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ans, n'avait pu ou voulu reconnaître. Ce parent descendait de Pierre Corneille, oncle du célèbre auteur tragique. Dreux du Radier se chargea de la cause du collatéral, et chercha à prouver que Fontenelle, s'il n'avait pas été entouré de personnes qui profitaient de la faiblesse de son esprit dans sa haute vieillesse, n'aurait pas laissé dans la misère un parent qui portait le beau nom de Corneille. Cependant les quatre légataires gagnèrent le procès au Châtelet et au Parlement; elles donnèrent quelques secours à leur malheureux adversaire, qui trouva ensuite au théâtre français un accueil plus généreux que celui qu'il avait reçu de sa famille. On donna à son bénéfice la représentation de Rodogune, une des plus brillantes que l'on ait jamais vues à ce théâtre, et où l'enthousiasme national répara l'indifférence, de ses parens.

Nous allons maintenant nous occuper des travaux littéraires du célèbre auteur, dont nous publions les ouvrages. Voltaire avait dit de lui:

D'un nouvel univers il ouvrit la barrière,

Des Infinis sans nombre autour de lui naissans,
Mesurés par ses mains, à son ordre croissans
A nos yeux étonnés il traça la carrière.
L'ignorant l'entendit, le savant l'admira;
Né pour tous les talens, il fit un opéra.

Il le loua mieux dans son Siècle de Louis XIV. On sait que Fontenelle ayant entendu parler de l'article que Voltaire lui avait consacré dans cet ouvrage, demanda à un ami ce qu'il contenait ; et qu'ayant appris que Voltaire mettait des restrictions à ses éloges, mais qu'il débutait dans son article par dire que Fontenelle serait une exception à la loi que l'auteur s'était faite de ne mettre aucun homme vivant dans sa revue des écrivains du siècle de Louis XIV, Fontenelle répondit : « Ce début me suffit, et quelque chose qu'ait pu dire ensuite M. de Voltaire, je suis content. » Il avait en effet raison de l'être. Voltaire le représente comme l'esprit le plus universel que le siècle de Louis XIV ait produit, et le compare à ces terres heureusement situées qui portent toutes les espèces de fruits. « On l'a regardé, dit Voltaire, comme le premier des hommes dans l'art nouveau de répandre de la lumière et des grâces sur les sciences abstraites, et il a eu du mérite dans tous les autres genres qu'il a traités. Tant de talens ont été soutenus par la connaissance des langues et de l'histoire, et il a été sans contredit au-dessus de tous les savans qui n'ont pas eu le don de l'invention. »

On trouve des jugemens plus flatteurs, mais peut-être moins justes, sur le mérite littéraire de Fontenelle, dans les nombreux

éloges académiques dont il a été l'objet. Nous citerons cependant un passage de son éloge fait par le duc de Nivernois : « A son entrée dans la noble carrière des lettres, dit cet académicien, la lice était pleine d'athlètes couronnés; tous les prix étaient distribués, toutes les palmes étaient enlevées; il ne restait à cueillir que celle de l'universalité; Fontenelle osa y aspirer, et il l'obtint. Semblable à ces chefs-d'œuvre d'architecture qui rassemblent les trésors de tous les ordres, il réunit l'élégance et la solidité, la sagesse et les grâces, la bienséance et la hardiesse, l'abondance et l'économie; il plaît à tous les esprits, parce qu'il a tous les mérites. Chez lui, le badinage le plus léger et la philosophie la plus profonde, les traits de la plaisanterie la plus enjouée, et ceux de la morale la plus intérieure, les grâces de l'imagination et les résultats de la réflexion, tous ces effets de causes presque contraires, se trouvent quelquefois fondus ensemble, toujours placés l'un près de l'autre dans les oppositions les plus heureuses, contrastées avec une intelligence admirable... Les hommes consentent à savoir, mais non pas à étudier. La multitude se refuse au travail, et il faut la conduire par des chemins de fleurs : c'est ce qu'a fait Fontenelle, ne cessant jamais de plaire pour parvenir à instruire, et apprivoisant tous les hommes avec la raison, parce qu'il la montre toujours sous les traits de l'agrément. C'est ainsi que la plus haute astronomie, c'est ainsi que l'érudition la plus profonde, deviennent entre ses mains des matières parées de toutes les grâces qui captivent l'imagination. Les sublimes spéculations de Descartes sur le système planétaire ne paraissent qu'un badinage qui, développant au lecteur le plus superficiel toute la théorie des astres, le conduit sans effort jusqu'à cette vaste et brillante hypothèse entrevue par les anciens, de la multiplicité des mondes; les compilations laborieuses du docte Van - Dale sur les prestiges imposteurs du paganisme, ne sont plus qu'un précis élégant qui force l'inapplication même à s'instruire, parce que l'instruction n'est jamais séparée du plaisir. Ce soin de plaire en enseignant n'était à vrai dire qu'une restitution que Fontenelle faisait à la raison et au savoir qui lui avaient tant de fois prêté leurs trésors pour enrichir ses ouvrages de pur agrément. Que ne peuvent Ovide et Lucien se voir revivre dans ses écrits! Le premier y reconnaîtrait tout le brillant de son coloris, toute la délicatesse de son pinceau, toutes les finesses de sa touche; mais il s'étonnerait de se trouver encore moins peintre que philosophe. Le second reconnaîtrait tout le piquant de ses idées et de ses expressions; mais il s'étonnerait de se trouver toujours aussi riche, aussi varié que neuf et hardi. Tous deux aimeraient Fontenelle. »

