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mais sur un établissement humain. Un autre | fait roi par l'erreur du peuple, s'il venoit à ou

tour d'imagination dans ceux qui ont fait les lois, vous auroit rendu pauvre; et ce n'est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naître avec la fantaisie des lois, qui s'est trouvée favorable à votre égard, qui vous met en possession de tous ces biens.

blier tellement sa condition naturelle, qu'il s'imaginât que ce royaume lui étoit dû, qu'il le méritoit, et qu'il lui appartenoit de droit? Vous admireriez sa sottise et sa folie. Mais y en a-t-il moins dans les personnes de qualité, qui vivent dans un si étrange oubli de leur état naturel?

Que cet avis est important! Car tous les emportements, toute la violence et toute la fierté des grands ne viennent que de ce qu'ils ne connoissent point ce qu'ils sont : étant difficile que ceux qui se regarderoient intérieurement comme égaux à tous les hommes, et qui seroient bien persuadés qu'ils n'ont rien en eux qui mérite ces petits avantages que Dieu leur a donnés au

Je ne veux pas dire qu'ils ne vous appartiennent pas légitimement, et qu'il soit permis à un autre de vous les ravir; car Dieu, qui en est le maître, a permis aux sociétés de faire des lois pour les partager et quand ces lois sont une fois établies, il est injuste de les violer. C'est ce qui vous distingue un peu de cet homme dont nous avons parlé, qui ne posséderoit son royaume que par l'erreur du peuple, parce que Dieu n'au-dessus des autres, les traitassent avec insolence. toriseroit pas cette possession, et l'obligeroit à y renoncer, au lieu qu'il autorise la vôtre. Mais ce qui vous est entièrement commun avec lui, c'est que ce droit que vous y avez n'est point fondé, non plus que le sien, sur quelque qualité et sur quelque mérite qui soit en vous, et qui vous en rende digne. Votre ame et votre corps sont d'eux-mêmes indifférents à l'état de batelier ou à celui de duc: et il n'y a nul lien naturel qui les attache à une condition plutôt qu'à une autre.

Que s'ensuit-il de là? Que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlé, une double pensée ; et que, si vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnoître par une pensée plus cachée, mais plus véritable, que vous n'avez rien naturellement au-dessus d'eux. Si la pensée publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l'autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes; car c'est votre état naturel.

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Il faut s'oublier soi-même pour cela, et croire qu'on a quelque excellence réelle au-dessus d'eux : en quoi consiste cette illusion que je tâche de vous découvrir.

II.

Il est bon que vous sachiez ce que l'on vous doit, afin que vous ne prétendiez pas exiger des hommes ce qui ne vous seroit pas dû; car c'est une injustice visible: et cependant elle est fort commune à ceux de votre condition, parcequ'ils en ignorent la nature.

Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru, avec raison, devoir honorer certains états, et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, et en l'autre les roturiers: en celui-là les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela? parcequ'il a plu aux hommes. La chose étoit indifférente avant l'établissement: après l'établissement, elle devient juste, parcequ'il est injuste de le troubler.

Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parcequ'elles consistent dans les qualités réelles et effectives de l'ame et du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière, l'esprit, la vertu, la santé, la force.

Nous devons quelque chose à l'une et à l'au

III.

tre de ces grandeurs; mais, comme elles sont | Si vous le faisiez, elle vous est acquise, et je ne d'une nature différente, nous leur devons aussi pourrois vous la refuser avec justice; mais si différents respects. Aux grandeurs d'établis- vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me sement, nous leur devons des respects d'éta- la demander; et assurément vous n'y réussiblissement, c'est-à-dire certaines cérémonies riez pas, fussiez-vous le plus grand prince du extérieures, qui doivent être néanmoins accom- monde. pagnées, comme nous l'avons montré, d'une reconnoissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux: il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs.

Mais pour les respects naturels, qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles; et nous devons, au contraire, le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. Il n'est pas nécessaire, parceque vous êtes duc, que je vous estime; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferois encore justice; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à votre qualité, je ne manquerois pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que mériteroit la bassesse de votre esprit.

Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l'injustice consiste à attacher les respects naturels aux grandeurs d'établissement, ou à exiger les respects d'établissement pour les grandeurs naturelles. Monsieur N. est un plus grand géomètre que moi; en cette qualité, il veut passer devant moi : je lui dirai qu'il n'y entend rien. La géométrie est une grandeur naturelle; elle demande une préférence d'estime; mais les hommes n'y ont attaché aucune préférence extérieure. Je passerai donc devant lui, et l'estimerai plus que moi, en qualité de géomètre. De même, si, étant duc et pair, vous ne vous contentiez pas que je me tinsse découvert devant vous, et que vous voulussiez encore que je vous estimasse, je vous prierois de me montrer les qualités qui méritent mon estime.

