Page images
PDF
EPUB

plus, suivant mon besoin, ou à mon caprice, tantôt dans une production entière, tantôt dans quelques parties saillantes, qui en seraient déta

chées.

Si cela pouvait m'avoir réussi, cela pourrait aussi servir à d'autres. On se ménage une petite satisfaction dans ses petites entreprises, quand on peut y associer ses pareils. Mêler à tout de bonnes intentions, et les dire avec franchise, est un de ces besoins auxquels on s'abandonne, à mesure qu'on se désabuse des espérances ambitieuses.

C'est un art que de faire un bon livre de réflexions et de morceaux détachés; un livre, qui s'approche, un peu, des chefs-d'œuvre, peu nombreux, que nous avons déjà dans ce genre; en m'y essayant, j'ai mieux senti combien l'excellence y est difficile.

Nulle part, il ne faut un fond plus juste, plus vrai, plus heureux, plus riche, dans la pensée, que lorsque la pensée vient s'offrir, seule, à votre attention; lorsqu'elle doit la fixer, la retenir, la satisfaire, et surtout l'exercer; car on ne s'arrête sur les pensées des autres, que pour réveiller et animer les siennes.

La pensée nue ne suffit pas ici; il faut la pensée, avec tout ce qu'elle pouvait recevoir de clarté, d'énergie, de vivacité ; c'est-à-dire, dans sa plus belle simplicité. Ici, la moindre trace d'embarras,

d'affectation, même d'un ornement inutile, gåte tout. Nul autre genre ne demande un goût aussi sévère.

On pourrait croire que c'est l'esprit ici qui se marque le plus; non, c'est l'àme. Toute pensée, qui n'aura pas été sentie dans tous ses rapports, restera froide et stérile pour le lecteur.

Il faut ensuite un tour, un mouvement, une couleur, une physionomie à toute l'expression de la pensée; et uniquement comme elle les veut, comme elle les comporte.

Enfin rien ne sera accompli, si le tour, le mouvement, la couleur, le caractère ne se varient d'une pensée à l'autre ; et s'ils ne naissent de chacune, comme par la puissance de l'inspiration.

Je parle contre moi, en traçant les conditions. à remplir; je parle aussi pour moi; car elles donnent des droits à l'indulgence.

Je me réserve d'approfondir ces idées, en les joignant à d'autres, moins élémentaires, dans le discours préliminaire de mon recueil de pensées et de morceaux détachés, si je suis encouragé à finir cet essai.

Je n'ai plus qu'à exposer comment j'ai procédé. En parcourant, au hasard, ceux de mes écrits, qui sont plutôt des morceaux que des ouvrages, j'ai marqué, d'abord, les traits et les passages, qui me paraissaient propres à se détacher.

Ensuite, en les transcrivant, j'ai presque toujours éprouvé qu'il fallait changer ou l'expression, ou le tour, ou le mouvement; et quelquefois tirer une nouvelle pensée, de la pensée originaire.

Il y a plus de la moitié de celles qu'on trouvera dans ce recueil, qui sont renouvelées par la forme. Il y en a un assez grand nombre, tellement changées par le fond même, que, déjà moi-même, je ne pourrais plus dire d'où je les ai tirées.

Quelquefois des ouvrages entiers m'ont trèspeu fourni.

Quelquefois des pages entières se sont trouvées propres à se découper, en traits isolés.

On est riche ou pauvre pour cet emploi, non, d'après le mérite intrinsèque des écrits; mais selon qu'ils portent sur des idées générales ou sur des idées particulières.

Craignant de trop prendre dans des ouvrages, publiés, j'ai laissé de côté ceux qui m'auraient fourni le plus; et j'ai fini par ne plus mettre à contribution que des écrits condamnés, et qui ne reparaîtront plus.

Hors deux petits écrits (*), ni pensées, ni

(*) Dans le premier tome, les Réflexions sur les discours académiques. Dans le second, le Portrait de Thomas, de l'Académie française.

morceaux, ne sont empruntés de tout ce qui compose ce recueil.

J'ai voulu, plusieurs fois, donner des extraits de certains écrits, qui m'ont paru utiles, à reproduire, dans le moment actuel.

Ces petites compositions, ou plutôt ces compositions transformées, ne sont pas faciles; et c'est par-là que j'ai été excité à celles-ci, comme à une épreuve de plus à tenter.

Lorsqu'un premier succès, dans les concours académiques, m'eût autorisé à embrasser la profession des lettres; je sentis le besoin de refaire de plus fortes études sur le style; de les faire par l'exercice; et en osant lutter avec les plus grands écrivains ; c'est alors que je méditai, avec des vues toutes nouvelles, Tacite et Salluste; Montaigne et Pascal; Bossuet et La Bruyère; Montesquieu et Rousseau. Je remarquai, dans tous ces modèles, un genre de composition, qui se détache par lui-même; où s'empreint leur génie dans toute sa force et sa variété ; et auquel on peut s'appliquer avec plus d'avantage, parce que le genre en est simple; parce que la matière en est si étendue, qu'elle ne s'épuise jamais; c'est les portraits de grands hommes, autrement les portraits historiques.

Je me traçai un de ces cadres, où l'on fait

venir tous les objets que l'on recherche. Mais on s'égare, très-aisément, dans ces conceptions, où l'on prétend commander à son sujet, et non s'abandonner à son sujet. Après avoir accumulé, sans un véritable lien, un assez grand nombre de portraits, je m'aperçus que s'ils valaient quelque chose, c'était pris à part, un à un; et je jetai à bas le mauvais cadre, qui unissait mal mes figures, pour les rendre à leur effet isolé.

Dans ces derniers temps, en méditant mon ouvrage sur l'Institut, je me suis imposé d'essayer, comme une de mes vues sur l'emploi d'une académie littéraire, une discussion, où les progrès de la langue, de l'éloquence et du goût, pour-, raient être examinés dans tous les grands écrivains; et depuis le seizième siècle jusqu'à nos jours. Il me fallait un genre peu étendu, pour pouvoir passer rapidement d'un objet à l'autre. Les portraits historiques revinrent, une seconde fois, me fournir un objet, pour d'autres études.

Voici la marche de ce travail. Il commence à Montaigne.

Montaigne a un chapitre, qu'il appelle des trois plus excellens hommes; et il les a bien choisis; ce sont Homère, Socrate, Alexandre.

Je prends d'abord l'Homère de Montaigne; et me voilà commentateur des idées et des figures de style, et de tout le langage de Montaigue.

« PreviousContinue »