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CCXCVIII.

551. Osons l'avouer, la raison fait des philosophes, la gloire fait des héros ; la seule vertu fait des sages.

ÉLOGE DE LOUIS XV.

Rien ne caractérise un mauvais règne comme la flatterie portée à l'excès, et je n'ai jamais lu la vie de Louis XIV sans être étonné qu'un si grand roi ait été loué comme un tyran. Il n'y a point de louanges qu'on n'ait employées et en quelque sorte épuisées pour flatter son ameambitieuse; et après cet emportement qui ne fait que farder sa gloire, il semble qu'il ne soit resté que le silence aux vertus de son successeur; mais un silence si respectueux marquera peutêtre mieux la force de son caractère supérieur à l'adulation, que les plus pompeuses paroles. Oui, j'ose dire que les louanges les plus recherchées seroient moins assorties au caractère de ses sentiments; il falloit que sa modestie incorruptible reçût ce témoignage singulier, et ce nouvel hommage attendoit sa vertu.

Toutefois je ne dois pas craindre, dans l'obscurité qui me cache, d'épancher mon cœur sur sa vie, et ma foible voix de si loin n'offensera pas son oreille. Grand roi, permettez-moi, du moins, d'admirer cette modestie qui mérite à si juste titre les louanges qu'elle refuse, cette haute modération qui ne s'est jamais démentie, cette inépuisable sagesse........ Je n'entreprendrai pas de marquer tous les dons que le Ciel a verses sur vous; détourné d'un travail si noble par d'autres devoirs, je laisse à des mains plus savantes ce vaste sujet.

Un roi révéré de ses peuples, protecteur sévère des lois et de l'innocence opprimée, montra, dans un siècle barbare, la même sagesse sur le même trône. Aidé d'un ministre fidèle, partageant avec lui les soins de son État et l'amour de la paix, et l'ardeur du travail, et le zèle du bien public, son règne semble avoir été le glorieux modèle du vôtre. Mais ni ce sage roi n'étoit né sur le trône, ni son heureux ministre, élevé de bonne heure à cet éminent ca

ractère, n'a eu la destinée du vôtre. Il étoit réservé à ce siècle de voir un roi né dans la pourpre, rassemblant dans une jeunesse si exposée à la séduction, avec toutes les qualités du trône, les vertus d'un particulier, et un particulier blanchi dans les conditions ordinaires possédant les talents d'un roi dans la plus extrême vieillesse. Pardonnez-moi, Louis, de mêler vos louanges à celles d'un sujet honoré par vousmême d'une si constante affection et d'une si pleine confiance. Vous avez fait paroître aux yeux de l'univers ce que d'autres ont déja dit : que la sagesse sait rapprocher sans effort toutes les conditions et tous les âges, et que le cœur d'un jeune et magnanime prince ne peut être fixé que par les avantages et les graces de la vertu. Vous l'aviez rencontrée dans ce sage vieillard avec ses immortels attraits, et vos mains royales décoroient de tous les dons de la fortune sa vie défaillante. Maintenant ce puissant génie veille dans le sein de la mort sur les destinées de l'État, et ses mânes, pleins des désordres et des troubles de l'univers, se conseillent dans le silence et l'obscurité du tombeau. N'appréhendez rien, ombre illustre, du cours inconstant des affaires; quoi que la fortune entreprenne, votre place est marquée chez la postérité, et vous aurez le sort de ces deux grands ministres accusés en mourant par la haine publique et depuis toujours admirés. La gloire du roi votre maître vous assure cette haute et immortelle destinée. Que ne pouvez-vous du cercueil, affranchi des lois de la mort, lui rendre à lui-même témoignage! Oh! si vous étiez à ma place, que n'aurions-nous pas lieu d'attendre? Vous avez été le témoin des prodiges de son enfance. Quel prince fut jamais dans la force de l'âge, ou plus ferme ou plus juste, ou plus impénétrable ou plus attaché aux devoirs et aux bienséances du trône? Quel céda jamais moins à l'importunité et aux cabales, ou même à ses propres penchants? Vous diriez qu'il n'est pas le maître de ses graces: la raison dispose de tout; et cette foule d'hommes inutiles, mais avides, qui assiégent éternellement les princes foibles, s'éloigne de lui. Louis XIV s'étoit piqué d'avoir une cour magnifique, et la gloire du roi

Richelieu, Mazarin.

