Page images
PDF
EPUB

fentimens qui naiffent en foule, & fe preffent dans l'ame, impatiens de fe répandre & de paffer dans l'ame d'autrui. La conviction eft preffante, énergique, elle fait violence à l'entendement; la perfuafion feule eft véhémente, elle fubjugue la volonté. La célérité des idées qui s'échappent comme des traits de lumiere, communiquée à l'expreffion, fait la vivacité du style; leur facilité à fe fuccéder, même fans vîteffe, imitée par le ftyle, en fait la volubilité; mais ces qualités réunies ne font pas la véhémence: elle veut être animée & nourrie par la chaleur du fentiment.

La fineffe, la légèreté, la naïveté la délicateffe tiennent encore plus à la pensée qu'à l'expreffion. Je fai qu'il n'y a point de termes, qui, pris l'un pour l'autre,ne changent la pensée au moins de quelques nuances, & que ces nuances de plus ou de moins, font la pensée eft fine, délicate naive légere, ou qu'elle ne l'eft pas ; mais dans un Ecrivain qui fait fa langue, c'eft la pensée qui choifit les mots.

[ocr errors]

que

Que Didon voulant attendrir Ænée. fe fùt appéfantie fur ce reproche de fes bienfaits

Si bene quid de te merui, fuit aut tibi quid

[blocks in formation]

il n'y auroit plus de délicateffe, Qu'à ces vers charmans de Lafontaine

Les tourterelles fe fuyoient;

Plus d'amour, partant plus de joie,

qu'à mille traits pareils femés dans fes écrits on ajoute, on change quelque chofe; ce n'eft plus la même naïveté. Que dans ces vers d'une Epître que tout le monde fait par cœur:

Contente d'un mauvais foupé,
Que tu changeois en ambroifie,
Tu te livrois : dans ta folie
A l'amant heureux & trompé
Qui t'avoit confacré fa vie,

[ocr errors]

que le poéte, dis-je, au-lieu d'indiquer feulement ce foupé que l'on voit fans qu'il le décrive en eût fait le détail; qu'il eût appuyé fur le fens de ces deux mots, heureux & trompé, qui difent tant de choses; fon ftyle n'auroit plus cette légèreté que nous peint l'image de l'abeille.

(a) Si j'ai fait pour vous quelque chofe, Si quelqu'un de mes dons put jamais vous flatte

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Bouhours trouve délicat cet éloge que Martial fait de Trajan: » Si les anciens peres de la République revenoient des Champs Elifées, Camille, le généreux défenfeur de la liberté ,, Romaine, feroit gloire de vous fervir; Fabrice recevroit lorsque vous lui préfenteriez; Brutus feroit bien aife de vous avoir pour chef& pour maître; le cruel Silla vous remet→ ,,troit le commandement dès qu'il voudroit s'en défaire; Pompée & Céfar vous aimeroient & feroient contens d'être hommes privés;Craf fus vous donneroit tous fes tréfors; enfin Caton embrafferoit le parti de Céfar. Si c'eft-là la délicateffe, je ne fai plus ce qui n'en eft pas. Quelle comparaifon de ces louanges avec celles que Defpréaux donnoit à Louis XIV. & fur-tout avec les plaintes de la molleffe dans le Lutrin!

وو

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

وو

[ocr errors]

Hélas qu'eft devenu ce tems, cet heureux tems Où les Rois s'honoroient du nom de fainéans ?

La délicateffe annonce dans l'ame une fenfibilité craintive & qui menage celle d'autrui la fineffe fuppofe une vue à laquelle rien n'échappe, & l'envie d'échapper à celle des antres ou

d'éprouver leur fagacité. La délicateffe eft la fineffe du fentiment; la fineffe eft la délicateffe de l'efprit. Virgile dit pour exprimer la reffemblance de deux ju

meaux:

Simillima proles,

Indifcreta fuis, gratufque parentibus error (a):

[ocr errors]

& pour peindre les agaceries d'une bergere.

Malo me Galathea petit, lafciva puella,
Et fugit ad falices, & Je cupit ante videri (b).
Voilà des circonftances finement fai-
fies; mais cette fineffe eft en fentiment,
au-lieu que celle-ci eft en efprit.

Va, fui: te montrer que je crains
C'eft te dire affez que je t'aime.

La délicateffe eft toujours bien reçue à la place de la fineffe; mais la fineffe à la place de la délicateffe, manque de naturel & refroidit le ftyle c'eft le défaut dominant d'Ovide.

La légèreté ne fait qu'effleurer la furface des chofes : fon nom peint fon caractere; la nommer, c'eft la définir, (a) Leurs parens s'y trompent eux mêmes, Et fe plaifent à s'y tromper.

(b) La vive & tendre Galathée me jette une pomme, & s'enfuit, & fe cache parmi les Sau les, & veut être apperçûe avant de fe cacher.

gran

La gravité du ftyle eft la maniere dont parle un homme profondément occupé de grands intérêts ou de des chofes tout ce qui reflemble à l'amusement, à la diffipation, au foin de parer fon langage, lui répugne Peindre comme on voit, s'exprimer comme on fent, avec le moins de mots & le plus de force qu'il eft poffible, voilà le ftyle auftere & grave: il ne brille que de fa beauté.

La douceur & l'harmonie du style font des modes indépendans de la penfée; ils tiennent au méchanisme de la langue nous allons bien-tôt nous en Occuper. Mais ce que l'élocution reçoit de la penfée, ce font les mouvemens & les tours.

Montagne a dit de l'ame « l'agitation » eft fa vie & fa grace. » Il en eft de même du ftyle: encore eft-ce peu qu'il foit en mouvement, fi ce mouvement n'eft pas analogue à celui de l'ame; & c'est ici que l'on va fentir la jufteffe de la comparaifon de Lucien, qui veut que le ftyle & la chofe, comme le cavalier & le cheval, ne faf fent qu'un & fe meuvent enfemble. Ces tours qui expriment l'action de Fame, font ce font ce que les Rhéteurs ont

་་

« PreviousContinue »