Tu t'en vas... Cherches-tu le tumulte des villes?
Mais nous saurons te suivre et d'un vol aussi prompt Que ta course effrénée, écarter de ton front, Dont l'ardeur tombera sous notre fraîche haleine, Le nuage chargé des éclairs de la haine ! »
L'homme n'excitait plus son cheval. Aux accents De ces voix dont l'accord le pénétrait, ses sens Étaient pris à la fois de langueur indicible. Contre sa volonté qu'il croyait inflexible, Une force luttait, celle du renouveau. Des effluves d'amour lui montaient au cerveau, Alors qu'il émanait de chaque herbe odorante Une autre symphonie encor plus enivrante:
<< Arrête ! un seul moment!... c'est le parfum des fleurs Qui te rendra la paix en calmant tes douleurs !
Tu veux fuir? Insensé ! Quelle âme est assez close Pour échapper longtemps au charme de la rose? Peut-être ton orgueil qui ne nous entend pas Méprise le muguet, dédaigne le lilas... N'importe! endurcis-toi! résistance inutile! Pour que s'endorme enfin ta passion futile, Emporte dans ton sein qu'en vain tu veux fermer Les aromes puissants des fleurs qui font aimer ! »
De senteurs l'atmosphère était tout imprégnée. L'homme sentait fléchir son audace indignée; Son cheval épuisé ralentissait le pas
Et lui, l'abandonnant, ne le ranimait pas. Comme un feu sans tisons s'éteignait sa colère. La conjuration de la nature entière
Malgré lui doucement amollissait son cœur. La chanson des oiseaux, les parfums et ce chœur Magnifique et serein des astres dans l'espace, La brise du coteau qui murmure et qui passe, Le ruisseau du vallon qui se joue en son cours, Ce merveilleux accord de l'œuvre des sept jours,
Versaient l'apaisement en lui... Soudain dans l'ombre De l'horizon que couvre encore un rideau sombre, L'écho s'éveille et rend un éclat argentin :
Une cloche tintait l'Angelus du matin.
Cette fois le cheval s'arrêta blanc d'écume. L'aube rose envoyait un reflet dans la brume Et le son clair, au fond de la plaine là-bas, S'exhalait d'un clocher que l'on ne voyait pas. Le bronze, messager de joie ou d'agonie, Disait un chant dont rien n'exprimait l'harmonie, Qui, tendre tour à tour comme un cri maternel, Triste comme un soupir, pressant comme un appel, Plaintif comme l'accent d'une âme prisonnière, S'étouffait en sanglot, s'élançait en prière, Puis en gai carillon, doux symbole d'espoir, Se noyait dans l'azur !...
Allait-il s'émouvoir,
Le rude cavalier levant sa tête nue?
Les premières lueurs qui tombaient de la nue, Où l'Orient mêlait l'or avec le carmin,
Lui montraient vaguement sur le bord du chemin Une croix étendant ses larges bras de pierre, Comme un gardien debout, au seuil d'un cimetière.
Et le bronze lointain, de ses vibrations
Perdu dans ses réflexions, Immobile, muet et la face inclinée,
L'homme croyait-il donc sa course terminée? Resta-t-il longtemps, lui, si hautain et si fort, Ainsi morne et pensif devant le champ de mort? Quel flot de souvenirs inonda sa pensée? Quelle décision y demeura fixée ?
Goûtait-il sa vengeance? Entendait-il la voix Qui sortait clairement des tombes et des croix ?
« Vanité, vanité !... c'est pour un de tes frères
Que s'ouvrirent hier ces portes funéraires. O voyageur superbe errant par le chemin, Ce sera, le sais-tu, pour toi-même demain ! Homme pétri d'orgueil, de colère et de haine, Pense pour t'apaiser à la fosse prochaine
Où, si grand que tu sois et si fier, échoûront
Tous les songes ardents qui couvent sous ton front! Bienheureux les coeurs doux !... >>
Sortit le cavalier, sur la plaine fleurie
Passait, comme un courant d'allégresse et d'amour. Les ténèbres fuyaient, l'aurore d'un beau jour Éclairait le réveil de la nature en fête.
Et bientôt le soleil répandait sur le faîte Des chênes frémissants ses gerbes de rayons. Une vapeur dorée émanait des sillons
Et flottait en long voile aux branches emperlées; Les bourgeons entrouverts sous les brises ailées Frissonnaient de plaisir. Près du ruisseau jaseur, Broutant le gazon fin sans crainte du chasseur, Les lièvres bondissaient, et du fond des charmilles Par moments arrivait un chant de jeunes filles, Tandis que s'élevant d'un repli du terrain, L'alouette en plein ciel égrenait son refrain. Épanouissement de la terre paisible
Sous l'éternel regard de Dieu !
Était vaincu, son front brillait rasséréné,
Des pleurs mouillaient ses yeux: il avait pardonné !
» Ton beau front porte la couronne De la grâce et de la beauté ;
L'aile qui t'effleure frissonne De plaisir et de volupté!
Sur ta corolle épanouie
L'arc en ciel a mis ses couleurs,
Et la brise emporte ravie
Au loin tes parfums enchanteurs !
>> Modeste sous le diadème Que Dieu pose à ton front si doux, O fleur! tu t'ignores toi-même, Et tu croîs, loin des yeux jaloux ! Ainsi, belle de l'innocence Dont le ciel parfume son cœur, La vierge vit dans l'ignorance Loin d'un monde vain et trompeur !
» Roi paisible du vert bocage, Moi seul, ô ma charmante fleur! Admire ta suave image
Et ta ravissante fraicheur !
Caché sous mon ombre chérie,
De l'aube au soir, tremblant d'émoi, Poëte à la voix attendrie,
O ma fleur, je chante pour toi!
>> Car ton doux aspect me ramène Le printemps avec ses beaux jours, L'aurore à la clarté sereine, Le soleil d'or et les amours! Oh! reste, ma fleur gracieuse ! Avec moi toujours dans l'oubli ! A moi ta beauté radieuse : A toi les chants du bengali ! »
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