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INTRODUCTION

C'est un fait généralement admis que les sciences de l'ordre social; celles qu'on désigne d'ordinaire sous la dénomination de morales et politiques, n'ont pas encore acquis cette pleine et entière existence scientifique dont s'enorgueillissent à bon droit les sciences de l'ordre naturel. Il suffit, en effet, d'un simple coup d'œil sur l'état présent de ces sciences pour reconnaître qu'elles ne sont en réalité qu'une sorte de champ clos ouvert à la discussion des

questions qui s'y rattachent, et où la victoire passe tour à tour de côté et d'autre sans que la lutte soit jamais finie. C'est le spectacle singulier qu'elles offrent aujourd'hui comme toujours

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aux regards de la société qui forme galerie autour des contestants et attend le terme du long débat; et comme au travers de ce choc incessant d'idées, de principes, de raisonnements contradictoires, desquels il n'y a rien à conclure, elle vit en définitive, ainsi se perpétue la vieille querelle de la théorie et de la pratique; querelle assez vaine au fond dans le fait : car, se peut-il. somme toute, que la théorie n'ait quelque pratique pour appui, et quelle est, d'autre part, la pratique qui ne touche à une théorie quelconque ?

Nous en sommes là. Un corps de science qui devrait être le fondement de l'existence sociale et se confondre pour ainsi dire avec elle, en est tenu en dehors comme s'il ne se composait que de creuses abstractions, étrangères au mouvement des choses humaines. Nul ne niera assurément qu'un tel rôle n'ait été de tout temps départi à la philosophie; la morale n'a guère de valeur usuelle qu'autant qu'elle se présente sous une enveloppe religieuse; les études législatives se réduisent trop souvent, sauf exception, dans l'enseignement supérieur,

à un sec commentaire des textes de la loi, et l'économie politique en est à peu près bannie, comme un hors-d'œuvre dont on peut fort bien se passer'. Quant à la politique, il est entendu que ceux qui la pratiquent sont comme les gentilshommes de Molière qui savent tout sans avoir rien appris. Chose digne de remarque même. ces sciences qui forment comme un étroit faisceau, dans leur condition académique, s'isolent et se divisent parfois entre elles; ce n'est pas seulement la science positive, celle du géomètre et du physicien, qui usera, à l'occasion, deformes irrespectueuses à leur égard; elles ont ellesmêmes des dédains réciproques à peine déguisés; et c'est ainsi qu'on entendra un philosophe émettre des doutes sur la valeur des théories économiques, tandis que tel économiste, de son côté, se demandera si le savoir philosophique constitue bien une science réelle.

1. Ce n'est que tout récemment que quelques principes de la science économique ont pris pied avec une certaine autorité dans les débats de nos assemblées, et la création d'une chaire d'économie politique à la Faculté de droit de Paris, l'une des plus intéressantes mesures du savant et habile ministre actuel de l'instruction publique, M. Duruy, ne compte au moment où j'écris que quelques mois de date.

Et qu'on ne croie pas que cet état de choses, en matière de sciences sociales, soit particulier à notre pays; il est, à des degrés divers, partout le même. En certaines contrées où le cadre universitaire s'élargit jusqu'au point de devenir encyclopédique, la situation ne s'en trouve pas modifiée; les questions occupent, agitent un plus grand nombre d'esprits, mais elles ne sortent pas pour cela du domaine de la spéculation. Là aussi, la science et la société marchent latéralement, essayant de s'imposer l'une à l'autre et ne pouvant par conséquent aboutir à un grand et sérieux résultat. Là aussi, comme parmi nous, s'ouvre à la raison un vaste labyrinthe où manque le fil précieux qui l'empêcherait de s'égarer et de se perdre en ses détours.

Les branches de la connaissance humaine dont il s'agit ont pourtant produit, à d'autres époques, nombre d'écrits qui honorent le génie de l'homme, et, de nos jours, elles suscitent, de temps à autre, des travaux d'une haute portée. Tout cela trouve, il faut le reconnaître, d'assez nombreux lecteurs et amène un certain mouvement dans la société ; mais ce mouvement reste

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