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grande guerre que les Grecs euffent Nojamais eue entre eux, & remporté par T H U S. leur force & leur valeur une victoire très fignalée & très complette. Le lendemain on convoqua l'affemblée, pour délibérer fur ce qu'il faloit faire des prifonniers. Dioclès, l'un des Chefs. les plus accrédités parmi le peuple, propofa cet avis: Que tous les Athéniens de condition libre, & les Siciliens qui avoient embraffé leur parti, feroient mis en prifon dans les carrieres, où on leur donneroit feulement par jour deux mesures de farine & une d'eau que les esclaves, & tous les alliés, feroient vendus publiquement; que les deux Généraux des Athéniens, après avoir été battus de verges, fe

roient mis à mort.

Diod

Ce dernier article revolta extrémement tout ce qu'il y avoit de gens fages. 13. p. & modérés à Syracufe. Hermocrate, 149.16.. qui avoit une grande réputation de probité & de juftice, voulut faire des remontrances au peuple: il ne fut point écouté, & les cris qu'on jetta de tous côtés ne lui permirent pas de continuer fon difcours. Alors un * vieillard, refpectable par fon âge & par sa gravité, qui avoit perdu dans cette

guerre

Nice laus.

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DA- guerre deux enfans, feuls héritiers de RIUS fon nom & de fes biens, fe fit conduire par fes domeftiques fur la Tribune aux harangues. Dès qu'il y parut, on fit un profond filence,, Vous voiez ,, dit-il, un pere infortuné, qui a fen,, ti, plus qu'aucun autre Syracufain, les funeftes effets de cette guerre, ,, par la mort de deux fils, qui faifoient toute la confolation & toute la reffource de ma vieilleffe. Je ne „, puis point, à la vérité, ne pas admi,,rer leur courage & leur bonheur, d'avoir facrifié au falut de la Répu», blique une vie que la loi commune de la nature leur auroit tôt au tard enlevée mais je ne puis auffi ne pas fentir la plaie cruelle que leur mort a faite à mon cœur, & ne point hair & détefter les Athéniens, auteurs de ,, cette malheureufe guerre, comme les homicides & les meurtriers de ,, mes enfans. Cependant, je ne puis le diffimuler, je fuis moins fenfible à ma douleur, qu'à l'honneur de ma ,, patrie: & je la vois prête à fe desho,,norer pour toujours par le cruel avis » qu'on vous propofe. Les Athéniens, ,il eft vrai, méritent toutes fortes de: fupplices & de mauvais traitemens: » pour l'injufte guerre qu'ils nous.ont:

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29

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déclarée: mais les dieux, juftes ven- No,, geurs du crime, ne les ont-ils pas T H U S. affez punis, & ne nous ont-ils pas affez vengés? Quand leurs Chefs ,, ont mis bas les armes, & fe font rendus à nous, n'a-ce pas été dans l'ef,,pérance de conferver leur vie? & ,, pouvons-nous la leur ôter, fans encourir le juste reproche d'avoir violé le droit des gens, & d'avoir deshonoré notre victoire par une barba,, re cruauté ? Quoi! vous fouffrirez » que votre gloire foit ainfi flétrie dans tout l'univers, & qu'on dife », qu'un peuple, qui le premier à éri,, gé un temple dans fa ville à la Miféricorde, n'en a point trouvé dans la vôtre? Sont-ce les victoires & les triomphes qui rendent à jamais illuftre une ville; & non pas la clé,,mence pour des ennemis vaincus, la modération dans la plus grande ,, profpérité, & la crainte d'irriter les dieux par un orgueil fier & infolent? Vous n'avez point fans doute oublié que ce même Nicias, fur le fort duquel vous êtes prêts de prononcer, eft celui qui plaida votre caufe dans l'affemblée des Athéniens, & qui emploia tout fon crédit & toute fon

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élo

DA- ,, éloquence pour les détourner de RIUS,, vous faire la guerre. Une fentence ,, de mort prononcée contre ce digne ,, Chef, eft-elle donc une jufte récompenfe du zèle qu'il a témoigné pour ,, vos intérêts. Pour moi, la mort me fera moins triste, que la vûe d'une telle injustice commise par ma pa" trie & par mes concitoiens. "

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Le peuple parut touché par ce dif cours, d'autant plus que voiant paroître ce Vieillard fur la Tribune, il s'étoit attendu qu'il alloit demander vengeance contre les auteurs de tous fes maux, & non pas implorer fa clémence en leur faveur. Mais les ennemis d'Athénes aiant exagéré avec force & véhémence les cruautés inouïes que cette République avoit exercées contre plufieurs villes de leurs ennemis & même de leurs anciens alliés ; Pacharnement de fes Chefs contre Syracufe, & les maux qu'ils lui auroient fait fouffrir s'ils avoient été vainqueurs; la douleur & les gémiffemens d'une infinité de Syracufains, qui pleuroient la mort de leurs enfans & de leurs proches, dont les mânes ne pouvoient être appaifés que par le fang de leurs meurtriers: le peuple rentra dans

fes

fes premiers fentimens, & fuivit en Notout l'avis de Dioclès. Gylippe fit de THUS. vains efforts pour obtenir que Nicias & Démofthéne fuffent conduits à Lacédémone, d'autant plus qu'ils étoient fes prifonniers. Sa demande fut rejettée avec hauteur & infulte, & les deux Généraux furent mis à mort.

Les perfonnes fages & modérées ne purent refufer des larmes à la fin tragique de ces deux grands hommes, & fur tout à celle de Nicias, qui de tous ceux de fon tems paroiffoit le moins digne de cette infortune. Quand on fe rappelloit dans l'efprit les difcours qu'il avoit tenus & les remontrances qu'il avoit faites pour empêcher cette guerre, & que d'un autre côté l'on confidéroit l'attachement inviolable qu'il avoit toujours eu pour tout ce qui regarde la religion, la plûpart étoient tentés d'accufer hautement la Providence, en voiant qu'un homme qui avoit toujours témoigné un refpect infini pour les dieux, & qui n'avoit jamais rien épargné quand il s'agiffoit de leur honneur & de leur culte, en étoit fi mal récompenfé, & n'éprouvoit point une fortune plus heureufe que les plus méchans & les plus

fcélé

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