Page images
PDF
EPUB

connaissance des pères, des conciles, de l'histoire de l'église, enfin tout ce qu'on appelle aujourd'hui théologie positive. On allait aussi loin que l'on pouvait aller par la seule métaphysique, et sans le secours des faits presque entièrement inconnus; et cette théologie a pu être appelée fille de l'esprit et de l'ignorance. Mais enfin les vues plus saines et plus nettes des deux derniers siècles ont fait renaître la positive. Du Hamel l'a réunie dans son ouvrage avec la scolastique, et personne n'était plus propre à ménager cette réunion. Ce que la philosophie expérimentale est à l'égard de la philosophie scolastique, la théologie positive l'est à l'égard de l'ancienne théologie de l'école; c'est la positive qui donne du corps et de la solidité à la scolastique, et du Hamel fit précisément pour la théologie ce qu'il avait fait pour la philosophie. On voit de part et d'autre lą même étendue de connaissances, le même désir et le même art de concilier les opinions, le même jugement pour choisir quand il le faut, enfin le même esprit qui agit sur différentes matières. On peut se représenter ici ce que c'est que d'être philosophe et théologien tout à la fois, philosophe qui embrasse toute la philosophie, théologien qui embrasse la théologie entière.

Ce travail presque immense lui en produisit encore un autre. On souhaita qu'il tirât en abrégé de son corps de théologie, ce qui était le plus nécessaire aux jeunes ecclésiastiques que l'on instruit dans les séminaires. Touché de l'utilité du dessein, il l'entreprit, quoique âgé de soixante-dix ans, et sujet à une infirmité qui de temps en temps le mettait à deux doigts de la mort. Il fit même beaucoup plus qu'on ne lui demandait; il traita quantité de matières qu'il n'avait pas fait entrer dans son premier ouvrage, et en donna un presque tout nouveau en 1694, sous ce titre : Theologiæ clericorum seminariis accommodatæ summarium. Ce sommaire contient cinq volumes.

Son application à la théologie ne nuisit point à ses devoirs académiques. Non-seulement il exerça toujours sa fonction, en tenant la plume et recueillant les fruits de chaque assemblée ; mais il entreprit de faire en latin une histoire générale de l'académie depuis son établissement en 1666 jusqu'en 1696. Il prit cette époque pour finir son histoire, parce qu'au commencement de 1697, il quitta la plume, ayant représenté à M. de Pontchartrain, chancelier de France, qu'il devenait trop infirme, et qu'il avait besoin d'un successeur. Il serait de mon intérêt de cacher ici le nom de celui qui osa prendre la place d'un tel homme; mais la reconnaissance que je lui dois de la bonté avec laquelle il m'agréa, et du soin qu'il prit de me former, ne me le permet pas.

Ce fut en 1698 que parut son histoire sous ce titre: Regia scientiarum academic historia. L'édition fut bientôt enlevée, et en 1701 il en parut une seconde beaucoup plus ample augmentée de quatre années qui manquaient à la première pour finir le siècle, et dont les deux dernières étaient comprises dans une histoire française.

Si nous n'avions une preuve incontestable par la date de ses livres, nous n'aurions pas la hardiesse de rapporter qu'en la même année 1698, où il donna pour la première fois son histoire de l'académie, il donna aussi un ouvrage théologique fort savant, intitulé: Institutiones biblicæ, seu scripturæ sacræ prolegomena, unà cum selectis annotationibus in pentateuchum. Là il ramasse tout ce qu'il y a de plus important à savoir sur la critique de l'écriture sainte; un jugement droit et sûr est l'architecte qui choisit et qui dispose les matériaux que fournit une vaste érudition. Le même caractère règne dans les notes sur les cinq livres de Moïse; elles sont bien choisies, peu chargées de discours, instructives, curieuses seulement lorsqu'il faut qu'elles le soient pour être instructives, savantes sans pompe, mêlées quelquefois de sentimens de piété, qui partaient aussi naturellement du cœur de l'écrivain, que du fond de la matière.

Il publia en 1701 les psaumes, et 1703 les livres de Salomon, la sapience et l'ecclésiastique, avec de pareilles notes. Tous ces ouvrages n'étaient que les avant-coureurs d'un autre sans comparaison plus grand auquel il travaillait, d'une bible entière accompagnée de notes sur tous les endroits qui en demandaient, et de notes telles qu'il les faisait. Il la donna en 1705, âgé de 81 ans. Cette bible, par la beauté de l'édition, et la compar modité et l'utilité du commentaire.disposé au bas des pages, l'emporte, au jugement des savans, sur toutes celles qui ont encore paru.

