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pour l'édition de Corneille, et que le roi de Prusse n'a pas envoyé

un sou.

Voulez-vous, monsieur, me faire un petit plaisir? Ce serait d'envoyer de ma part à un nommé M. Garnier, ci-devant acteur de la comédie de Lyon, et qui demeure à Lyon, je ne sais où, quatre louis d'or neufs.

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Eh, mon Dieu! il y a cinq ou six jours que Cassandre clôt votre quatrième acte, et que ce quatre est tout changé. Il faut que l'idée soit bien naturelle, puisqu'elle est venue à l'auteur et à l'acteur. Mes divins anges, envoyez-moi donc mon brouillon, que je vous le rebrouillonne. Je vous jure que vous n'aurez plus d'autels souterrains; mais vous aurez des autels que je vous dresserai.

Il y a toujours des gens qui, comme dit Cicéron, cherchent midi à quatorze heures à une pièce nouvelle; il est aisé de dire qu'un sabre est trop grand; il n'y a qu'à le raccourcir. Me Denis avait une bonne pique: on ne trouva point du tout mauvais que la forcenée, dans sa rage d'amour, allât se battre contre le premier venu. Elle rencontre son père, et jette ses armes; cela faisait chez nous un beau coup de théâtre. Nous avons beaucoup d'esprit et de jugement, et votre Paris n'a pas le sens d'une oie. Quand vous faites des opérations de finances, nous vous redressons; je parle de Genève, car pour moi je suis modeste. Faites comme vous l'entendez ; mais, à votre place, je laisserais crier lest critiques.

Duchesne, Gui1 Duchesne, m'écrit qu'il veut imprimer Zulime. Pourquoi l'imprimer ? quelle nécessité? Mon avis est qu'elle reste dans le dépôt du tripot: qu'en pensent mes anges?

Je soutiens toujours que deux scènes de Statira valent mieux que tout Zulime et que toute l'eau rose possible. Mais vous croyez connaître Cassandre (car c'est Cassandre) : non, vous ne le connaissez pas. Quatrième acte nouveau et presque tout entier nouveau, et beaucoup de mailles reprises. Je vous dis que ma nièce Fontaine est folle; elle ne sait ce qu'elle dit. Mon Dieu, que j'aime Cassandre et le Droit du Seigneur!

1. Nicolas-Bonaventure Duchesne, reçu libraire en 1751, mort en 1765, avait associé Gui à son commerce.

Clairon Statira! c'était ma première pensée. Mes premières idées sont excellentes.

Monsieur le comte de Choiseul, quand vous n'aurez rien à faire, daignez donc vous informer si le roi mon maître a été proposé jadis à Élisabeth l'autocratrice.

Le roi de Prusse a une descente : les flatteurs disent que c'est la descente de Mars; mais elle n'est que de boyaux, et il ne peut plus monter à cheval. Il est comme nous; il n'a plus de Colbert1, à ce que disent les mauvais plaisants.

Mais, monsieur le comte de Choiseul, dites donc à l'Espagne qu'elle envoie cinquante vaisseaux à notre secours. Que voulezvous que nous fassions avec des compliments?

Gardez-vous d'avoir jamais affaire aux Russes.

Je n'ai point entendu parler de Lekain; mais son affaire est faite 2.

Je baise bien tendrement le bout de vos ailes.

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Vraiment, mes chers frères, j'apprends de belles nouvelles! Frère Thieriot reste indolemment au coin de son feu, et on va jouer le Droit du Seigneur tout mutilé, tout altéré, et ce qui était plaisant ne le sera plus; et la pièce sera froide, et elle sera sifflée; et frère Thieriot en sera pour sa mine de fèves. Un autre inconvénient qui n'est pas moins à craindre, c'est qu'on ne prenne votre frère pour le sieur Picardec, de l'Académie de Dijon; alors il n'y aurait plus d'espérance, et tout serait perdu sans ressource. Je demande deux choses très-importantes : la première, c'est qu'on m'envoie la pièce telle qu'on la jouera; la seconde, qu'on jure à tort et à travers que je n'ai nulle part à cet ouvrage : mon nom est trop dangereux, il réveille les cabales. Il n'y en a point encore de formée contre M. Picardec, et M. Picardec doit répondre de tout.

Mes chers frères, interim estote fortes in Lucretio3 et in philosophia."

J'espère que je contribuerai, avec les états de Bourgogne

1. La ville de Colberg, appartenante au roi de Prusse, s'était rendue aux Russes le 16 décembre 1761.

2. C'était probablement quelque congé qui lui avait été accordé. (B.)

3. La première épître de saint Pierre, chapitre v, verset 9, dit : « Fortes in fide. »

(dont nous avons l'honneur d'être), à donner un vaisseau au roi; mais si les Anglais me le prennent, je ferai contre eux une violente satire.

Frère V. est tout ébahi de recevoir, dans l'instant, une pancarte du roi, adressée aux gardes de son trésor royal, avec un bon rétablissant une pension que frère V. croyait anéantie depuis douze ans. Que dira à cela Catherin Fréron? que dira Lefranc de Pompignan? V. embrasse les frères.

Qu'est-ce donc que Zarukma1? Quel diable de nom! J'aimerais mieux Childebrand.

Je vous prie de me dire où demeure ce pédant de Crévier. Est-il recteur, professeur? Je lui dois mille tendres remerciements.

