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c'étoit par le village elle s'arrêtoit auprès de chacun, regardoit tout le monde avec inquiétude. Elle ne se promenoit plus dans le parc; toujours sur la grande route, elle sembloit attendre, aller audevant de quelqu'un. Souvent ac cablée de fatigue, elle s'appuyoit contre les arbres; mais dès qu'elle avoit repris un peu de force, elle continuoit sa marche, ne rentroit que tard, revenant à regret sur ses pas.

"Amélie touchoit au dernier mois de sa grossesse. Je craignis que cette agitation ne fût nuisible à sa santé, ne détruisît votre existence; car je vous aimois, mon fils, avant que vous fussiez au monde ! Frémissant aussi que cette conduite d'Amélie ne fût mal interprétée, un matin, qu'elle étoit restée plus long-temps que de coutume à l'é

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glise, j'allai l'y trouver; elle étoit prosternée contre terre : je me mis à genoux près d'elle; je la suppliai de soigner son enfant. Elle me regarda; son visage étoit baigné de larmes. Je la pris dans mes bras." Pleurez avec moi, mon "Amélie ! que vos larmes tombent sur << mon cœur; mais que je les voie seul! Craignez qu'on ne vous croie coupaCoupable, reprit-elle, oh! non, jamais coupable! Il m'a laissé au moins le bonheur de prier pour "lui!" Je voulus l'emmener. "Non,

"ble!"

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non, me dit-elle tout bas; il y a eu

une bataille: je respire, moi !... Mais "lui!...." Et elle se prosterna de nouveau. J'osai rappeler à Amélie ses devoirs, ce Dieu qui pouvoit le punir !... Oui, mon fils, votre père si sévère étoit réduit, pour sauver vos jours, à entou

rer votre mère de craintes superstitieuses pour celui qu'elle aimoit.

"Je réussis. Amélie effrayée prit mon bras, et m'entraînoit pour sortir de l'église. Revenu dans sa chambre, je lui demandai depuis quand elle aimoit. -Elle couvrit son visage de ses mains, et me répondit: "Élevés ensemble, je "n'ai jamais respiré sans penser à lui.” -Tout à coup elle se précipita à mes pieds." Dites-moi que vous me pardonnez, oh! dites-le-moi ; que Dieu "lui pardonne aussi." Mon fils, je pensai à vous, et je pardonnai. -Mon fils, j'ai pu supporter la plus cruelle douleur pour vous sauver, et vous ne pouvez vaincre un sentiment qui me rendroit la vieillesse odieuse!

"Voulant dérober à mes gens l'état d'Amélie, je devins sa garde, son sou

tien, son consolateur ; je voyois en elle votre mère, et cherchois à vous la con

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"Une nuit que j'avois passée toute entière près de son lit, vers le matin le sommeil m'ayant surpris, je fus éveillé par ses pleurs. Je m'approchai. A travers ses rideaux je la vis à genoux; elle prioit. "Mon Dieu, disoit-elle, 'je n'ai pas eu un jour de bonheur, "et je meurs à dix-sept ans ! Pour

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ma jeunesse, pour tant de larmes

que j'ai versées, mon Dieu, qu'il "vive! accordez-moi qu'il vive!”— J'agitai son rideau; elle se cacha dans son lit, et je l'entendois étouffer ses sanglots.

"Ma sévérité, mes principes même avoient fait place à la plus tendre compassion. Je ne pouvois me défendre

d'une secrète horreur en attendant la nouvelle de cette bataille. Le moindre bruit effrayoit votre mère; elle ne me quittoit plus: on fut donc obligé de me dire devant elle que quelqu'un me demandoit.-Amélie se précipita avant moi vers la porte, aperçut Sophie, devina trop le malheur qu'elle venoit lui annoncer, et tomba sans connoissance.

"Nous la portâmes sur son lit. En revenant à elle, Amélie mit sa main sur la bouche de Sophie, comme effrayée d'entendre ce qu'elle avoit à lui dire. Elle ferma les yeux; des larmes s'en échappoient; elle ne respiroit, ni ne parloit. Sophie, à genoux près d'elle, cherchoit à la ranimer par la douleur même, lui rappeloit son jeune frère, l'aimable Alfred, lui demandoit de le pleurer avec elle. Amélie, sans ouvrir

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