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assez d'indépendance. C'est à ces formes incomplètes du droit d'examen que l'on dut les sectes philosophiques qui apparurent vers les temps où J.-C. produisit sa réforme sur la religion mosaïque.

La philosophie n'était en général dans les théocraties qu'un raisonnement plus ou moins habile pour justifier la conception sociale et les faits qui s'accomplissaient suivant ses prescriptions. Il appartenait au prêtre et aux délégués du gouvernement de remplir ce ministère.

Ce n'est que dans certaines autocraties que la philosophie a pris une place, assez importante, surtout en Grèce et à Rome. Dans ces républiques on trouvait des hommes faisant des cours publics pour enseigner la sagesse à la classe la plus instruite de la société. Si les philosophes se fussent bornés à l'examen des croyances répandues dans la société et à la critique des faits qui s'accomplissaient suivant ces croyances pour approuver ce qu'ils contenaient de bon et blâmer ce qu'ils offraient de mauvais, avec modération, ils auraient été de véritables philosophes; mais ils allaient plus loin: presque tous, joignant le rôle de savant à celui de philosophe, produisaient, à l'aide de leur imagination et de leur raisonnement, des systèmes plus ou moins généraux qui avaient peu de rapport avec la société. Ce qui donna lieu à un grand nombre de secies les unes plus mystiques que les autres.

Il n'est pas douteux que la séparation de la science et de la philosophie aurait rendu leur action plus efficace. Quoi qu'il en soit, les philosophes savants, grecs et romains, ont acquis une grande célébrité, et leurs ouvrages, quoique présentant la confusion de la science et de la philosophie, n'ont pas peu contribué à la renaissance des lettres dans l'Occident.

Cette mauvaise habitude de confondre la science avec la philosophie existe encore de nos jours. Il serait temps, cependant, de distinguer deux ordres de fonctions si différents. Les naturalistes, les physiciens, les chimistes décrivent des corps, constatent des phénomènes, font de l'expérimentation; tout le monde reconnaît cela. La véritable science physiologique et médicale repose encore sur l'expérience, on en convient. Mais ce qu'on ne comprend pas aussi bien, c'est que la cosmogonie ou la métaphysique, que la science sociale puissent résulter de l'observation. Tout doute, cependant, disparaîtra à cet égard lorsqu'on voudra admettre que ces sciences reposent également sur un certain nombre de modes de manifestation susceptibles d'une véritable analyse.

Or, pour déterminer les modes de manifestation ou systèmes de l'univers, comme pour déterminer les modes de manifestation ou états civils de la société, il ne faut pas raisonner, mais décrire, analyser. Le raisonnement n'intervient que lorsque nous voulons comparer ou enseigner les principes et les faits que nous avons établis par l'analyse et qui constituent les diverses sciences. Nous ne disons pas que les savants ne se servent pas du raisonnement pour diriger l'observation, mais c'est là Ja chose accessoire; le principal c'est l'analyse ou la description des principes et des faits existants.

Puisque c'est l'analyse qui fait la science, le défaut d'analyse constitue l'hypothèse ou les suppositions. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas considérer comme vraie science les suppositions ou hypothèses des rationalistes.

Telles étaient les oeuvres de ce qu'on appelait les philosophes, les œuvres encore des révélateurs. Les systèmes des rationalistes et des révélateurs se détruisent les uns par les

autres, parce qu'ils sont personnels. Les travaux de la vraie science sont éternels parce qu'ils ne consacrent que des lois providentielles qui existent de tout temps indépendamment de nous.

Quoiqu'il en soit, les fonctions philosophiques sont libres comme la plupart des autres fonctions dans l'autocratie libérale des Etats-Unis. Mais voici un autre travers: les philosophes américains mêlent le journalisme ou la publicité avec la philosophie; chacun présente les principes et les faits à sa manière, et là-dessus il expose sa théorie de la sagesse.

Sans contester la nécessité où se trouvent les philosophes américains, et même européens, en l'absence d'un pouvoir ou d'un ordre de fonctions spécial de publicité authentique, de livrer à l'opinion les théories et les faits qu'ils peuvent recueillir, suivis de leur critique, il n'est pas moins fâcheux de voir confondre deux fonctions essentiellement différentes. La constatation de la science et des faits accomplis doit être indépendante de leur examen et de l'enseignement auxquels ils peuvent donner lieu.

