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testé bailli d'Aval: ce dernier n'a que le temps de s'enfermer dans la forteresse de Grimont sur Poligny; il s'y défend avec courage, mais il voit la flamme monter derrière la montagne : c'était le monastère de Vaux qui brûlait. Le 7 mai, le monastère de Baume-les-Moines, au fond de sa gorge de rochers, éprouve le même sort. Baume-les-Moines, aujourd'hui Baume-les-Messieurs, à trois lieues de Lonsle-Saulnier, devait son nom à sa célèbre abbaye de bénédictins, fondée par saint Lauthein au commencement du sixième siècle, pillée et détruite au huitième par les Arabes, et rétablie vers les dernières années du neuvième siècle par saint Bernon, créateur du monastère de Gigny. Les moines de Baume possédaient une grande partie des terres de la montagne: pour être admis parmi eux, il fallait faire preuve de seize quartiers de noblesse. Près de Baume se trouvait la non moins célèbre abbaye de Château-Chalon, fondée vers 670 par le patrice Norbert et sa femme Eusébie, et habitée par des religieuses dont les abbesses appartenaient aux plus hautes familles des deux Bourgognes: on y suivait aussi la règle de saint Benoit. Cette maison, l'une des plus riches de la province, avait été dotée et agrandie par Charlemagne, qui l'entoura de murailles. Elle devait au souverain dona et militiam, c'està-dire qu'elle fournissait, en cas de guerre, son contingent de soldats. ChâteauChalon fut affranchi en 1375.

Après l'incendie de Vaux-les-Poligny et de Baume-les-Moines, l'armée des confédérés se partagea, et les uns achèvent de ravager la montagne, les autres se répandent dans la plaine. Choie, puissante forteresse à quelques lieues de Gray, est pris sur Henri de Bourgogne. Jean d'Oiselay brise les portes, renverse les murs de l'abbaye de la Charité, et retient prisonniers l'abbé et les religieux jusqu'à ce qu'ils lui aient souscrit une reconnaissance de trois cents livres. Aux environs de Dôle, Pointre, Montmirey, ainsi que d'autres villages du domaine, deviennent la proie de l'incendie, et, six semaines durant, Jean de Chalon allume librement les feux dans toute la Comté de Bourgogne.

Eudes IV ne paraissait point encore; il semblait abandonner la victoire à ses ennemis telle n'était pas son intention cependant; mais il avait compris qu'il fallait vaincre, il avait compris que la perte d'une bataille serait pour lui la perte de la Comté, et il ne voulait pas entrer en campagne avant d'avoir réuni toutes ses forces. Le rendez-vous général était à Dôle : ce fut dans le Val-d'Amour que le duc passa, le 1er juillet 1336, ses brillantes troupes en revue; elles ne s'élevaient pas à moins de neuf mille chevaux, sans compter les hommes de pied et de trait. On ne se rappelait pas avoir vu en Comté une armée si nombreuse : il est vrai que jamais soulèvement plus formidable n'y avait éclaté.

Eudes se mit en marche il s'arrêta non loin de Dôle et assiégea Chaussin, bourg du sire de Montfaucon, où les confédérés avaient rassemblé des forces puissantes. La place était défendue par des murailles et des fossés, et par une vaillante garnison qu'une armée soutenait au dehors. Le duc perdit beaucoup de monde dans des assauts multipliés; mais son opiniâtre valeur surmonta tous les obstacles, et, après un siége de six semaines, Chaussin fut emporté. Le duc, vainqueur, passa plus loin; les ponts de l'Ognon et du Doubs avaient été coupés. Le mois d'août s'étant ouvert sous un soleil brûlant, la cavalerie put traverser la rivière à basses eaux. Eudes vint

