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revoir; mais ils aimeraient encore mieux revoir votre 1752. perfonne. Je fuis fâché, pour l'honneur de notre nation et de notre fiècle, que vous n'ayez pu dire comme Cicéron :

Scipion, accufé fur des prétextes vains,
Remercia les Dieux et quitta les Romains.

Je puis en quelque chofe imiter ce grand-homme;
Je rendrai grâce au ciel, et refterai dans Rome.

Il ne me refte de place que pour vous réitérer mes remercîmens, et vous prier de penfer quelquefois au plus fincère de vos amis, et au plus zélé de vos admirateurs. D'Alembert.

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VRAIMENT, Monfieur, c'est à vous à dire :

Je rendrai grâce au ciel, et refterai dans Rome.

Quand je parle de rendre grâce au ciel, ce n'eft pas du bien qu'on vous a fait dans votre patrie, mais de celui que vous lui faites. Vous et M. Diderot, vous faites un ouvrage qui fera la gloire de la France et l'opprobre de ceux qui vous ont perfécutés. Paris abonde de barbouilleurs de papier; mais de philofophes éloquens, je ne connais que vous et lui. Il eft vrai qu'un tel ouvrage devait être fait loin des

fots et des fanatiques, fous les yeux d'un roi auffi philofophe que vous ; mais les fecours manquent ici 1752. totalement. Il y a prodigieusement de baïonnettes, et fort peu de livres. Le roi a fort embelli Sparte, mais il n'a transporté Athènes que dans son cabinet; et il faut avouer que ce n'eft qu'à Paris que vous pouvez achever votre grande entreprise. J'ai affcz bonne opinion du ministère, pour espérer que vous ne ferez pas réduit à ne trouver que dans vousmême la récompenfe d'un travail fi utile. J'ai le bonheur d'avoir chez moi M. l'abbé de Prades, et j'espère que le roi, à fon retour de la Siléfie, lui apportera les provisions d'un bon bénéfice. Il ne s'attendait pas que fa thèse dût le faire vivre du bien de l'Eglife, quand elle lui attirait de fi violentes perfecutions. Vous voyez que cette Eglife eft comme la lance d'Achille, qui guériffait les blessures qu'elle avait faites.

Heureufement les bénéfices ne font point en Siléfie à la nomination de Boyer ni de Couturier. Je ne fais pas fi l'abbé de Prades eft hérétique, mais il me paraît honnête homme, aimable et gai. Comme je fuis toujours très-malade, il pourra bien m'exhorter à mon agonie, il l'égayera et ne me demandera point de billet de confeffion. Adieu, Monfieur; s'il y a peu de Socrates en France, il y a trop d'Anitus et de Melitus, et furtout trop de fots; mais je veux faire comme DIEU qui pardonnait à Sodome en faveur de cinq juftes. Je vous embraffe de tout mon cœur.

Voltaire.

1755.

I V.

LETTRE

DE M. DE VOLTAIRE.

Aux Délices, 9 d'octobre.

Nous avons été fur le point, mon cher philo

fophe universel, de favoir madame de Fontaine et moi ce que devient l'ame quand fon confrère eft paffé. Nous espérons refter encore quelque temps dans notre ignorance. Toutes nos petites Délices vous font les plus tendres complimens. Les ridicules de Conflans et l'aventure de Pirna feront une affez bonne figure un jour dans l'hiftoire; mais ce n'est pas là mon affaire, Dieu m'en préserve; je suis affez embarrasse du paffé fans me mêler encore du préfent. Si vous avez quelques articles de l'Encyclopédie à me donner, ayez la bonté de vous y prendre un peu à l'avance. Un malade n'est pas toujours le maître de fes momens. Je tâcherai de vous fervir mieux que je n'ai fait. Je fuis bien mécontent de l'article Hiftoire. J'avais envie de faire voir quel est le ftyle convenable à une histoire générale ; celui que demande une hiftoire particulière; celui que des mémoires exigent. J'aurais voulu faire voir combien Thoyras l'emporte fur Daniel, et Clarendon fur le cardinal de Retz. Il eût été utile de montrer qu'il n'est pas permis à un compilateur des mémoires des autres de s'exprimer comme un contemporain ; que celui qui ne donne les faits que de la feconde main, n'a pas le droit de s'exprimer comme celui qui

rapporte ce qu'il a vu et ce qu'il a fait; que c'eft un ridicule et non une beauté de vouloir peindre avec toutes leurs nuances les portraits des gens qu'on n'a point connus; enfin il y avait cent chofes utiles à dire qu'on n'a point dites encore; mais j'étais presse et j'étais malade : j'étais accablé de cette maudite Hiftoire générale que vous connaissez. Je vous demande pardon de vous avoir fi mal fervi. S'il était temps, je pourrais vous donner quelque chofe de mieux, mais ne pouvant répondre d'un jour de fanté, je ne peux répondre d'un jour de travail. Je ne connais point le dictionnaire. Je n'ai point foufcrit. Je courais le monde quand vous avez commencé; je l'achèterai quand il fera fini; mais je fais réflexion qu'alors je ferai mort: ainfi je vous prie de propofer à Briaffon de m'envoyer les volumes imprimés, je lui donnerai une lettre de change fur mon notaire.

Ce qu'on m'a dit des articles de la théologie et de la métaphyfique me ferre le cœur. Il eft bien cruel d'imprimer le contraire de ce qu'on pense.

Je fuis encore fâché qu'on faffe des differtations, qu'on donne des opinions particulières pour des vérités reconnues. Je voudrais par-tout la définition et l'origine du mot avec des exemples.

Pardon, je fuis un bavard qui dit ce qu'il aurait dû faire, et qui n'a rien fait qui vaille. Si on met votre nom dans un dictionnaire, il faudra vous définir le plus aimable des hommes; c'eft ainsi que penfe le fuiffe V.

1755.

1755.

ΑΙ

LETTRE V.

DE M. DE VOLTAIRE.

J'AI obéi comme j'ai pu à vos ordres; je n'ai ni le temps, ni les connaissances, ni la fanté qu'il faudrait pour travailler comme je voudrais : je ne vous préfente ces effais que comme des matériaux que vous arrangerez à votre gré dans l'édifice immortel que vous élevez. Ajoutez, retranchez, je vous donne mes cailloux pour fourrer dans quelque coin de mur, J'ofe croire que tous les sujets in medio pofiti, qui font fi connus, fi rebattus, fur lefquels il y a fi peu de doutes, fur lefquels on a fait tant de volumes, doivent être, par ces raisons-là même, traités un peu fommairement. On pourrait faire un in-folio fur ce feul mot Littérature. Si vous voulez que je parle des littérateurs italiens et espagnols, il faut donc que je m'étende fur les français ; il faudrait encore que j'euffe des livres efpagnols et italiens, et je n'en ai pas un.

Muratori, outre fes immenfes collections hiftoriques, a écrit de la perfection de la poëfie italienne ; il a fait des obfervations fur Pétrarque. L'Hiftoire de la poëfie italienne, par Crefcembeni, m'a paru un ouvrage affez inftructif. J'ai lu le comte Orfi, qui a juftifié le Taffe contre le père Bouhours: fon livre eft plus rempli, à ce qui m'a paru, d'érudition que de bon goût. Gravina m'a paru écrire fur la tragédie comme Dacier, et il a fait en conféquence des tragédies comme Dacier, aidé de fa femme, les aurait faites. Cette efpèce de littérature commença, je crois, du temps

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