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BIOGRAPHIE.

LE GÉNÉRAL SAURIA,

de Poligny (Jura),

(Nolice couronnée, en 1862, par la Société des sciences et arts de Poligny).
PAR M. LE PROFESSEUR HENRI CLER,

AGRICULTURE ISPORRE SCIENUES AND

DELLES LATYPES

Archiviste de la Société, correspondant de la Société des sciences et lettres de Blois.

CHAPITRE Ier.

ORIGINE ESPAgnole de la famille du GÉNÉRAL SAURIA,
SES AIEUX, SES FRÈRES.

SAURIA, Jean-Charles, naquit à Poligny le 4 novembre 1753. Son père, Claude Sauria, et son aïeul, Philibert, figuraient honorablement parmi les bourgeois et les notables de la cité. Il avait pour frères, JeanBaptiste Sauria, prêtre de l'Oratoire, et Jean-Marie, mort de bonne heure à la frontière, avec le titre de commissaire des guerres.

Cette famille, unique en France, et dont le nom s'écrivait primitivement Soria, était originaire d'Espagne, comme l'attestent la province et la ville homonymes dans la vieille Castille. Non moins ancienne que distinguée, c'est probablement alors que la vaste puissance fondée par Charles V possédait encore notre contrée, et avant sa conquête définitive par Louis XIV, vers la fin du XVIIe siècle, qu'elle avait dû y transporter ses pénates. De nombreux témoignages viendraient, au besoin, servir de caution et de garantie à cette opinion. Il suffira de citer les documents suivants :

1o Certificat délivré, à Rome, à l'un de ses membres, à la date de 1682. « Nous, soussignés, gardiens et vénérable camérier de l'hôpital du S'-Sauveur, à Rome.

« En conséquence, comme Claude Soria, de Poligny, ville de Franche-Comté, province de Bourgogne, a déployé un zèle au-dessus de tout éloge, non seulement en soignant pendant quinze mois les malades du grand hôpital de Rome, mais encore en donnant, au milieu de ses collègues, pendant tout ce temps, des preuves fréquentes et non équivoques de sa science, particulièrement en anatomie et en chirurgie, nous pensons que ce serait faire tort à ce jeune homme qui, par ses bons offices, a bien mérité de notre hôpital, qu'il quitte de son plein gré, que de ne pas lui donner tous les témoignages dont il est digne.

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<< En foi de quoi nous lui avons donné ce témoignage et ces présentes scellées du sceau public de l'hôpital général de notre ville. A Rome, ce 10 mars 1682, et la sixième année du pontificat d'Innocent, occupant le S-Siège, par la divine Providence. (Suivent les signatures). 2o Pièce relative à la concession d'une tombe, en 1686 (l'orthographe conservée).

« Nous, soussignés, prieur et religieux du couvent des FFres pres cheurs de Poligny Emens de bonne volonté pour le sieur Philibert Sauriat et pour le sieur Claude Sauriat, Mtre chirurgien son fils, pour eux et les leurs, leurs avons accordé droit de sépulture sous une tombe, proche du pilier de la chaise de l'église

«En reconnaissance de quoy le dit sieur Sauriat a donné une pistole d'or pour les réparations de l'église dont nous le remercions le septième décembre 1786. Nicolas ISABEAU, prieur, etc. »

3o Un acte notarié concernant l'investiture de l'aumônerie d'une chapelle, en 1733.

«Cejourd'huy mercredy 3 juin 1733 avant midy en vertu de la signature apostolique de provision de la chapellerie de Sainte Catherine érigée en la chapelle de Seignelay (diocèse d'Auxerre) accordée par illustrissime et révérendissime Evecque d'Auxerre à M. Claude-Anatoille Sauria de Gaudry prestre du diocèse de Besançon

<«< Par moi notaire royal et apostolique du baillage et diocèse d'Auxerre, et a été lue et publiée à haute voix la prise de possession de la dite chapelle, etc. » (Suivent les signatures).

