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AVIS. L'auteur se réserve le droit de propriete et de traduction de cet ouvra retranger, spécialement en Angleterre, conformément aux conventions conc pour la garantie de la propriété littéraire.

PREFACE

Je réimprime, dans ce volume, un des premiers travaux de ma jeunesse, un travail publié pour la première fois en 1813, il y a bientôt quarante ans. J'y ai beaucoup changé. J'étais tenté d'y changer bien davantage. Tant d'années, et de telles années, ouvrent sur toutes choses, sur la littérature comme sur la vie, des perspectives bien nouvelles ; qui ne sait tout ce qu'on découvre en changeant d'horizon, sans changer de pensée ? Mais j'aurais refait mon ouvrage. Je ne l'ai pas voulu. Il faut qu'un livre soit et reste de son temps. Celui-ci est, si je ne me trompe, une image fidèle de l'esprit qui prévalait, il y a quarante ans, dans les Lettres,

parmi ceux qui les cultivaient et dans le public qui les aimait.

Car on cultivait et on aimait vraiment les Lettres dans ce temps qui leur laissait si peu de place. Jamais la politique rude n'a plus complétement dominé la France; jamais la force n'a plus incessamment rempli les années, les mois, les jours, de ses coups et de ses hasards. La guerre semblait devenue l'état normal des sociétés humaines. Non pas la guerre contenue dans certaines bornes par le droit des gens et les anciennes traditions des États, mais la guerre illimitée, immense, renversant, bouleversant, confondant ou séparant violemment les gouvernements et les nations. Entre les premiers jours de ma jeunesse et avant qu'elle fût finie, j'ai vu l'Europe civilisée en proie à deux déluges contraires d'invasion et de conquête tels qu'elle n'avait rien connu de semblable depuis la chute de l'Empire romain. Dans l'espace de dix années, j'ai vu naître, grandir, s'étendre et s'évanouir cet Empire de Napoléon, l'éclair le plus éblouissant, le plus foudroyant et le plus éphémère qui ait jamais traversé l'horizon du monde. Et ce n'était pas seulement sur l'état politique des nations, sur le sort des têtes couronnées, sur la vie des généraux et des soldats que portait le poids toujours croissant de ces

vastes luttes qui devaient être si vaines; elles avaient des atteintes qui pénétraient dans la société tout entière; point d'existence, si indépendante ou si petite qu'elle fût, qui n'eût sa part d'effort à faire et de fardeau à subir; la vie domestique, dans les conditions les plus obscures comme dans les plus hautes, était frappée des mêmes coups qui renversaient les trônes des rois et les frontières des États, En 1810, des ordres absolus allaient chercher, dans leurs foyers, des fils de famille qui avaient satisfait à toutes les obligations légales, et les envoyaient violemment à l'armée. En 1814, les cultivateurs manquaient aux campagnes ; et dans les villes, les travaux suspendus, les constructions abandonnées offraient un aspect de ruines neuves aussi étrange que douloureux,

Un tel régime, dans ses gloires comme dans ses désastres, convient mal aux Lettres; elles veulent ou plus de repos, ou plus de liberté. Et pourtant telle est la vitalité intellectuelle de la France que, même alors, elle ne s'est point laissé enfermer ni épuiser dans une seule carrière, et qu'elle a fourni de nobles plaisirs à l'esprit des hommes en même temps qu'elle prodiguait, à l'insatiable ambition d'un homme, des milliers d'habiles et énergiques soldats.

Trois puissances littéraires (je ne parle pas

des savants ni des philosophes) ont brillé durant l'Empire, et exercé sur les écrivains et sur le public une influence féconde : le Journal des Débats, M. de Châteaubriand et Mme de Stael.

La restauration littéraire de la France, c'est-àdire le retour au culte des classiques anciens et de nos classiques français, les grands écrivains du dix-septième siècle, ce fut là l'entreprise et l'œuvre du Journal des Débats. OEuvre de réaction, souvent excessive et injuste, comme il arrive à toutes les réactions, mais œuvre de bon sens et de bon goût, qui ramenait les esprits au sentiment du vrai beau, du beau à la fois grand et simple, éternel et national. C'est le caractère du dix-septième siècle que les Lettres y ont été cultivées pour elles-mêmes, non comme un instrument de propagation pour certains systèmes et de succès pour certains desseins. Corneille, Racine et Boileau, même Molière et La Fontaine, avaient, sur les grandes questions de l'ordre moral, ou des croyances très-arrêtées ou des tendances très-marquées; Pascal et La Bruyère, Bossuet et Fénelon ont fait de la philosophie et de la polémique, autant qu'à aucune autre époque en ont pu faire nuls autres écrivains. Mais, dans leur activité littéraire, ces grands hommes n'avaient point d'autre préoccupation que le beau et le vrai, et ne s'inquiétaient que de le

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