attaquer la petite ville de Marnay, l'un des fiefs de Jean de Chalon. Le château, assis en lieu bas, sur le bord de l'Ognon, était entouré de fossés profonds que remplissaient les eaux de la rivière, et le pont de bois avait été abattu. Le châtelain défendit vaillamment le châtel et la lourde porte ferrée; sa résistance prolongea le pillage des villages environnants, où les cavaliers du duc enlevaient grains et bestiaux, et jusqu'aux livres et ornements des églises ils coururent notamment à Sornay, à Mouthier, à Chancey, à Virey, à Morogne, à Bay. Un soir, Eudes feignit un assaut il rangea ses troupes en bataille devant la grosse tour, pendant que le sire de Vergy, avec cent bonnes lances, assaillait le mur le plus faible à l'autre extrémité de la ville. Le mur escaladé, les Bourguignons se répandent dans les rues, et le châtelain, menacé de laisser sa tête sur le créneau, ouvre les portes du châtel. Le duc y met garnison; ensuite, les trompettes ayant sonné dans tous les villages, l'armée entière s'ébranle et se dirige sur Besançon, où elle arrive sans rencontrer une seule troupe de confédérés sur son passage. Eudes vient glorieusement asseoir son camp au pied de leur plus puissant boulevard. Le 14 août, il s'établit dans le village et les champs de Saint-Ferjeux, à une demi-lieue des murs de la cité impériale; mais de forts détachements passent le Doubs dont ils vont occuper la rive gauche. Le duc se dispose à presser le siége avec toutes ses forces; mais les confédérés, à qui il ménageait une leçon sévère, ne mettent pas moins de chaleur et de hardiesse à se défendre. Ils ne cessent de harceler l'armée bourguignonne. Les hardis Bisontins et leurs bannières se montraient sans crainte hors des murs. Dans une de ces sorties, le chevalier Jean d'Abbans s'approche du château de Thoraise, qui appartenait à Henri de Bourgogne; et au moment où ce seigneur sortait de la forteresse pour se rendre à l'armée du duc son cousin, Jean d'Abbans charge ses soldats et les met en fuite. Le chevalier et les Bisontins qui l'accompagnaient s'emparent du château sans résistance; lui-même, pour rafraîchir ses gens épuisés de soif, il pénètre dans les caves, ouvre les tonneaux à coups de hallebardes, puis remonte à cheval avec ses compagnons. La troupe victorieuse revenait à Besançon par la rive gauche du Doubs, lorsqu'un détachement bourguignon la force de passer à gué sur la rive droite, la poursuit avec vigueur et la pousse vers l'armée du duc, de manière à lui couper tout passage du côté de la ville. Les Bisontins, avertis à temps du péril de leurs compatriotes, sortent à grands cris de leurs murs et se dirigent résolument vers les champs de Saint-Ferjeux, où la troupe du chevalier d'Abbans a gagné une hauteur. A cet aspect, l'armée ducale s'ébranle, l'engagement devient général, les deux partis s'entre-choquent et se mêlent. Les Bisontins se battaient comme des lions, lorsque, attaqués à la fois en flanc et de front par le duc, par Guillaume d'Antigny, par Jean de Rougemont et ses deux frères, ils commencent à douter de la victoire. Cependant mille d'entre eux se font tuer sans reculer d'un pas, et le reste se décide à battre en retraite au moment où le soleil allait quitter l'horizon. Jean de Chalon, l'œil en feu, couvert de sang, rentre le dernier dans la ville: il parle pour le lendemain d'une terrible revanche; mais, pendant la nuit, son oreille est frappée de menaçantes imprécations dans chaque famille il manquait un père, un fils : c'est la funeste alliance avec les Chalon qui avait entraîné la ville dans ce sanglant débat, sans profit pour elle. Le fier baron d'Arlay est obligé d'entendre les mots de

trève et de paix, et il apprend que plusieurs de ses auxiliaires se préparent à la retraite ou déjà l'ont abandonné (17 août). L'archevêque Hugues VI de Vienne, cousin de Guillaume d'Antigny et successeur de Hugues V de Chalon, ne voulut pas que sa ville épiscopale subit les horreurs d'un assaut. Médiateur et père commun, vêtu de ses habits pontificaux, suivi de son clergé, il se présente dans le camp du vainqueur. Ses paroles de paix sont écoutées. Le duc, qui ne voulait pas réduire ses ennemis au désespoir, consent à une trève jusqu'à Noël et se retire avec toutes ses troupes par la vallée de l'Ognon. Les Bisontins ensevelirent leurs morts, encore étendus sur le champ de bataille, qui porta dès lors et conserve aujourd'hui le nom de la Malecombe. Longtemps la charrue y retourna les casques, les glaives, les haches et les hallebardes.

Pendant cette suspension d'armes, mourut à Poligny, chef-lieu du bailliage d'Aval, Guy de Villefrancon, l'intrépide athlète de l'ordre nouveau dont il avait vu le triomphe.