Ainsi né, comme sous l'influence bienfaisante d'un astre tutélaire au milieu de cette atmosphère doctrinale, littéraire et scientifique, fils d'un maître ès-chirurgie, frère d'un religieux parvenu, par ses talents et ses vertus, au supériorat de l'oratoire de Baume, parent d'un chapelain seigneurial, ami futur et fidèle de l'inspecteur de l'Académie de Besançon, l'estimable feu M. Répécaud, de Salins, ainsi né, dis-je, et dans ce cortège formé autour de son berceau, le jeune Jean-Charles dut recevoir une instruction en rapport avec ces données et ces conditions.

CHAPITRE II.

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PREMIERS ACTES DE LA VIE DU JEUNE SAURIA.- SON GOUT POUR LES LETTRES ET SON APTITUDE AUX EMPLOIS CIVILS ET MILITAIRES.

Il avait à peine dix-sept ans, c'est-à-dire, en 1770 (1er mai), qu'il entra au service et s'engagea dans le régiment Bourbon-Cavalerie, depuis 3 de dragons, alors en garnison à Dole.

Mais cette vie de garnison, en temps de paix, avec ses loisirs monotones et son inaction forcée, exclusive de toute chance d'avancement, ne pouvait longtemps convenir au besoin d'activité du jeune volontaire, à cette époque surtout, lorsqu'à la veille d'un cataclysme imminent, une inquiétude indéfinissable pesait sur les esprits, ainsi qu'un calme lourd et plat, précurseur de la tempête.

C'est dans ces circonstances que le jeune Sauria rentra dans ses foyers, pour s'y occuper de l'exploitation de ses propriétés, bien entendu après s'être fait racheter par ses parents, ainsi que l'atteste le certificat de l'intendant de la province.

Mais devenu libre, les soins de la terre et les travaux de la ferme ne pouvaient être dans le cas d'absorber son intelligence. Il y aurait eu grandement lieu de s'étonner, a-t-il été remarqué à l'occasion du goût pour l'étude des parents du jeune Sauria, que l'instruction de celui-ci n'eût pas reçu des développements analogues, et qu'il ne se fût pas ren

contré quelque part, en réserve, une ou plusieurs preuves à l'appui d'une probabilité empreinte, en quelque sorte, des caractères de la certitude. Cette prévision facile trouve sa justification dans les pièces sui

vantes :

1° Un diplôme de membre de l'Académie de Besançon, à lui accordé à titre d'érudit.

2o Un diplôme de membre correspondant de l'Athénée de la langue française.

3o Un diplôme de membre honoraire de la Société française de statistique universelle.

4. Enfin un diplôme de membre titulaire de l'Académie de l'industrie française, agricole, manufacturière et commerciale.

Monuments authentiques de ses dispositions littéraires. Mais ces tendances de son esprit, la culture même de la poésie à laquelle il se livrait aux heures des douces rêveries, ainsi qu'en font foi ses correspondances et ces maximes d'Horace, qu'il avait prises pour devises et pour règles de conduite :

Nihil cupere, parvo consentum esse, summa felicitas est.
Diligenda mediocritas, æquanimitas retinenda (1).

Cette aptitude, disons-nous, aux arts de la paix, tous ces liens, tous ces moyens d'attache au foyer ne servent qu'à mieux faire ressortir et à rendre plus méritoire l'acte de patriotisme et de dévouement dont il fit preuve par son ardeur à répondre, un des premiers, à l'appel fait par Ja patrie en danger, au courage de ses enfants.

CHAPITRE III.

PREMIERS GRADES, PREMIÈRES MISSIONS DU GÉNÉRAL SAURIA.

DU CHATEAU-FORT DE LIECHTEMBERK.
DE SAVERNE.