Quand est-ce donc que la publicité, la science, l'enseignement, la religion et la philosophie seront spécialisés et représenteront cinq ordres distincts de fonctions: que d'erreurs, de discussions inutiles cette confusion a occasionées et occasionne tous les jours.

Les fonctions patriarchales ont été, dans le passé, chez toutes les nations, subordonnées et dans la confusion. Le patriarche ou maire a été un faible représentant des familles de la commune et en même temps un agent de l'administration locale du reste, le patriarche ne donnait sa consécration qu'à un petit nombre d'états civils, et encore, il ne le faisait que relativement aux premières castes, classes ou

maisons. On ne connaissait guère que les états de noble, de prêtre, de chef de famille, de façon que la fonction patriarchale, qui sera on ne peut plus importante dans l'avenir puisqu'elle solennisera et protégera tous les états de la vie sociale, se réduisait à presque rien chez les peuples qui ont vécu jusqu'ici.

Les fonctions économiques sont peut-être celles qui exigent le plus d'instruction et de sagesse dans leur exercice, puisqu'elles disposent des immeubles et du mobilier de la société, et cependant, c'étaient celles qui étaient livrées à la plus déplorable routine et au plus grand arbitraire. Comme si la fortune publique et privée était indifférente, on n'exigeait aucune étude spéciale des économes. Ainsi, dans les théocraties, le souverain, la caste ou classe militaire et la caste ou ordre sacerdotal, dans les autocraties, le gouvernement monarchique ou républicain, les patriciens et quelques plébéiens possédaient la presque totalité des immeubles et du mobilier, en sorte que l'exploitation des mines, la culture végétale, l'élève des bestiaux, sources principales de la prospérité nationale, dépendaient de gens qui étaient étrangers à ces sortes de travaux et qui s'en rapportaient, à leur tour, à des délégués libres ou esclaves, non moins ignorants qu'eux du soin de la production.

D'un autre côté, la manufacture appartenait à des corporations privilégiées qui se transmettaient, par droit d'héritage aussi, la puissance d'admettre les ouvriers à la fabrication et de leur imposer les conditions, qui leur convenaient.

N'est-il pas évident que la production aurait été autrement considérable siles travailleurs, suivant plus ou moins le droit de vocation, avaient eu leurs fonctions organisées

par les plus capables en économie ? Il n'était pas nécessaire de détruire pour cela la propriété. L'usage de la propriété peut être réglé sans faire violence à un principe qui, en l'absence de toute solidarité, a été nécessairement utile.

Les autres états civils de la société étaient pourvus d'une manière non moins arbitraire par les détenteurs de la fortune publique et privée.

L'estimation des biens et des produits, qui forme une seconde branche de l'économie, n'a présenté non plus jusqu'ici aucune garantie; chacun a été, pour ainsi dire, son commissaire-priseur, de sorte que la fraude et l'erreur ont vicié la majeure partie des transactions civiles.

La société a eu encore à souffrir du défaut de comptabilité. Les recettes et les dépenses, il est vrai, des nations modernes sont mieux établies, sous bien des rapports; il en est de même de celles de certaines grandes maisons; mais, en général, il a été difficile de se faire une idée satisfaisante des comptes publics et privés. N'est-ce pas reconnaître que le désordre a régné dans l'emploi de la fortune de tous. Cependant, une bonne comptabilité est rigoureusement nécessaire pour établir les avantages et les inconvénients de l'exploitation et de la fabrication. La comptabilité est la source du crédit ; ce n'est qu'à cette condition que les particuliers comme les Etats se procureront les capitaux nécessaires.

L'on voit combien la non-spécialisation des fonctions économiques, en vue de l'organisation des états civils, de l'estimation des biens et de la comptabilité, a été préjudiciable à la société.

Les fonctions des travaux de construction n'ont été non plus jusqu'à nous ni spécialisées, ni indépendantes. C'étaient les gouvernements ou leurs délégués qui décidaient de tout ouvrage d'utilité publique ; c'étaient les chefs de

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