Agen, avec toute son infanterie, on vit paraître quelques escadrons de l'autre côté de la rivière, qui s'étaient avancés pour prendre des bagages qui étaient près de passer l'eau. Mais ils furent repoussés avec vigueur par soixante maîtres du régiment de Montespan, qui donnèrent tout le temps nécessaire à des bateaux chargés de mousquetaires d'arriver et de faire retirer les ennemis. Ce jour même, M. le Prince sut que sa cavalerie était arrivée à SainteMarie sans avoir combattu ni rien perdu de son équipage, et que ses gardes se défendaient encore dans le Pergau sans qu'il y eût toutefois apparence de les pouvoir secourir. En effet, ils se rendirent prisonniers de guerre le lendemain; et ce fut tout l'avantage que tira le comte d'Harcourt d'une occasion où sa fortune et la négligence des troupes de M. le Prince lui avaient offert une entière victoire. Ces mauvais succès furent bientôt

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