DÉLIVRANCE

COMMANDEMENT DE LA CITADELLE

Donc l'agriculteur quittant la bêche, l'agrégé à l'Université de Besançon, déposant la plume, se décida à y substituer l'épée, et son titre d'ancien militaire le fit élire, le 7 avril 1791, capitaine au 2 bataillon du Jura. Ce corps ne tarda pas à rejoindre l'armée du Rhin, cette armée placée en face de l'ennemi campé sur l'autre rive, et chargée de défendre le pays contre ses projets et ses tentatives journalières d'invasion, et dès lors, investies des opérations les plus importantes.

Employé à l'état-major, en juillet 1793, il fut, le 18 octobre de la même année, désigné par les représentants du peuple pour visiter les châteaux de la Petite-Pierre et de Liechtemberk, en vertu d'un arrêté qui commence par ces mots :

« Les représentants du peuple près l'armée du Rhin, arrêtent : « Le citoyen Sauria, capitaine au 2 bataillon du Jura, duquel nous con«naissons le civisme, partira de suite de Strasbourg, etc., etc.

■Strasbourg, 18 octobre 1793, l'an II de la République française, une et indivisible.

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Signés Malharmé, Boric, Guyardin, Niou et J.-B. Lacoste. »>

(1) Ne rien désirer trop, se contenter de peu,
De la félicite telle est la loi suprême;
Comme des passions de se soustraire au jeu,
Et d'éviter en tout les excès et l'extrême.

Cette mission n'était pas facile à remplir : l'ennemi était répandu dans toute l'étendue du pays; le capitaine avait notamment à traverser des forêts infestées des ses bandes; mais, malgré ces obstacles, il fut assez habile pour échapper à toute surprise, et assez heureux pour arriver à Liechtemberk avant l'envoi, sous ses murs, d'un trompette en qualité de parlementaire, ou plutôt, afin de sommer le commandant d'avoir à rendre la place. Et cette reddition, après avoir pris connaissance de l'état des munitions et des vivres, il réussit d'abord à l'ajourner, puis à l'empêcher définitivement, y ayant fait passer, quinze jours après, des provisions de Saverne, dont un ordre du 24 lui avait enjoint de prendre le commandement. Cet ordre était ainsi conçu :

« ÉTAT MAJOR.

« Au Quartier général, à Strasbourg, le 24 octobre 1793, l'an II de la République française. « Il est ordonné au citoyen Sauria, capitaine au 2e bataillon du Jura, de se rendre sur-le-champ à Saverne, où il restera en qualité de commandant amovible.

« Cet officier donnera avis aux généraux qui commandent dans les environs, et particulièrement au général Sautter, de son arrivée et de l'objet de sa mission, ainsi qu'au citoyen commandant à Phalsbourg. I ne négligera rien pour avoir connaissance, tant des mouvements de l'ennemi que des nôtres, près Saverne. Il entretiendra une correspondance suivie avec le commandant de Phalsbourg, pour pouvoir être instruit de ce qui se passe entre Phalsbourg et Boukemme. Il fera partir chaque jour, à sept heures du matin et à midi, un rapport de ce qui se passera et de ce qu'il aura appris, qu'il m'adressera par la voie de Wasselonne, et il correspondra également avec le commandant Petit, qui est placé dans ce poste pour le même objet. Il veillera à ce que les gendarmes, employés pour le service de la correspondance, le fassent avec exactitude et célérité, et rendra compte de toutes les négligences qu'il pourrait reconnaître dans ce service essentiel.

«Par ordre du général en chef Carlin, l'adjudant général de la division du Moyen Rhin, Tholmé. »

Bien qu'en le plaçant sous les ordres directs du général de division Burcy, appelé à commander les troupes concentrées sur ce point, et dans ce moment en train de débloquer Landau, ce poste commença à le mettre en relation avec un chef dont le zèle républicain apparent ne pouvait guère laisser soupçonner la future défection, à moins que le regard attentif d'un œil observateur n'ait cru l'entrevoir dans la répugnance réelle ou affectée qu'il éprouvait à admettre le tutoiement, alors en pleine vogue, au civil et au militaire. On devine qu'il s'agit de Pichegru.

