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LE MARQUIS DE CUSTINE À LA DOUANE

DE PETERSBOURG.

QUE Venez-vous faire en Russie ?

Voir le pays.

Qui comptez-vous voir à Pétersbourg ?

-Toutes les personnes qui me permettront de faire connaissance avec elles.

Combien de temps comptez-vous rester en Russie?

-Je ne sais.

Dites à peu près ?-Quelques mois.

Avez-vous une mission diplomatique ?—Non.

Quelque but scientifique ?—Non.

Etes-vous envoyé par votre gouvernement pour observer l'état social et politique de ce pays ?—Non.

Par une société commerciale?—Non.

Vous voyagez donc librement et par pure curiosité?
-Oui.

Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers la Russie?
-Je ne sais.

Avez-vous des lettres de recommandation pour quelques personnes de ce pays?

On m'avait prévenu de l'inconvénient de répondre trop franchement à cette question : je ne parlai que de mon banquier.

LE COQ ET LA PERLE.

Un jour un coq détourna
Une perle qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire

Un ignorant hérita

D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton

Serait bien mieux mon affaire.

CONAXA.

PENSÉES. REMARQUES.

77

Il ne faut pas juger un homme sur un mot, ni sur un fait isolé. La vie se compose de tant de contradict ons, qu'on prendrait souvent l'exception pour la règle.

Boileau aimait la société, et était très exact à tous les rendez-vous: "Je ne me fais jamais attendre, disait-il, parce que j'ai remarqué que les défauts d'un homme se présentent toujours aux yeux de celui qui l'attend."

Levez-vous matin, si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi.

Les paresseux ne font jamais que des gens médiocres. L'égoïste brûlerait votre maison pour se faire cuire deux œufs.

Ducis aimait beaucoup Horace et Montaigne, peut-être parce que ces deux écrivains aimaient beaucoup leurs pères.

Qu'y a-t-il de plus beau? l'univers.-De plus fort? la nécessité. De plus difficile ? de se connaître.-De plus facile? de donner des avis.-De plus rare? un véritable ami.

Un évêque fit cette question à un jeune enfant: "Mon petit ami, dites-moi, où est Dieu, je vous donnerai une orange."-"Monseigneur," répondit l'enfant, "dites-moi où il n'est pas, et je vous en donnerai deux."

CONAXA,

OU LES DEUX GENDRES.

CONAXA, vieillard fort riche, plein d'un tendre amour pour ses deux gendres, se défit en leur faveur de tous ses biens, espérant qu'ils continueraient à le respecter, et qu'il pourrait passer avec eux tranquillement le reste de ses jours.

Il ne fut pas longtemps sans s'apercevoir qu'il s'était trompé. Ses deux gendres lui faisaient sentir à chaque instant qu'un homme dont on n'a plus rien à attendre, est un fardeau très incommode.

Le pauvre vieillard, au désespoir d'etre la victime de sa trop grande bonté, se transporta secrètement chez un de ses amis, et lui fit part de sa triste situation. "Vous la méritez," lui dit cet ami: "vous-avez fait une grande

faute; mais il faut tâcher de la réparer. Voici comment nous devons nous y prendre. J'enverrai tantôt chez vous un homme avec un sac d'argent vous laisserez entrevoir aux deux ingrats que c'est le fermier d'une terre que vous vous êtes réservée, et s'ils se laissent surprendre par ce stratagème, vous pouvez compter qu'ils changeront de conduite à votre égard."

Conaxa bien content, s'en revint à la maison. Tandis qu'il était à table avec ses enfants, le prétendu fermier arrive, et demande à parler à Conaxa. Le vieillard se retire dans sa chambre avec le porteur du sac, ferme la porte, se met à compter les écus sur la table, et a grand soin de bien faire sonner l'argent. Les deux gendres et leurs femmes, qui écoutaient à la porte, furent extrêmement surpris de voir que leur père avait encore des espèces.

Quand le bon homme se fut remis à table, ils lui dirent: "Il paraît, mon père, que vous ne nous avez pas cédé tout votre bien, et que vous vous en êtes réservé une bonne partie." “Vous ne vous trompez pas," leur répondit-il, "j'aurais été bien à plaindre, si je n'avais pas pris une si sage précaution. J'ai voulu vous éprouver, et j'ai eu la douleur de ne voir en vous que des fils ingrats. Il me reste encore des biens assez considérables; mais je ne prétends les laisser qu'à celui de vous deux qui se conduira le mieux envers moi." Les deux gendres promirent de se mieux comporter à l'avenir, et n'eurent garde de manquer de parole.

Ils disputaient à l'envi à qui gagnerait les bonnes grâces de leur père. Jamais le bon vieillard n'avait été si heureux. Lorsqu'il fut sur le point de mourir, il les fit venir, et leur dit, en leur montrant un coffre-fort: "Vous trouverez là un testament par lequel je déclare mes dernières volontés.”