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Il faut que je fasse part à mes anges gardiens de ce qui m'arrive sur terre. Pourquoi M. Ménard, premier commis, m'écrit-il? Pourquoi m'envoie-t-il une pancarte du roi? Garde de mon trésor royal, payez comptant à V................. Bon, Louis. Il est vrai qu'il y a douze ans que j'avais une pension; mais je l'avais oubliée, et je n'avais pas l'impudence de la demander: je la croyais anéantie. Que veut dire cette plaisanterie? ne serait-ce pas un tour de nosseigneurs de Choiseul? Je ne sais à qui m'en prendre; mes anges, ne seriez-vous point dans la bouteille?

Cependant renvoyez-moi donc Cassandre.

1o Il ne faut pas qu'il ait été complice de l'empoisonnement d'Alexandre.

2o S'il a donné un coup d'épée à la veuve, c'est dans la chaleur du combat; et il en est encore plus contrit que ci-devant.

3o Il aime, et est encore plus aimé qu'il n'était, et il en parle davantage dès le premier acte.

4° Antigone a encore plus de raison qu'il n'en avait de soupçonner Olympie d'être la fille de sa mère.

5° Antigone traitait trop Cassandre en petit garçon, et cela rendait Cassandre bien moins intéressant.

6o Les lois touchant le mariage semblaient trop faites pour le besoin présent, et il faut les préparer de plus loin.

1. C'est une tragédie de Cordier; voyez tome XLI, page 423.

7° L'acte quatrième, finissant par Cassandre et non par Antigone, est bien plus touchant.

8° L'aspect de Cassandre augmentant les maux de nerfs de Statira rend sa mort bien plus vraisemblable.

9° Bien des gens croient que Statira, voyant que sa fille aime Cassandre, s'est aidée d'un peu de sublimé.

10° Des détails plus forts et plus tendres sont quelque chose. Enfin on ne peut faire qu'en faisant.

Mais renvoyez-moi donc ma guenille, si vous voulez que je baise le bout de vos ailes.

4801. A M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY 4.

-

Aux Délices, 13 janvier.

Mon cher président, je ne suis point paresseux, mais je suis accablé de vers et de prose. Perrin Dandin avait moins de sacs. Mon cœur vous a écrit mille fois, mais ma main n'a pu encore faire un mot de lettre. Pardonnez-moi, je vous en prie.

J'ai été très-sensible à la mort de Mme de Brosses. Elle était fille d'un homme que j'avais aimé depuis l'âge de sept ans (et qui ne m'eût jamais fait un procès pour six voies de bois). J'aurais même écrit au veuf, si le veuf pouvait recevoir mes compliments sans rechigner. J'ai été très-fàché contre lui, mais je n'ai point de rancune3. Je n'en aurai pas même contre ce président Lefranc de Pompignan s'il veut promettre de ne plus ennuyer le public.

Le parlement de Bourgogne ne doit plus songer à son procès contre les états'. Il s'unira avec eux pour donner au roi un beau vaisseau. Je me flatte que mon petit pays de Gex y contribuera pour un cordage. Mais j'aime encore mieux un bon carrosse pour aller vous voir, si Corneille m'en laisse le temps, et si je peux avoir la consolation de vous embrasser.

1. Éditeur, Th. Foisset.

2. Françoise Castel de Saint-Pierre-Crèvecœur, première femme du président de Brosses, morte le 25 décembre 1761.

3. Ceci prouve qu'il n'était plus question du procès Baudy.

4. L'affaire Varennes.

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Monsieur, il me semble que je vous avais fait mon compliment sur la conquête de Colberg un peu avant que cette place fût prise par vos armes victorieuses1. Si on me reproche quelques méprises sur les événements passés, vous voyez que je ne prédis pas mal l'avenir, et que mon vrai métier est d'être prophète. Je vous prophétise donc de plus grandes choses qui mettront le comble à la gloire de votre nation, et qui seront une belle réponse à celui qui prétendait que le mot honneur ne se trouvait pas dans votre langue. Il me semble que vous avez l'honneur de la victoire, de la conduite, de la magnanimité, de la probité; et je doute que celui qui vous a outragé ait un dictionnaire pareil à son usage. J'ignore quel est cet écrivain; mais c'est à lui à corriger son livre. Pour le premier tome de Pierre le Grand, soyez sûr, monsieur, qu'il sera conforme à toutes vos vues, après mes petites représentations.

Je n'ai de place que pour vous assurer du tendre respect que je conserverai toute ma vie pour Votre Excellence, etc.

4803.

A M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.

Aux Délices, 19 janvier.

Il faut absolument que Votre Excellence soit du métier; vous ne pouvez en parler si bien sans en avoir un peu tâté. Pourceaugnac, à qui d'ailleurs vous ne ressemblez point, a beau dire qu'il a pris dans les romans qu'il doit être reçu à ses faits justificatifs, on voit bien qu'il a étudié le droit. Ce n'est ni en Corse ni à Turin qu'on apprend toutes les finesses de l'art du théâtre. Vous avez mis la main à la pâte; avouez-le. Tout l'esprit que vous avez ne suffit pas pour entrer dans la profondeur de nos mystères: vos réflexions sont une excellente poétique. Soyez persuadé qu'il n'y a point d'ambassadeur ni de lieutenant général qui en puisse faire autant. Je suis fort aise à présent de ne vous avoir pas envoyé la bonne copie, puisque le brouillon m'a valu une si bonne leçon.

Vous avez très-grande raison, monsieur, de vouloir que Cas

1. Voyez la lettre du 24 octobre 1761, no 4717.

2. Acte II, scène xit.

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