Je veux donc vous faire connoître votre condition véritable; car c'est la chose du monde que les personnes de votre sorte ignorent le plus. Qu'est-ce, à votre avis, que d'être grand seigneur? C'est être maître de plusieurs objets de la concupiscence des hommes, et pouvoir ainsi satisfaire aux besoins et aux desirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces desirs qui les attirent auprès de vous, et qui vous les assujettissent: sans cela ils ne vous regarderoient pas seulement; mais ils espèrent, par ces services et ces déférences qu'ils vous rendent, obtenir de vous quelque part de ces biens qu'ils desirent, et dont ils voient que vous disposez.

Dieu est environné de gens pleins de charité, qui lui demandent les biens de la charité qui sont en sa puissance : ainsi il est proprement le roi de la charité.

Vous êtes de même environné d'un petit nombre de personnes sur qui vous régnez en votre manière. Ces gens sont pleins de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la concupiscence. C'est la concupiscence qui les attache à vous. Vous êtes donc proprement un roi de concupiscence. Votre royaume est de peu d'étendue; mais vous êtes égal, dans le genre de royauté, aux plus grands rois de la terre. Ils sont comme vous des rois de concupiscence. C'est la concupiscence qui fait leur force; c'està-dire, la possession des choses que la cupidité des hommes desire.

Mais en connoissant votre condition naturelle, usez des moyens qui lui sont propres, et ne prétendez pas régner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce n'est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prétendez donc pas les dominer par la force, ni les traiter avec dureté. Contentez leurs justes desirs; soulagez leurs nécessités; mettez votre plaisir à être bienfaisant; avancez-les autant que vous le

pourrez, et vous agirez en vrai roi de concu- | sion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a piscence. point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature.

Ce que je vous dis ne va pas bien loin; et si vous en demeurez là, vous ne laisserez pas de vous perdre ; mais au moins vous vous perdrez en honnête homme. Il y a des gens qui se damnent si sottement, par l'avarice, par la brutalité, par la débauche, par la violence, par les emportements, par les blasphèmes! Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnête; mais c'est toujours une grande folie que de se damner: et c'est pourquoi il ne faut pas en demeurer là. Il faut mépriser la concupiscence et son royaume, et aspirer à ce royaume de charité où tous les sujets ne respirent que la charité, et ne desirent que les biens de la charité. D'autres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir détourné de ces voies brutales où je vois que plusieurs personnes de qualité se laissent emporter, faute de bien en connoître la véritable nature.

SECONDE PARTIE,

CONTENANT LES PENSÉES IMMÉDIATEMENT
RELATIVES A LA RELIGION.

ARTICLE PREMIER.

Contrariétés étonnantes qui se trouvent dans la nature de l'homme à l'égard de la vérité, du bonheur, et de plusieurs autres choses.

I.

Les principales raisons des pyrrhoniens sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité des principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque, n'y ayant point de certitude hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, ou par un démon méchant, s'il a été de tout temps, ou s'il s'est fait par hasard, il est en doute si ces principes nous sont donnés, ou véritables, ou faux, ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n'a d'assurance hors la foi, s'il veille, ou s'il dort, vu que, durant le sommeil, on ne croit pas moins fermement veiller qu'en veillant effectivement. On croit voir les espaces, les figures, les mouvements; on sent couler le temps, on le mesure, et enfin on agit de même qu'éveillé. De sorte que, la moitié de la vie se passant en sommeil par notre propre aveu, où, quoi qu'il nous en paroisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étant alors des illusions; qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un sommeil un peu différent du premier dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir, comme on rêve souvent qu'on rêve en entassant songes sur songes?

Je laisse les discours que font les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de l'éducation, des mœurs, des pays, et les autres choses semblables, qui entraînent la plus grande partie des hommes qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements.

Rien n'est plus étrange dans la nature de l'homme que les contrariétés qu'on y découvre L'unique fort des dogmatistes, c'est qu'en à l'égard de toutes choses. Il est fait pour con- parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut noître la vérité; il la desire ardemment, il la douter des principes naturels. Nous connoischerche; et cependant, quand il tâche de la sons, disent-ils, la vérité, non seulement par saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, raisonnement, mais aussi par sentiment, et par qu'il donne sujet de lui en disputer la posses- une intelligence vive et lumineuse; et c'est de sion. C'est ce qui a fait naître les deux sectes cette dernière sorte que nous connoissons les de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns premiers principes. C'est en vain que le raisonont voulu ravir à l'homme toute connoissance nement, qui n'y a point de part, essaie de les de la vérité, et les autres tâchent de la lui as- combattre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela surer; mais chacun avec des raisons si peu pour objet, y travaillent inutilement. Nous savraisemblables, qu'elles augmentent la confu-vons que nous ne rêvons point, quelque impuis

sance où nous soyons de le prouver par raison. |guer jusqu'à ce point. Dira-t-il, au contraire, qu'il possède certainement la vérité, lui qui, si peu qu'on le pousse, ne peut en montrer aucun titre, et est forcé de lâcher prise?

