E T ENTRETIEN S PHILOSOPHIQUES. DIALOGUE PREMIER. LES EMBELLISSEMENS DE LA VILLE DE CACHEMIRE. LES ES habitans de Cachemire font doux, légers, occupés de bagatelles, comme d'autres peuples le font d'affaires sérieuses, et vivant comme des enfans qui ne favent jamais la raifon de ce qu'on leur ordonne, qui murmurent de tout, fe confolent de tout, fe moquent de tout, et oublient tout. Ils n'avaient naturellement aucun goût pour les arts. Le royaume de Cachemire a fubfifté plus de treize cents ans, fans avoir eu ni de vrais philofophes, ni de vrais poëtes ni d'architectes paffables, ni de peintres, ni de fculpteurs. Ils manquèrent long-temps de manufactures et de commerce, au point que, pendant plus de mille ans, quand un marquis cachemirien voulait avoir du linge et un beau pourpoint, il était obligé d'avoir recours à un juif ou à un banian. Enfin, vers le commencement du dernier fiècle, il s'éleva dans Cachemire quelques hommes qui femblaient n'être pas de la nation, et qui, nourris de la fcience des Perfans et des Indiens, portèrent la raison et le génie auffi loin qu'ils peuvent aller. Il fe trouva un fultan qui encouragea ces grands hommes, et qui, à l'aide d'un bon vifir, poliça, embellit et enrichit le royaume. Les Cachemiriens reçurent tous fes bienfaits en plaisantant, et firent des chanfons contre le fultan, contre le miniftre, et contre les grands hommes qui les éclairaient. Les arts languirent depuis à Cachemire. Le feu que des génies infpirés du ciel avaient allumé fut couvert de cendres. La nature parut épuifée. La gloire des arts à Cachemire ne confiftait presque plus que dans les pieds et dans les mains. Il y avait des gens fort adroits qui avaient l'art de paffer une jambe par-deffus l'autre, au fon des inftrumens, avec une grâce merveilleufe ; d'autres qui inventaient toutes les femaines une façon admirable d'ajufter un ruban; et enfin d'excellens chimiftes qui, avec de l'effence de jambon et autres |