Parvenu à un si grand âge, ayant acquis plus que personne le droit de se reposer glorieusement, mais incapable de ne rien faire, il voulut continuer de mettre en latin l'histoire française de l'académie ; et il avait déjà fait cet honneur à une préface générale qui marche à la tête. Mais enfin il mourut le 6 août 1706, d'une mort douce et paisible, et par la seule nécessité de

mourir.

Jusqu'ici nous ne l'avons presque représenté que comme savant et comme académicien; il faudrait maintenant le représenter comme homme, et peindre ses mœurs : mais ce serait le panégyrique d'un saint, et nous ne sommes pas dignes de toucher à cette partie de son éloge, qui devrait être fait à la face des autels, et non dans une académie. Nous en détacherons

seulement deux faits qui peuvent être rapportés par une bouche profane.

Il allait tous les ans à Neuilly-sur-Marne visiter son ancien troupeau, et le jour qu'il y passait était célébré dans tout le village comme un jour de fête; on ne travaillait point, et on n'était occupé que de la joie de le voir. Tout le monde sait quelles sont les vertus, non-seulement morales, mais chrétiennes nécessaires à un pasteur, pour lui gagner tous les cœurs à ce point-là ; et de quel prix sont les louanges de ceux sur qui on a eu de l'autorité, et sur qui on n'en a plus.

Pendant qu'il fut en Angleterre, les catholiques anglais qui allaient entendre sa messe chez l'ambassadeur de France, disaient communément, allons à la messe du saint prêtre. Ces étrangers n'avaient pas eu besoin d'un long temps pour prendre de lui l'idée qu'il méritait. Un extérieur très-simple, et qu'on ne pouvait jamais soupçonner d'être composé, annonçait les vertus du dedans, et trahissait l'envie qu'il avait de les cacher. On voyait aisément que son humilité était, non pas un discours, mais un sentiment fondé sur sa science même; et sa charité agissait trop souvent pour n'avoir pas quelquefois, malgré toutes ses précautions, le déplaisir d'être découverte. Le désir général d'être utile aux autres était si connu en lui, que les témoignages favorables qu'il rendait en perdaient une partie du poids qu'ils devaient avoir par eux-mêmes.

Le cardinal Antoine Barberin, grand aumônier de France, le fit aumônier du roi en 1659; car nous avions oublié de le dire, et c'est un point qui n'aurait pas été négligé dans un autre éloge. Il fut pendant toute sa vie dans une extrême considération auprès de nos plus grands prélats. Cependant il n'a jamais possédé que de très-petits bénéfices, ce qui sert encore à peindre son caractère, et pour dernier trait, il n'en a point possédé dont il ne se soit dépouillé en faveur de quelqu'un.

PIERRE-S

ÉLOGE

DE REGIS.

IERRE-SYLVAIN REGIS naquit en 1632 à la Salvetat de Blanquefort, dans le comté d'Agenois. Son père vivait noblement, et était assez riche; mais il eut beaucoup d'enfans, et Regis, qui était un des cadets, se trouva avec peu de bien.

Après avoir fait avec éclat ses humanités et sa philosophie chez les jésuites à Cahors, il étudia en théologie dans l'univer

sité de cette ville, parce qu'il était destiné à l'état ecclésiastique; et il se rendit si habile en quatre ans, que le corps de l'université le sollicitant de prendre le bonnet de docteur, lui offrit d'en faire tous les frais. Mais il ne s'en crut pas digne, qu'il n'eût étudié en Sorbonne à Paris. Il y vint; mais s'étant dégoûté de la longueur excessive de ce que dictait un célèbre professeur sur la seule question de l'heure de l'institution de l'eucharistie, et ayant été frappé de la philosophie cartésienne, qu'il commença à connaître par les conférences de Rohaut, il s'attacha entièrement à cette philosophie, dont le charme, indépendaminent même de la nouveauté, ne pouvait manquer de se faire sentir à un esprit tel que le sien. Il n'avait plus que quatre ou cinq mois à demeurer à Paris, et il se hâta de s'instruire sous Rohaut, qui, de son côté, zélé pour sa doctrine, donna tous ses soins à un disciple qu'il croyait propre à la répandre.