Les défauts du style de Fontenelle tenaient un peu à son caractère et à ses habitudes. Accoutumé à vivre avec les gens du monde, surtout avec les femmes, et à modérer tous les mouvemens de son âme, il n'avait jamais de ces élans qui constituent la véritable éloquence : il y substituait la vivacité de l'esprit, et quelquefois le faux bel esprit, parce qu'il est difficile de de ne pas tomber dans ce défaut lorsqu'on vise toujours à l'effet. Les mâles beautés du style classique n'étaient pas de son goût; le style de Fontenelle a quelque chose de féminin et de mignard; il plaît, il charme, mais il n'entraîne pas. Fontenelle ne comprenait pas quels titres les auteurs anciens ont à l'admiration de tous les siècles : il préférait ses contemporains, parce qu'il leur trouvait l'esprit plus orné qu'aux Grecs et aux Romains encore méconnaissait-il le génie de plusieurs écrivains du siècle de Louis XIV; il n'estimait ni Boileau, ni Racine, ni La Bruyère; mais il était grand admirateur de la Motte, il lui trouvait du génie; et il vantait celui de Marivaux. « Un des plus beaux traits de ma vie, disait-il, c'est de n'avoir pas été jaloux de M. la Motte. » Il pensait avec son ami que la raison constitue le principal mérite du poëte, et, plus que la Motte, il faisait des poésies raisonnables. Ses imitateurs ont encore renchéri sur ses défauts, et n'ont pas su les couvrir, comme lui, d'un mélange d'esprit, de grâce, d'urbanité et de philosophie. Disons maintenant quelques mots de chacun de ses principaux ouvrages.

HISTOIRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES.

ÉLOGES DES ACADÉMICIENS.

Pendant les quarante années que Fontenelle a été secrétaire de l'académie des sciences, c'est-à-dire depuis le renouvellement de l'académie en 1699, jusqu'en 1740, il a présenté au public régulièrement tous les ans, à la tête d'un volume du recueil des mémoires de cette société savante, un précis élégant et lumineux des travaux qui avaient rempli les séances de l'année. Pour compléter ce travail, il a fait aussi, en partie, l'histoire des travaux de l'académie avant 1699 : ces précis historiques de l'académie des sciences n'ont point été réimprimés, parce que, malgré le mérite du style, ils ne sauraient plus assez intéresser le public, ne rendant compte que de découvertes et d'expériences dont l'importance a été détruite en grande partie par les progrès qu'ont fait les sciences depuis cette époque. On a inséré seulement dans les OEuvres de Fontenelle les préfaces et introductions, qui dans tous les temps seront lues avec plaisir.

C'est aussi de cette histoire de l'académie des sciences, que l'on a extrait les éloges des académiciens morts. Ces éloges ont infiniment contribué à la renommée de leur auteur; ce sont des chefs-d'œuvre dont il n'y avait de modèle ni dans les auteurs anciens, ni dans la littérature moderne. Fontenelle a su donner à l'histoire de la vie des savans, qui généralement n'offre point d'actions remarquables, un haut degré d'intérêt. Il règne dans son style un ton enjoué qui ne fait jamais languir le récit, et qui est parsemé d'ailleurs de réflexions fines ou philosophiques qui font penser le lecteur, et lui causent des surprises agréables. Tout ce que Fontenelle trouve de louable dans la vie de ses confrères, il le raconte d'un ton naturel, et la louange sort du fond des choses plutôt que de ses paroles. Leurs défauts sont couverts d'un voile qui ne les cache pas tout-à-fait ; mais qui en diminue l'impression. L'auteur des éloges se montre partout en historien, exempt de toutes les passions qui pourraient nuire à son impartialité, et en homme indulgent qui sait parfaitement quelle part il faut faire dans la vie des hommes à la faiblesse inhérente à la nature humaine.