Voici sa lettre :

« Au Quartier général, à Schiltigheim, le 15 brumaire de l'an II de la République française, une et indivisible.

« Pichegru, général en chef de l'armée du Rhin, au citoyen Sauria, commandant amovible de Saverne.

« CITOYEN, je dois avoir une entrevue avec le général Hoche, et je m'arrangerai avec lui pour le remplacement des chasseurs et des partisants :

des hommes qui doivent se battre et qui se connaissent si bien, ne font jamais leur devoir avec ce dévouement et cette intrépidité qu'exige la guerre.

« Je vous prie de faire mettre en état d'arrestation le donneur de baiser et de le dénoncer à l'accusateur militaire.

« Salut fraternel. Le général en chef de l'armée du Rhin, P. » C'est aussi de Saverne où, dès son arrivée du Jura, il était venu pour voir son frêre, que le commissaire des guerres Sauria écrit à sa famille pour lui rendre compte de son voyage. Sa lettre, en date du 2 pluviose, an II, renferme quelques particularités curieuses. Au moment où il sortait de Strasbourg, son frère, comme par un fait exprès, s'y dirigeait, et, sans se reconnaître, ils se sont croisés.

« Nous sommes arrivés à Strasbourg, continue-t-il, le dimanche 30 nivose, à 4 heures, au moment où l'on fermait les portes. Je ne me suis point couché durant la route, et j'ai enduré la faim pendant un jour et demi, car, à Colmar, Schelestadt et autres lieux, nous n'avons trouvé ni pain, ni viande, ni vin. A Belfort, j'ai trouvé le citoyen Ramboz, de Château-Châlon, juge militaire à Huningue........... » Suit l'annonce prématurée du remplacement des représentants Lacoste et Baudot, par SaintJuste, Lebas et Hermann. Il poursuit :

« Le citoyen chez lequel loge ici mon frère, vient d'être nommé pour porter à Strasbourg une contribution révolutionnaire de quatre-centmille livres; la commune de Saverne, composée de 4000 âmes, a été obligée de trouver cette somme dans 24 heures. Et Poligny ose se plaindre et faire valoir les petits sacrifices qu'il a faits jusqu'ici !

<< Hier matin, j'ai lu à Strasbourg un jugement affiché, portant mille livres d'amende et quatre heures de poteau contre un jardinier, qui avait demandé dix sous d'une salade, qui n'en valait que deux. Voilà tous les griefs relatés dans le jugement

« Ce sera une perte pour nos concitoyens de l'armée du Rhin que la désignation de Pichegru pour une autre destination. Il s'intéressait vivement pour les Jurassiens. Il cédera le commandement au citoyen Michaud, de Pontarlier, ou des environs.

« J'ai vu, à Strasbourg, le citoyen Répécaud, de Salins, qui avait été nommé avec moi député de la force armée. Il était commandant du 14. bataillon du Jura. Če bataillon vient d'être incorporé et il se trouve soldat....... » Puis viennent, pour terminer, quelques détails intimes. Mais revenons au principal personnage.

Landau débloqué, il accompagna le général Burcy dans ses expéditions. Dans l'une d'elles, ayant rencontré l'ennemi, et l'affaire s'étant engagée, les Français, après sept heures de combat, allaient être contraints de céder au nombre; déjà, le centre abandonné par les fuyards, était prêt à lâcher pied, lorsque le général et lui, ayant rassemblé quelques détachements, les formèrent en colonne d'attaque, et s'étant placés hardiment en avant des tambours qui battaient la charge, se mirent à gravir une montagne. En vain l'ennemi qui se trouvait sur une colline à portée, opposa-t-il une vive résistance et fit-il plusieurs décharges très-meurtrières; aussitôt le sommet atteint, le commandant alla arracher deux pièces d'artillerie et un obusier, et les ayant disposés en batterie, il se

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