Regis étant parti de Paris avec une espèce de mission de son maître, alla établir la nouvelle philosophie à Toulouse, par des conférences publiques qu'il commença d'y tenir en 1665. Il avait une facilité agréable de parler, et le don d'amener les matières abstraites à la portée de ses auditeurs. Bientôt toute la ville fut remuée par le nouveau philosophe; savans, magistrats, ecclésiastiques, tout accourut pour l'entendre ; les dames même faisaient partie de la foule; et si quelqu'un pouvait partager avec lui la gloire de ce grand succès, ce n'était du moins que l'illustre Descartes, dont il annonçait les découvertes. On soutint une thèse de pur cartésianisme en français, dédiée à une des premières dames de Toulouse, que Regis avait rendue fort habile cartésienne, et il présida à cette thèse. On n'y disputa qu'en français, la dame elle-même y résolut plusieurs difficultés considérables, et il semble qu'on affectât par toutes ces circonstances de faire une abjuration plus parfaite de l'ancienne philosophie. MM. de Toulouse, touchés des instructions et des lumières que Regis leur avait apportées, lui firent une pension sur leur hôtel-de-ville; événement presque incroyable dans nos mœurs, et qui semble appartenir à l'ancienne Grèce.

Le marquis de Vardes, alors exilé en Languedoc, étant venu à Toulouse, y connut aussitôt Regis, et l'obtint de la ville avec quelque peine, pour l'emmener avec lui dans son gouvernement d'Aigues-Mortes. Là, il se l'attacha entièrement par l'estime par l'amitié, et par le mérite qu'il lui fit voir; et ce qui est à la gloire de l'un et de l'autre, il n'eut pas besoin de se l'attacher par d'autres moyens, qui passent ordinairement pour plus efficaces. Il tâcha de s'occuper avec lui, ou plutôt de s'amuser de la philosophie cartésienne, et comme il avait brillé par l'esprit dans

une cour très-délicate, peut-être le philosophe ne profita-t-il pas moins du commerce du courtisan, que le courtisan de celui du philosophe. L'un de ces deux différens caractères est ordinairement composé de tout ce qui manque à l'autre.

De Vardes alla à Montpellier en 1671', et Regis qui l'y accompagna, y fit des conférences avec le même applaudissement qu'à Toulouse. Mais enfin tous les grands talens doivent se rendre dans la capitale. Regis y vint en 1680, et commença à tenir de semblables conférences chez Lémery, membre aujourd'hui de cette académie. Le concours du monde y fut si grand, qu'une maison de particulier en était incommodée: on venait s'y assurer d'une place long-temps avant l'heure marquée pour l'ouverture; et peut-être la sévérité de cette histoire ne me défend-elle pas de remarquer qu'on y voyait tous les jours le plus agréable. acteur du théâtre italien, qui hors de là cachait sous un masque et sous un badinage inimitable, l'esprit sérieux d'un philosophe.

Il ne faut pas réussir trop; les conférences avaient un éclat qui leur devint funeste. Feu l'archevêque de Paris, par déférence pour l'ancienne philosophie, donna à Regis un ordre de les suspendre, déguisé sous la forme de conseil ou de prière, et enveloppé de beaucoup de louanges. Ainsi le public fut privé de ces assemblées au bout de six mois, et au milieu de son goût le plus vif; et l'on ne fit peut-être, sans en avoir l'intention, que prévenir son inconstance, et augmenter son estime pour ce qu'il perdait.

Regis plus libre ne songea plus qu'à faire imprimer un système général de philosophie qu'il avait composé, et qui était le principal sujet de son voyage à Paris. Mais cette impression fut traversée aussi pendant dix ans. Enfin à force de temps et de raison, toutes les oppositions furent surmontées, et l'ouvrage parut en 1690 sous ce titre: Système de philosophie, contenant la logique, la métaphysique, la physique et la morale, en trois volumes in-4°.

L'avantage d'un système général est qu'il donne un spectacle plus pompeux à l'esprit, qui aime toujours à voir d'un lieu plus élevé, et à découvrir une plus grande étendue. Mais d'un autre côté, c'est un mal sans remède, que les objets vus de plus loin et en plus grand nombre, le sont aussi plus confusément. Différentes parties sont liées pour la composition d'un tout, et fortifiées mutuellement par cette union; mais chacune en particulier est traitée avec moins de soin, et souffre de ce qu'elle est partie d'un système général. Une seule matière particulière bien éclaircie satisferait peut-être autant, sans compter que, dès-là

« PreviousContinue »