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PREMIÈRE PARTIE.

NARRATIONS, SCÈNES, ET DESCRIPTIONS.

SCÈNES DE PARIS.

O vous, élégans dandys, riches fashionables de la chaussée-d'Antin, et du fauxbourg Saint-Honoré, femmes de cour, femmes du bon ton, qui ne sortez jamais qu'en équipage, et qui, du fond de vos carrosses dorés, apercevez à peine et en courant ce peuple innombrable qui bourdonne à vos pieds; élus du sort, enfans gâtés de la fortune, qui ne hantez que les Palais, et à qui la vie ne s'est jamais montrée qu'en toilette, venez! Je veux vous introduire aujourd'hui dans un monde que vous ne connaissez point; monde grossier, trivial, monde des carrefours et des ruisseaux, monde en sabots et en guenilles, mais monde singulier, original, amusant et digne des regards du sage.

C'est aujourd'hui

Me suive donc qui voudra! Dimanche, il fait beau, et nous pouvons parcourir les promenades.

Quelle immense population s'agite dans les jardins publics, sur les quais, sur les boulevards, dans les Champs-Elysées! Quelle fourmillère d'hommes ! L'étudiant, le bourgeois, le militaire, le boutiquier de la rue Saint-Denis, le commis marchand, la grisette, tout le monde s'est fait beau, tout le monde court, tout le monde veut se divertir. Que de rendez-vous donnés ! Que de parties arrangées! On se hâte, on se croise dans tous les sens. C'est le jour du linge blanc, et des

B

habits neufs, les valets sont mis comme les maîtres. Des artilleurs, des dragons, en grande tenue taille de cinq pieds huit pouces, se promènent d'un air vainqueur, avec des femmes de quatre pieds, lesquelles sont toutes fières d'être vues en public avec leur amoureux qui a un plumet et des épaulettes.

Avançons, cependant; quelle sérénité sur tous ces visages! En ce jour de joie et de vacance, on oublie les affaires, les soucis de la semaine. On met de côté toute idée importune jusqu'au Lundi matin. Les maisons sont désertes, tout Paris est dans les rues. C'est dans la rue qu'on joue, dans la rue qu'on mange, dans la rue qu'on boit.

A Paris, rien ne se fait par petite quantité; tout se fait par charretées, par montagnes, comme au pays des ripailles. Il est certains entrepreneurs de pâtisserie dont le four, les Dimanches vomit des millions de petits pains, de tartes, de gallettes, véritable volcan en activité, sorte d'éruption gastronomique dont les laves toutes chaudes se répandent, en un clin d'œil, jusqu'aux extrémités des faubourgs, comme un torrent, comme un déluge de gâteaux à la graisse.

Cela vous soulève le cœur ? eh bien! nous avons de quoi le remettre ce cœur si délicat, si susceptible. Voici de la limonade à la glace à un sou le verre. Belle et philantropique invention ! Entreprise populaire et libérale, s'il en fut jamais! De la limonade fraîche, de la limonade sucrée, non plus pour nos Lucullus de la Bourse, non plus dans les brillans salons du PalaisRoyal, mais au coin de la borne, et pour le malheureux qui souvent manque de pain. O merveilleuse importation des arts utiles !

Heureux Parisien ! tous les arts, toutes les contrées s'épuisent pour satisfaire à ses goûts, à ses caprices. Toutes les denrées indigènes, il les trouve sous sa main et à bon compte: il n'a qu'à se baisser pour en prendre ; mais c'est peu; on lui apporte les productions exotiques, les fruits de l'équateur, et il ne les paie guère plus cher que les pommes et les poires du voisinage. Désirez-vous goûter de la noix de coco? en voici. Un

vous en fera pour un sou, pour deux sous, pour moins, comme vous voudrez. Désirez-vous manger de la canne à sucre, de ce roseau inappréciable d'où coule une ambroisie plus douce que celle des Dieux de la fable? En voici également. Dites combien vous en voulez. Mais, ce n'est pas bon, dites-vous ; c'est un bois sec et sans saveur ; mais comptez-vous pour rien le plaisir d'avoir mangé de la canne à sucre ? toute votre vie, vous pourrez vous targuer de cela, comme d'un mérite. "Moi, qui vous parle," direz-vous, "j'ai mangé de la canne à sucre ;" et l'on vous regardera avec étonnement, presque avec respect, et vous serez un homme important, un personnage unique pour avoir mangé de la canne à sucre.

C'est la moindre chose encore que les comestibles, les friandises: bien d'autres merveilles nous attendent. Songez que nous sommes ici dans la ville des prodiges, au centre des curiosités de l'univers. Que voulez-vous voir ? dites-le-moi, vous n'avez qu'à parler, tous vos souhaits seront accomplis à l'instant. Jamais la baguette des enchanteurs, jamais les génies des contes arabes, n'ont rien fait qui approche des réalités qui nous entourent. Si dans un coin du monde, il naît une créature extraordinaire; si on découvre quelque part un rat gros comme un homme, ou un homme gros comme un boeuf, ou un boeuf gros comme un éléphant, ou un éléphant gros comme une baleine, c'est infailliblement à Paris que toutes ces belles choses se donnent rendez-vous. Tout se trouve à Paris, même ce qui n'est pas dans la nature.

Voulez-vous voir le cheval de César qui avait des pieds humains, ou celui d'Alexandre qui avait une tête de bœuf? voulez-vous voir l'Hydre, la Chimère, le dragon de Cadmus, le monstre d'Andromède ? Voulez-vous voir un griffon, un sphinx, un satyre, un centaure, un triton, une syrène, un cyclope, un Pantagon, un pygmée, une Gorgone, un albinos, un vampire, un habitant de la lune ? Vous n'avez qu'à dire; tout cela existe dans Paris, sur des chariots, sous des tentes, dans des cages, dans des caisses, dans des baquets.

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