Cette impuissance ne conclut autre chose que la foiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connoissances, comme ils le prétendent: car la connoissance des pre- Qui démêlera cet embrouillement? La nature miers principes, comme, par exemple, qu'il y confond les pyrrhoniens, et la raison confond a espace, temps, mouvement, nombre, matière, les dogmatistes. Que deviendrez-vous donc, ô est aussi ferme qu'aucune de celles que nos rai- homme! qui cherchez votre véritable condition sonnements nous donnent. Et c'est sur ces con- par votre raison naturelle? Vous ne pouvez noissances d'intelligence et de sentiment qu'il fuir une de ces sectes, ni subsister dans aufaut que la raison s'appuie, et qu'elle fonde cune. Voilà ce qu'est l'homme à l'égard de la tout son discours. Je sens qu'il y a trois di- | vérité. mensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés, dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent; les propositions se concluent; le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridicule que la raison demande au sentiment et à l'intelligence des preuves de ces premiers principes pour y consentir, qu'il seroit ridicule que l'intelligence demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre. Cette impuissance ne peut donc servir qu'à humilier la raison qui voudroit juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avoit que la raison capable | de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé ce bien, et elle ne nous a donné que très peu de connoissances de cette sorte: toutes les autres ne peuvent être acquises que par le raisonne

ment.

Voilà donc la guerre ouverte entre les hommes. Il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement, ou au dogmatisme, ou au pyrrhonisme; car qui penseroit demeurer neutre seroit pyrrhonien par excellence: cette neutralité est l'essence du pyrrhonisme; qui n'est pas contre eux est excellemment pour eux. Que fera donc l'homme en cet état? Doutera-t-il de tout? doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle? doutera-t-il s'il doute? doutera-t-il s'il est? On ne sauroit en venir là; et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif et parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l'empêche d'extrava

Considérons-le maintenant à l'égard de la félicité qu'il recherche avec tant d'ardeur en toutes ses actions; car tous les hommes desirent d'être heureux : cela est sans exception. Quelque différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre, et que l'autre n'y va pas, c'est ce même desir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendent. Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets; nobles, roturiers; vieillards, jeunes; forts, foibles; savants, ignorants; sains, malades, de tout pays, de tout temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devroit bien nous convaincre de l'impuissance où nous sommes d'arriver au bien par nos efforts : mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est là que nous attendons que notre espérance ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l'espérance nous pipe; et de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est le comble éternel.

C'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l'homme, astres, éléments, plantes, animaux, insectes, maladies, guerres, vices, crimes, etc. L'homme

étant déchu de son état naturel, il n'y a rien à | passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la

quoi il n'ait été capable de se porter. Depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paroître tel, jusqu'à sa destruction propre, toute contraire qu'elle est à la raison et à la nature tout ensemble.

paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux : les autres ont voulu renoncer à la raison, et devenir bêtes. Mais ils ne l'ont pas pu, ni les uns, ni les autres; et la raison demeure toujours, qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent; et les passions sont toujours vivantes dans ceux mêmes qui veulent y renoncer.

III.

Voilà ce que peut l'homme par lui-même et par ses propres efforts à l'égard du vrai et du bien. Nous avons une impuissance à prouver, invincible à tout le dogmatisme: nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyr

Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes; et ceux qu'on appelle philosophes n'ont fait effectivement que suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont considéré qu'il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes desirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur pos-rhonisme. Nous souhaitons la vérité, et ne trousesseur par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devoit être tel, que tous pussent le posséder à-la-fois sans diminution et sans envie, et que personne ne pût le perdre contre son gré. Ils l'ont compris ; mais ils n'ont pu le trouver : et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont embrassé que l'image creuse d'une vertu fantastique.

Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur dans nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s'offriroient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux-mêmes et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Ainsi les philosophes ont beau dire: Rentrez en vous-même, vous y trouverez votre bien, on ne les croit pas; et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. Car qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les stoïciens, et de plus faux que tous leurs raisonnements? Ils concluent qu'on peut toujours ce qu'on peut quelquefois; et que, puisque le desir de la gloire fait bien faire quelque chose à ceux qu'il possède, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fiévreux, que la santé ne peut imiter.

II.

vons en nous qu'incertitude. Nous cherchons le bonheur, et ne trouvons que misère. Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur, et nous sommes incapables et de certitude et de bonheur. Ce desir nous est laissé, tant pour nous punir que pour nous faire sentir d'où nous sommes tombés.

IV.

Si l'homme n'est pas fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu? Si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire

à Dieu?

V.

L'homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré, et sent en lui des restes d'un état heureux, dont il est déchu, et qu'il ne peut recouvrer. Il le cherche par-tout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables.

C'est la source des combats des philosophes, dont les uns ont pris à tâche d'élever l'homme en découvrant ses grandeurs, et les autres de l'abaisser en représentant ses misères. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que chaque parti se sert des raisons de l'autre pour établir son opinion; car la misère de l'homme se conclut de sa grandeur, et sa grandeur se conclut de sa misère. Ainsi les uns ont d'autant mieux conclu la

La guerre intérieure de la raison contre les misère, qu'ils en ont pris pour preuve la gran

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