L'hiver n'empêcha pas la guerre de se réveiller avec violence après les fêtes de Noël. Aux environs de Baume-les-Dames, la seigneurie de Cusance, fief relevant des comtes de Montbéliard, fut prise et brûlée malgré son château fort et ses sept petites forteresses. Mais tous ces revers n'ébranlent pas Jean de Chalon seul, il Soutient la confédération par son énergie; cependant ses alliés même se refroidissent, et autour des confédérés c'est le silence, c'est le désert, suite ordinaire de la mauvaise fortune. La nécessité leur fait accepter enfin la médiation de Philippe de France, redoutable beau-frère de leur ennemi. Les conditions du roi étaient sévères: il semblait punir plutôt que juger. La sentence fut rendue au bois de Vincennes pour toute satisfaction, elle donnait à Jean de Chalon cinq mille franes à verser entre les mains des Juifs, créanciers importuns que le baron d'Arlay haïssait fort, et un château incendié, qui déjà lui appartenait (le château d'Arguel). Le sire de Montfaucon recouvrait des vignes ou quelques ouvrées de terre et perdait la suzeraineté de la seigneurie de Chaussin. Mais le point capital, le maintien de l'indépendance féodale, n'était point réglé : le roi prononça seulement que Jean de Chalon et le sire de Montfaucon iraient montrer à l'hôtel du duc, si bon leur semblait, en quoi on leur erait enfreint les coutumes de la Comté. Et, par avance, les chefs des confédérés devaient être enfermés dans les prisons du Louvre, puis dans un château du duc, aussi longtemps qu'il plairait au roi. Une pareille sentence renversait tous les usages féodaux; car, dans la rudesse de ces temps guerriers, le bers (baron), en cas de violation de ses bons us, se croyait fondé et contre tous à se faire justice par la force. Puis la peine était indéfinie; mais, par une seconde décision, le temps fut fixé les deux chefs de la confédération devaient tenir prison pendant un mois au Louvre, ensuite être conduits dans un des châteaux du duc, à leur choix, et y passer quatre jours.

Ainsi se termina cette première lutte, si violemment engagée entre le pouvoir et la féodalité elle fut appelée, du nom de son auteur, la guerre de Chalon. Les villes applaudirent au triomphe de la civilisation naissante. Eudes voyait la fortune des armes seconder sa politique hardie; mais il sentait qu'il aurait encore à combattre : la noblesse comtoise n'était pas domptée. En 1341, les sires de Faucogney, armés

de toutes pièces et ligués avec Thiébaut VI de Neufchâtel, demandent un supplément d'apanage pour Isabelle, dauphine de Viennois, remariée à Jean III de Faucogney. Vauthier de Vienne, gardien de la Comté, bat ces nouveaux confédérés, leur enlève Port-sur-Saône, et négocie les armes à la main. Port-sur-Saône, l'ancien Portus Abucinus de l'époque romaine, et plus tard chef-lieu du canton des Portisiens, était en 1341 une ville considérable: elle avait des murs d'enceinte, une forteresse dont il reste quelques débris, et elle rivalisait pour le commerce avec la ville de Gray.

Après les sires de Faucogney, ce fut au tour de Jean de Chalon. L'orgueilleux baron d'Arlay ne pouvait oublier sa prison du Louvre; de son côté Eudes IV ne pouvait oublier ni l'incendie de Salins, ni la dévastation de la Comté. Salins commençait à se rebâtir, les salines à se relever de leurs ruines; mais Jean de Chalon faisait construire dans le voisinage de Châtelguyon, forteresse qui lui appartenait et qui était, avec Bracon et Châtelbelin, l'une des trois forteresses défendant les approches de Salins, Jean de Chalon y faisait construire un second château fort. Eudes IV lui ordonne de le détruire, et il élève lui-même un nouveau boulevard près de Bracon, au bord de la Furieuse. Le baron d'Arlay refuse d'obéir; il appelle les Bisontins à son secours. En 1342, la guerre éclate et se soutient avec acharnement. Le val de Salins, les campagnes d'Arbois sont désolées. Fidèles à l'alliance, les bannières de Besançon arrivent et s'enfoncent dans les gorges couvertes de bois; mais leurs efforts ne peuvent sauver Châtelguyon, dominé par la montagne. Les troupes ducales emportent d'assaut cette forteresse, la brûlent, la démolissent. Ce fut un feu de joie pour les Salinois, qui s'écriaient, en considérant l'emplacement de l'odieuse forteresse d'où était parti en avril 1336 le brandon incendiaire si fatal à leur ville Nous sommes une seconde fois affranchis!

Jean de Chalon se jette dans les montagnes : pour une forteresse rasée il en prend trois, car il enlève les châteaux de Cicon et de Durfort à Jean de Cicon, vassal dévoué au duc, et il achève de subjuguer par la terreur le sire de Joux, toujours vacillant entre la maison de Chalon et la maison de Bourgogne. Vers cette époque, les chartes laissent apercevoir un grand mouvement de guerre dans les montagnes du Jura; mais l'histoire n'a pu en coordonner les éléments épars et incomplets: nos pères, comme dit M. Clerc, s'occupaient de se battre et non pas d'écrire.