On retrouve dans ces éloges des traces d'affectation, des expressions trop familières, et quelques détails trop minutieux. Néanmoins Voltaire a eu raison de dire les éloges que Fontenelle prononça des académiciens morts, ont le singulier mérite de rendre les sciences respectables, et ont rendu tel leur auteur.

que

« Ce tableau si neuf dans toute l'histoire moderne, dit M. Garat (Eloge de Fontenelle), a été tracé dans un style aussi neuf dans notre langue, et même dans toutes les langues. C'est là, c'est surtout dans les éloges des savans, qu'on trouve et tous les défauts et tous les charmes de cette manière tant critiquée et tant louée, qui n'aurait pas dû avoir plus d'imitateurs qu'elle n'a eu de modèles. Fontenelle veut plaire, mais c'est surtout pour faire penser ; et il se crée un style où la pensée tire tous ses agrémens d'elle-même, où le talent n'est que la richesse de l'esprit, où des idées toujours inattendues et toujours piquantes, forment un jeu continuel de contrastes imprévus, de rapports singuliers et nouveaux, qui réveillent toujours l'attention par la surprise. Fontenelle songe toujours à ses lecteurs qui le suivent toujours avec facilité; sa marche tient à une connaissance profonde de l'esprit humain. Il jette un voile sur les idées très-claires, rend avec une extrême clarté les idées très-profondes, exerce toujours l'attention, ne la fatigue jamais, et surprend également l'esprit et par ce qu'il lui cache et par ce qu'il lui dévoile. Il distribue à son gré l'ombre et la lumière sur des idées très-philosophiques, et se sert de ce mélange

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soit pour

flatter le goût,

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adroit, l'un des secrets des beaux arts,
soit pour ne pas trop alarmer les préjugés.

THEORIE DES TOURBILLONS.

Fontenelle qui resta toute sa vie attaché au système des tourbillons, imaginé par Descartes, en expliqua la théorie, dans sa vieillesse, et à une époque où les découvertes de Newton faisaient abandonner ce système. Trop prudent pour vouloir se brouiller avec les Newtoniens, il hésita long-temps avant de se déterminer à publier sa défense des tourbillons cartésiens. Enfin il s'y décida; elle parut en 1752, mais sans le nom de l'auteur. Ce fut un M. Falconnet qui publia le livre; cet éditeur dit dans sa préface que la théorie des tourbillons est le fruit d'une profonde méditation et d'une sagacité merveilleuse, et que les personnes entre les mains desquelles est tombé le manuscrit, ont cru ne pouvoir donner de meilleur préservatif contre la séduction de ce qu'on appelle Newtonianisme. Ces personnes ont trop présumé de l'effet de cette théorie. Toutefois c'est un exposé intéressant du cartésianisme qui a eu long-temps des partisans.

DOUTES SUR LES CAUSES OCCASIONNELLES.

Le système physique des causes occasionnelles était encore du cartesianisme : le P. Malebranche l'avait appuyé de nouvelles preuves; mais Fontenelle ne favorisait pas cette théorie comme celle des tourbillons, et en 1686, il publia ses doutes qui parurent à Rotterdam, in-12, sans nom d'auteur. Un anonyme, qui était le P. Malebranche lui-même, y répondit dans la même année par des réflexions qui furent également imprimées en Hollande. La réplique de Fontenelle à ces réflexions, se trouve à la suite des Doutes. Le P. Lami combattit aussi, mais longtemps après, le petit écrit de Fontenelle, dans ses Lettres philosophiques, Trévoux 1703.

ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MON DES.

Dans la même année où Fontenelle émit ses doutes sur les Causes occasionnelles, parurent ses. Entretiens sur la pluralité des Mondes, fondés en partie sur le système du cartésianisme. Ils eurent le plus grand succès et se répandirent dans toutes les classes de la société; aujourd'hui encore c'est de tous les écrits de Fontenelle celui qu'on lit le plus généralement. Quoique les progrès de l'astronomie aient mis à découvert le côté faible des hypothèses cartésiennes, on relit avec plaisir un ouvrage

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