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sera d'en avoir banni l'intérêt. C'est à vous, messieurs, de le dire, vous qui avez l'honneur de l'approcher, vous que sa seule familiarité attachesi tendrement à lui, et qui, n'ayant encore que de la vertu, voyez sans regret toutes ses graces consacrées aux services. Vous savez qu'il a des amis sans avoir des favoris, que l'on n'aime en lui que lui-même, et qu'il jouit sur le trône des douceurs de toutes les conditions parcequ'il en a les vertus. O rare merveille! un monarque qui inspire sa modération à tant d'hommes qui l'environnent, et à ce qu'il y a de plus cher ! Qu'il est aimable d'être encore sur le trône un homme comme nous, et qu'il est est admirable de savoir être homme sans cesser pourtant d'être roi!

expériences et par vos dernières paroles : les tristes suites de l'ostentation et de la gloire n'avoient pas paru à vos yeux. Si vous fussiez né dans les mêmes circonstances, ô magnanime héros, sans doute vous auriez régné par les

l'énervement des courages et la corruption des esprits, et que pour ces raisons je ne veux plus louer. Mais nous devons du moins cette justice au roi, que, si le succès de la guerre n'est pas tel qu'on pouvoit l'attendre, le seul intérêt de l'État et la seule équité l'ont porté à l'entreprendre. Jamais une injuste ambition n'a fait le malheur de ses peuples; non, jamais l'ambition n'a vaincu sa grande ame. Tout l'univers le sait : tant qu'il a pu tenir la concorde parmi les princes, il l'a fait au prix même, si j'ose le dire, de sa propre gloire. Vous n'avez pas toujours recherché cet éloge, grand roi qui l'avez précédé! Votre courage altier, ennemi du repos, vous a quelquefois emporté. Qui osera blâmer vos erreurs? Vous n'aviez pas les grands exemPeuples, je pourrois vous parler de la pros-ples que vous avez laissés au roi instruit par vos périté de tant d'années coulées dans le repos et l'abondance par ses soins; mais touché d'une autre pensée dans l'état présent des affaires, et après avoir vu moi-même vos plus justes espérances renversées, vos conquêtes abandonnées, la gloire de notre nation flétrie, et la mort irri-mêmes principes et avec les mêmes vertus ! tée, au milieu de nos camps, menaçant nos armées d'une entière ruine; dans le deuil de tant de familles et l'accablement des impôts, suite déplorable de la guerre, je ne vous ferai pas un tableau fastueux de nos avantages passés, les dettes acquittées, les services payés, l'ordre rétabli sans violence, un État fameux dans l'Europe, l'ancien héritage de notre ennemi, réuni après tant de siècles et par un traité solennel, fruits de deux glorieuses campagnes, au trône dont il émanoit; et pour dire tout en un mot, la France dans un tel degré de réputation et de puissance, qu'à cet évènement fatal, le triste signal de la guerre qui désole tant de royaumes, nous avons vu le roi porter ses armes redoutées jusqu'à l'orient de l'Europe, disposer de l'Empire et du sceptre de Bohême, sans qu'aucune nation ait osé ouvertement se déclarer, sans qu'aucune encore, aujourd'hui qu'il a rappelé ses armées, puisse se rasseoir dans ses craintes. Hélas! c'étoit la paix qui nous avoit donné la plupart de ces avantages, la paix qui faisoit fleurir toutes les vertus civiles et qui laissoit éteindre tous les grands talents, la sagesse, la prospérité, l'autorité du roi paroissant les rendre inutiles; la paix, dis-je, qui nous reproche et

Toutefois qui peut s'assurer de ce qui se passe dans le cœur des rois, et de ce qui détermine leurs volontés? Un ordre, supérieur à leur puissance, dispose à une fin impénétrable toutes leurs pensées, et conduit par leurs mains obeissantes le sort des Empires. De-là ces secrètes misères causées par l'ambition de Louis XIV, au milieu de l'éclat de ses victoires; de-là le courage du roi éprouvé par quelques disgraces après une si longue et si surprenante tranquillité; de-là nos ennemis, tout près d'être accablés, soutenus contre l'attente de tout l'univers par une si puissante protection.

O peuples! ne nous plaignons plus d'un revers de peu de durée. Le venin contagieux et redoutable de la maladie ne travaille plus nos armées; la mort a cessé ses ravages; les tombeaux sont fermés ; de nouveaux défenseurs se rassemblent sous nos drapeaux. La mollesse avoit énervé dans le cours d'une longue paix le courage de la nation, les plaisirs l'avoient corrompue, la gloire l'avoit enivrée, et l'adversité pouvoit seule réveiller l'ancienne vertu. Regardez comme en un moment l'insolence de l'ennemi nous a fait par-tout des soldats! A peine il menace en son camp, l'humble laboureur prend les armes, le

peuple abandonne ses bourgs, une redoutable [ donc plus riches des biens de l'esprit : cela ne jeunesse marche fièrement sur le Rhin. O fleuve! peut guère nous être contesté sans injustice.

un carnage subit a vengé vos bords des rapines et des attentats du Croate. Ainsi puissent tous ces brigands, qui s'étoient promis nos dépouilles, trouver leur tombeau sous vos ondes! Et vous, prince, l'objet de ce discours, puissiezvous toujours triompher des complots de vos ennemis; puissiez-vous tourner à leur honte leur rage impuissante! Trop foible pour continuer l'éloge de vos vertus, je m'arrête à faire ces vœux pour la gloire, pour le bonheur et pour le repos de vos peuples 2.

