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1752.

revoir; mais ils aimeraient encore mieux revoir votre perfonne. Je fuis fâché, pour l'honneur de notre nation et de notre fiècle, que vous n'ayez pu dire comme Cicéron:

Scipion, accufé fur des prétextes vains,
Remercia les Dieux et quitta les Romains.

Je puis en quelque chofe imiter ce grand-homme;
Je rendrai grâce au ciel, et refterai dans Rome.

Il ne me refte de place que pour vous réitérer mes remercîmens, et vous prier de penfer quelquefois au plus fincère de vos amis, et au plus zélé de vos admirateurs. D'Alembert.

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A Potsdam, 5 de septembre.

VRAIME

RAIMENT, Monfieur, c'est à vous à dire :

Je rendrai grâce au ciel, et refterai dans Rome.

Quand je parle de rendre grâce au ciel, ce n'eft pas du bien qu'on vous a fait dans votre patrie, mais de celui que vous lui faites. Vous et M. Diderot, vous faites un ouvrage qui fera la gloire de la France et l'opprobre de ceux qui vous ont perfécutés. Paris abonde de barbouilleurs de papier; mais de philosophes éloquens, je ne connais que vous et lui. Il eft vrai qu'un tel ouvrage devait être fait loin des

fots et des fanatiques, fous les yeux d'un roi aufssi philosophe que vous ; mais les secours manquent ici 1752. totalement. Il y a prodigieusement de baïonnettes, et fort peu de livres. Le roi a fort embelli Sparte, mais il n'a transporté Athènes que dans fon cabinet; et il faut avouer que ce n'eft qu'à Paris que vous pouvez achever votre grande entreprise. J'ai affez bonne opinion du ministère, pour espérer que vous ne serez pas réduit à ne trouver que dans vousmême la récompense d'un travail fi utile. J'ai le bonheur d'avoir chez moi M. l'abbé de Prades, et j'espère que le roi, à fon retour de la Siléfie, lui apportera les provisions d'un bon bénéfice. Il ne s'attendait pas que fa thefe dût le faire vivre du bien de l'Eglife, quand elle lui attirait de fi violentes perfecutions. Vous voyez que cette Eglife eft comme la lance d'Achille, qui guériffait les blessures qu'elle avait faites.

Heureufement les bénéfices ne font point en Siléfie à la nomination de Boyer ni de Couturier. Je ne fais pas fi l'abbé de Prades eft hérétique, mais il me paraît honnête homme, aimable et gai. Comme je fuis toujours très-malade, il pourra bien m'exhorter à mon agonie, il l'égayera et ne me demandera point de billet de confeffion. Adieu, Monfieur; s'il y a peu de Socrates en France, il y a trop d'Anitus et de Melitus, et furtout trop de fots; mais je veux faire comme DIEU qui pardonnait à Sodome en faveur de cinq juftes. Je vous embraffe de tout mon cœur. Voltaire.

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NOUS

Ous avons été fur le point, mon cher philofophe universel, de favoir madame de Fontaine et moi ce que devient l'ame quand fon confrère eft paffé. Nous espérons refter encore quelque temps dans notre ignorance. Toutes nos petites Délices vous font les plus tendres complimens. Les ridicules de Conflans et l'aventure de Pirna feront une affez bonne figure un jour dans l'hiftoire; mais ce n'est pas là mon affaire, Dieu m'en préserve; je suis affez embarraffé du paffé fans me mêler encore du préfent. Si vous avez quelques articles de l'Encyclopédie à me donner, ayez la bonté de vous y prendre un peu à l'avance. Un malade n'eft pas toujours le maître de fes momens. Je tâcherai de vous fervir mieux que je n'ai fait. Je fuis bien mécontent de l'article Hiftoire. J'avais envie de faire voir quel eft le ftyle convenable à une hiftoire générale ; celui que demande une hiftoire particulière; celui que des mémoires exigent. J'aurais voulu faire voir combien Thoyras l'emporte fur Daniel, et Clarendon fur le cardinal de Retz. Il eût été utile de montrer qu'il n'est pas permis à un compilateur des mémoires des autres de s'exprimer comme un contemporain ; que celui qui ne donne les faits que de la feconde main, n'a pas le droit de s'exprimer comme celui qui

rapporte ce qu'il a vu et ce qu'il a fait; que c'eft un ridicule et non une beauté de vouloir peindre avec 1755. toutes leurs nuances les portraits des gens qu'on n'a point connus; enfin il y avait cent chofes utiles à dire qu'on n'a point dites encore; mais j'étais preffé et j'étais malade: j'étais accablé de cette maudite Hiftoire générale que vous connaiffez. Je vous demande pardon de vous avoir fi mal fervi. S'il était temps, je pourrais vous donner quelque chofe de mieux, mais ne pouvant répondre d'un jour de fanté, je ne peux répondre d'un jour de travail. Je ne connais point le dictionnaire. Je n'ai point foufcrit. Je courais le monde quand vous avez commencé; je l'achèterai quand il fera fini; mais je fais réflexion qu'alors je ferai mort: ainfi je vous prie de propofer à Briaffon de m'envoyer les volumes imprimés, je lui donnerai une lettre de change fur mon notaire.

Ce qu'on m'a dit des articles de la théologie et de la métaphyfique me ferre le cœur. Il eft bien cruel d'imprimer le contraire de ce qu'on pense.

Je fuis encore fâché qu'on faffe des differtations, qu'on donne des opinions particulières pour des vérités reconnues. Je voudrais par-tout la définition et l'origine du mot avec des exemples.

Pardon, je fuis un bavard qui dit ce qu'il aurait dû faire, et qui n'a rien fait qui vaille. Si on met votre nom dans un dictionnaire, il faudra vous définir le plus aimable des hommes; c'eft ainfi que penfe le fuiffe V.

1755.

LETTRE V.

DE M. DE VOLTA IR E.

J'AI obéi comme j'ai pu à vos ordres; je n'ai ni
le temps, ni les connaissances, ni la fanté qu'il fau-
drait pour travailler comme je voudrais : je ne vous
préfente ces effais que comme des matériaux que
vous arrangerez à votre gré dans l'édifice immortel
que vous élevez. Ajoutez, retranchez, je vous donne
mes cailloux pour fourrer dans quelque coin de mur.
J'ofe croire que tous les fujets in medio pofiti, qui font
fi connus, fi rebattus, fur lefquels il y a fi peu de
doutes, fur lefquels on a fait tant de volumes, doi-
vent être, par ces raisons-là même, traités un peu
fommairement. On pourrait faire un in-folio fur ce
feul mot Littérature. Si vous voulez que je parle des
littérateurs italiens et efpagnols, il faut donc que je
m'étende fur les français ; il faudrait encore que j'euffe
des livres efpagnols et italiens, et je n'en ai pas un.

Muratori, outre fes immenfes collections hiftori-
ques, a écrit de la perfection de la poëfie italienne;
il a fait des observations fur Pétrarque. L'Hiftoire de
la poëfie italienne, par Crefcembeni, m'a paru un ouvrage
affez inftructif. J'ai lu le comte Orfi, qui a juftifié le
Taffe contre le père Bouhours: fon livre eft plus
rempli, à ce qui m'a paru, d'érudition que de bon
goût. Gravina m'a paru écrire fur la tragédie comme
Dacier, et il a fait en conféquence des tragédies comme
Dacier, aidé de fa femme, les aurait faites. Cette
espèce de littérature commença, je crois, du temps

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