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m'empêche de partager cette bonne œu» vre, je veux au moins y contribuer par » mes prières. Je vous conjure donc de vou» loir bien ordonner que tous les manus» crits de l'abbaye soient transportés à la » bibliothèque de Saint-Laurent, et qu'on cherche ceux qui manquent d'après le

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catalogue existant. J'ai reconnu dernière»ment que déjà quelques uns des plus im»portants ont disparu; mais il sera facile » d'en trouver des traces, et d'empêcher » que ces monuments ne passent à l'étran»ger, qui en est avide, ou même ne pé» rissent dans les mains de ceux qui les re» cèlent, comme il est arrivé souvent, etc. » la

On donna de nouveaux ordres pour recherche des manuscrits. Je fus même nommé par la junte, avec M. Akerblad, commissaire à cet effet, honneur que nous refusâmes, lui comme étranger, moi comme occupé ailleurs. Ce soin demeura donc confié à MM. Puzzini et Furia, que rien ne put engager à y penser le moins du monde; ils ne voulaient alors faire de la peine à personne. Ceux qui avaient les manuscrits les gardèrent, et les ont encore.

Or, ces gens si indifférents à la perte d'une collection de tous les auteurs classiques, croirait-on que ce sont eux qui aujourd'hui,

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d'un roman,

pour quatre mots d'une quatre mots que, sans moi, ils n'eussent jamais déchiffrés, quatre mots qui sont imprimés, et qu'ils liraient s'ils savaient lire, travaillent avec tant d'ardeur à soulever contre moi le public et le gouvernement, remplissent les gazettes d'injures et de calomnies ridicules, et, par des circulaires, promettent à la canaille littéraire d'Italie le plaisir de me voir bientôt traité en criminel d'état. M. Puzzini en répond; il sait sans doute ce qu'il dit, et, ma foi, je commence à le croire un petit, comme dit Sosie.,

Ce qui vous surprendra, Monsieur, c'est qu'aucun d'eux ne me connaît. Jamais aucun d'eux, excepté le seigneur Furia, n'a eu avec moi ni liaison ni querelle, ni rapport d'aucune espèce. J'ai parlé un quart-d'heure à M. Pulcini (1), et ne me rappelle pas même sa figure; ainsi leur haine contre moi ne peut être personnelle. Pour me faire une guerre si cruelle, et sur si peu de chose, eux qui naturellement ne veulent faire de mal

(1) C'est son nom encore estropié, mais d'une autre façon. Pulcini veut dire poussin, petit poulet, en italien : on en a fait Pulcinella, polichinelle chez nous. Ces lazzi, qui ne demandaient pas assurément beaucoup d'esprit, chagrinèrent plus que tout le reste le pauvre chambellan.

à personne, leur motif est tout autre qu'une animosité, si cela se peut dire, individuelle. L'offense que j'ai faite très involontairement au seigneur Furia lui est particulière; la rage de toute sa clique a une cause plus générale.

Vous vous rappelez le mot des Espagnols: Non comme Français, mais comme hérétiques (1). Ces messieurs disent bien ici quelque chose d'approchant; mais je vous assure qu'ils déguisent fort peu les vrais motifs de leur haine; tout le monde en est instruit. Mon premier crime a été de découvrir leur ignorance, mais cela seul n'eût été rien; car s'ils persécutaient tous ceux qui en_savent plus qu'eux à qui pourraient-ils pardonner? le second, qui me rend indigne de toute grâce, c'est que je ne prononce pas comme eux le mot ciceri (2). C'est là une sorte de péché originel que rien ne peut effacer.

(1) Les Espagnols, dans la Floride, firent pendre et brûler les Français protestants, avec cet écriteau Non comme Français, mais comme hérétiques; à quoi les flibustiers, depuis, répon dirent en massacrant les Espagnols: Non comme Espagnols, mais comme assassins.

(2) Ceci fait allusion aux Vêpres Siciliennes, où, pour connaitre les Français, on les obligeait de dire ce mot. Ceux qui ne prononçaient pas bien étaient massacrés.

Si j'avais le moindre crédit, le moindre petit emploi, quelque gain à leur promettre, quelques bribes à leur jeter, ils seraient tous à mes pieds et imagineraient autant de bassesses pour me faire la cour, qu'ils inventent aujourd'hui de calomnies pour me nuire. Soyez assuré, Monsieur, qu'avant de se dé cider à m'entreprendre, comme on dit, ils se sont bien informés si je n'avais point quelque appui, et comme ils ont appris que je ne tenais à rien, que je vivais seul avec quelques amis aussi obscurs que moi, que je me tenais loin des grands, et qu'aucun homme en place ne s'intéressait à moi, ils m'ont déclaré la guerre. Avouez que ce sont d'habiles gens; car que ces bons Espagnols fissent un Auto-da-fé des Français dans la Floride, c'était quelque chose assurément, il y avait là de quoi louer Dieu; mais si on pouvait faire brûler un Français par les Français mêmes, quel triomphe, quelle allégresse! Je vois ici des gens qui lisent cette triste rapsodie de Furia contre moi Son style est mauvais, disent-ils, mais son intention est bonne.

La découverte que j'ai faite dans le manuscrit n'est rien, au dire de ces messieurs; c'est la plus petite chose qu'on pût jamais trouver; mais le mal que j'ai fait est im

mense. Entendez bien ceci, Monsieur le fragment tout entier n'est rien, mais quelques mots de ce fragment, effacés par malheur, font une perte immense, même alors que tout est imprimé. M. Furia a étendu cette perte le plus qu'il a pu, puisque la tache est aujourd'hui double au moins de celle que j'ai faite, si le dessin qu'en a publié M. Furia est exact. Il l'a augmentée à ce point, afin de pouvoir dire qu'elle était immense; car il accommode non l'épithète à la chose, mais la chose à l'épithète qu'il veut employer. Avec tout cela, il s'en faut que le dommage soit immense, et quand j'aurais noyé dans l'encre tous ses vieux bouquins et lui, le mal serait encore petit.

Cependant cette découverte, toute méprisable quelle est, M. Furia entend qu'elle nous soit conmune, ou, pour mieux dire, il y consent; car on voit bien d'ailleurs qu'elle lui appartient toute, puisque c'est lui, dit-il, qui m'a fait connaître, montré, déchiffré ce manuscrit, que sans lui apparemment je n'aurais pu ni trouver ni lire. C'est là, au vrai, le but principal de son libelle, et à quoi tendent tous les détails par lui inventés, dont son récit est rempli. Sans y mettre beaucoup d'art, il a trouvé ses lecteurs disposés à le croire et à lui

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