La guerre, un moment assoupie, se rallume après la bataille de Crécy. Crécy! petit village qui rappelle un grand désastre! journée funèbre où périt, sous les flèches des archers anglais, tout ce que la France possédait en noms illustres, en vaillants hommes de guerre, des princes, des archevêques, des ducs, des comtes, quatrevingts barons à bannières, douze cents chevaliers, trente mille soldats! Souvenir accablant, qui réveille en nos cœurs à nous, enfants de la France moderne, une grande douleur patriotique: il nous rappelle la première des blessures nationales que notre France reçut dans son duel avec l'Angleterre !

Eudes IV avait vaillamment combattu à Crécy, et Jean de Chalon avait poussé un cri de joie en apprenant le désastre de la chevalerie française. L'heure qu'il attendait est venue; mais il sait tout ce que lui a coûté la guerre de 1336, mais il lui faut de l'argent, et il n'en a pas. Par une procuration du mois d'août 1346, il ordonne de vendre villages, forteresses, seigneuries. Il court aux châteaux de Thiébaut VI de

Neufchâtel et des sires de Faucogney, qui brùlent, comme lui, de prendre leur revanche et de s'affranchir d'un joug odieux. Toute la confédération se relève. Elle se hate d'écrire aux Bisontins, alliés mécontents, il est vrai, du baron d'Arlay, mais républicains jaloux et offensés par le duc de Bourgogne. Les confédérés songent surtout à l'Angleterre, et l'Anglais les anime à la révolte le roi Édouard se charge de toutes les pertes de la guerre; par avance, il paye à Jean de Chalon quarantecinq mille florins à l'écu.

Plus prompt que l'éclair, Jean de Chalon saisit de force l'Aule (maison forte) de Pontarlier ses alliés dévastent les plaines de Gray; la fumée des villages qui brûlent annonce au loin leur passage. Othon de Granson, lieutenant d'Eudes IV, se hâte de fermer les portes des villes. Celles-ci se défendent avec vigueur. Les bourgeois de Gray, conduits par les sires d'Achey, seigneurs valeureux, se jettent sur les villages du sire d'Oiselay et démolissent le château de Mantoche, d'où le chevalier d'Abbans leur faisait une guerre d'extermination. Dans le Jura comme au nord de la Comté, plus d'un combat meurtrier se livre devant Montmorot particulièrement, une lutte furieuse s'engage; mais la fidélité des sires de Vienne, qui commandaient dans cette partie des montagnes, reste inébranlable en faveur du duc. Au milieu de l'hiver, Othon de Granson avec ses hommes d'armes ravage les environs de l'Isle-sur-leDoubs, vainement défendus par Thiébaut de Neufchâtel : toute la terre de l'Isle, l'un des foyers les plus actifs de la révolte, offre l'image de la dévastation. Les troupes d'Othon de Granson pénètrent jusqu'au val de Dambelin, dans la seigneurie de Neufchatel. De son côté, Jean de Chalon emporte Châtelhembert, Mathay, dévaste la terre de Montjustin, prévôté du bailliage d'Amont, le val de Vesoul, celui de Baume et force la garnison de cette ville à brûler elle-même Cour-les-Baumes, sur la rive droite du Doubs, et les villages voisins. Comme le baron d'Arlay veut cette fois écraser son ennemi, il court en Lorraine, décide le comte de Blamont à le suivre avec sa bannière, revient en Comté, entre de nuit à Lure, et, à la tête de cinq cents hommes d'armes, il parcourt, audacieux et menaçant, tout le bailliage d'Amont. Dans cette terrible lutte, Eudes comptait beaucoup sur les villes, mais peu sur les nobles, même sur ceux qui suivaient son parti. Il temporise, cherche des auxiliaires, achète à prix d'or l'entrée du château de Joux, mande à Dôle, puis trois fois contremande ses barons. Il part enfin de cette capitale vers les derniers jours de mai 1347, marche inquiet et indécis, s'avance jusqu'à Baume-les-Dames et n'ose, contre un ennemi confiant et résolu, engager une lutte sérieuse. Au milieu du mois d'août, il s'aperçoit qu'il ne peut plus, faute d'argent, continuer la campagne : réduit à solliciter une première trève jusqu'à la fin de septembre, il se retire sans bruit et va cacher sa douleur dans l'armée du roi de France, qui marchait alors à la délivrance de Calais, ville que le roi d'Angleterre entourait avec toutes ses forces, et dont le siege se termina par le noble dévouement d'Eustache de Saint-Pierre, dévouement qu'ont immortalisé l'histoire et la poésie.

Depuis un an la guerre civile continuait en Comté, guerre entremêlée de succès et de revers et ruineuse pour les deux partis. Jean de Chalon ne se soutenait que par l'argent de l'Angleterre, et Eudes voyait ses finances s'épuiser. Mécontent, sombre, abreuvé d'ennuis, Eudes souhaita une trève pour en finir. Cette trève fut le prélude

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