Aussitôt que Conaxa eut rendu le dernier soupir, ils ouvrirent promptement le coffre-fort, où ils espéraient puiser l'or et l'argent à pleines mains. Quelle fut leur surprise, quand ils ne trouvèrent qu'une massue, avec un écrit conçu en ces termes : "Je laisse cette massue pour casser la tête à tous les pères qui feront la folie de se dépouiller de leur bien en faveur de leurs enfants."

ALEXANDRE ET LE CHEF DE BATAILLON.

79

ALEXANDRE ET LE CHEF DE BATAILLON L'EMPEREUR Alexandre voyageant dans la Russie Noire, arriva dans une petite ville, et tandis qu'on changeait de chevaux, eut le désir de faire quelques pas en avant. Aussitôt, seui, vêtu d'une redingote militaire, sans aucune marque de distinction, il traverse la ville et arrive à l'extrémité où la route se divise en deux chemins; ignorant lequel des deux il doit prendre, Alexandre s'approche d'un homme, vêtu comme lui d'une redingote, et fumant sa pipe sur le seuil de la dernière maison: Mon ami, lui demande l'empereur, laquelle de ces deux routes dois-je prendre pour aller à Kalouga?

L'homme à la pipe, étonné qu'un simple voyageur ose lui parler avec cette familiarité, laisse dédaigneusement toniber, entre deux bouffées de fumée, le mot: A droite.-Pardon, Monsieur, dit l'empereur; encore une question, s'il vous plaît.-Laquelle ?-Permettez-moi de vous demander quel est votre grade dans l'armée ?-Devinez.-Monsieur est peut-être lieutenant?-Montez.-Capitaine?-Plus haut.— Major?-Allez toujours.-Chef de bataillon?—Enfin... L'empereur s'incline.

-Et maintenant à mon tour, dit l'homme à la pipe, persuadé qu'il s'adresse à un inférieur, qui êtes-vous vousmême, s'il vous plaît ?-Devinez! répond l'empereur.― Lieutenant ?-Montez.-Capitaine ?-Plus haut. -Major? Allez toujours.-Chef de bataillon ?-Encore.-Colonel ? Vous n'y êtes pas.

L'interrogateur tire sa pipe de sa bouche.

-Votre Excellence est donc lieutenant-général ?
-Vous approchez.

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L'interrogateur porte la main à sa casquette.

-Mais, en ce cas, Votre Altesse est donc feld-maréchal? -Encore un effort, monsieur le chef de bataillon.-Sa Majesté Impériale ! s'écrie alors l'interrogateur, en laissant tomber sa pipe, qui se brise en morceaux.-Elle-même, répond Alexandre en souriant.-Ah! Sire, s'écrie l'officier tombant à genoux, pardonnez-moi.-Et que voulez-vous que je vous pardonne ? répond l'empereur ; je vous ai demandé mon chemin, vous me l'avez indiqué. Merci.

INVENTION DE L'IMPRIMERIE.

TROIS Allemands industrieux, Guttemberg, Faust, et Schoeffer, établirent à Mayence la première imprimerie. Les premiers ouvrages sortis des presses de ces trois fondateurs de l'imprimerie, entre 1450 et 1465, sont devenus si rares, que ceux qui en possèdent des exemplaires les conservent comme des trésors. La Hollande réclame l'honneur de l'invention de l'imprimerie pour Laurent Coster, de Harlem; d'autres l'attribuent à Mentel, de Strasbourg; mais comme on ne connaît pas d'ouvrages de ces imprimeurs plus anciens que ceux des trois imprimeurs de Mayence, il faut bien laisser à cette ville d'où l'art typographique se répandit d'ailleurs dans les autres villes, la gloire d'avoir donné naissance à l'imprimerie. Quand on eut connaissance en France des grands avantages de la nouvelle invention, on songea à l'y introduire. En 1469, le prieur de la Sorbonne à Paris, fit venir trois ouvriers imprimeurs de Mayence, pour monter un atelier, et c'est dans la même maison de la Sorbonne que fut établie la première imprimerie qu'il y ait eu en France. Les ouvrages qui en sortirent, ou qui étaient venus d'Allemagne, firent si grand tort au métier des copistes, que ceux-ci dénoncèrent l'imprimerie au parlement comme étant un art magique. Les magistrats, assez crédules pour ajouter foi à cette dénonciation singulière, ordonnèrent la confiscation des livres imprimés. Mais le roi Louis XI., plus éclairé que le parlement, fit restituer les livres à leurs propriétaires. Faust était venu à Paris quelques années auparavant, pour vendre des livres : il y mourut de la peste. Schoeffer y vint ensuite, et, comme on appréciait déjà alors les bienfaits de l'art typographique, il fut accueilli avec tous les égards dus aux hommes ingénieux. Guttemberg avait été nommé gentilhomme de la maison de l'électeur de Mayence. L'empereur d'Allemagne accorda aux imprimeurs des armoiries, ainsi que le privilége de porter sur leurs habits des galons d'or. Telle fut l'estime qu'on eut pour un art éminemment utile. par le secours duquel l'instruction se répand aujourd'hui avec rapidité d'une extrémité du monde à l'autre.

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