RÉFLEXIONS

SUR

LE CARACTÈRE

DES DIFFÉRENTS SIÈCLES ».

Nous avons hérité des connoissances et des inventions de tous les siècles; nous sommes

Action de Chalampé.

> VARIANTE. O peuples! cessons de nous plaindre d'un revers de peu de durée. Le Dieu des armées, satisfait, a déja détourné de nous le nuage de sa colère : une fièvre aiguë et mortelle ne ravage plus nos légions; la santé renaît dans nos camps.

Notre inexorable ennemi avoit établi sur nos pertes un espoir rempli d'arrogance, et suivoit d'un œil homicide les traces ef

frayantes que la mort laissoit parmi nous; son ressentiment l'aveugloit. Louis, offensé dans son trône, a frappé la terre du sceptre, et soudain du fond des hameaux, séjour humble du labonreur, un peuple intrépide a marché. Le berger s'est armé de fer,

le pauvre a quitté sa moisson, et le père et le fils, et le frère et

redoutable! vaillante milice! jurons sur ce bord, fatal aux bri

Mais nous-mêmes aurions tort peut-être de confondre cette richesse héritée et empruntée avec le génie qui la donne. Combien de réflexions acquises sont stériles pour nous! Étrangères dans notre esprit, où elles n'ont pas pris naissance, il arrive souvent qu'elles confondent notre jugement beaucoup plus qu'elles ne l'éclairent. Nous plions sous le poids de tant de connoissances différentes, comme ces États qui succombent par trop de conquêtes, et où l'opulence introduit de nouveaux vices et de plus terribles désordres car très peu de gens sont capables de faire un bon usage de l'esprit d'autrui; et quelles que soient les lumières de ce siècle, quelles lumières même qu'on acquière encore, je suis vivement persuadé que le plus grand nombre des esprits sera toujours peuple, comme l'est, dans les plus puissantes monarchies, la meilleure partie des hommes.

:

A la vérité on ne croira plus aux sorciers et au sabbat dans un siècle tel que le nôtre; mais on croira encore à Calvin et à Luther. On parlera de beaucoup de choses comme si elles avoient des principes évidents, et on disputera en même temps de toutes choses, comme si toutes étoient incertaines. On blâmera un homme de ses vices, et on ne saura point s'il y a des vices. On dira d'un poëte qu'il est sublime, parcequ'il aura peint un grand personnage; et ces sentiments héroïques qui font la grandeur du l'époux ont volé sur le bord du fleuve, le rempart de leurs tableau, on les méprisera dans l'original. L'effet champs féconds. O terre martiale! ô cabanes! ô peuple vraiment des opinions multipliées au-delà des forces de de l'esprit, est de produire des contradictions et d'ébranler la certitude des meilleurs principes. Les objets présentés sous trop de faces ne peuvent se ranger, ni se développer, ni se peindre distinctement dans l'imagination des hommes. Incapables de concilier toutes leurs idées, ils prennent les divers côtés d'une même chose pour des contradictions de sa nature. Plusieurs ne veulent pas prendre la peine de comparer les opinions des philosophes. Ils n'examinent point si, dans l'opposition de leurs principes, quelqu'un d'eux a fait pencher la balance de son côté; il suffit qu'on ait contesté tous les principes, pour qu'ils les croient également problématiques de-là le pyrrhonisme qui

gands qui s'étoient promis nos dépouilles, de venger la mort nos frères ! promettons..... O manes puissants! entendez ce serment terrible : nous jurons de tremper nos mains dans le sang

de vos ennemis. Soufflez dans nos cœurs votre audace et votre

courage intrépide, combattez cachés dans nos rangs; si quel qu'un de nous vous trahit, qu'une mort soudaine l'accable. Et vous dont la cendre repose sous les marbres de St-Denis, fortu

nés guerriers que la gloire suit dans les horreurs du tombeau : hélas ! vous dormez dans la nuit de vos solitaires asiles; un rayon de votre génie confondoit tous nos ennemis. Secondez du sein de la mort l'héritier sacré de vos maîtres, veillez dans la nuit sur

ses camps; faites-y veiller la sagesse avec la valeur éclairée, et

portez le sommeil, la terreur, l'imprudence, dans les tentes de l'ennemi. Que tout tombe, que tout fléchisse au seul bruit du

nom de Louis! Qu'il puisse redonner la loi et la paix à la terre

entière: Trop foible pour continuer cet éloge de sa vertu, je forme ces vœux pour sa gloire.

› Cet ouvrage, déja refait deux fois par l'auteur, s'est retrouvé

dans les manuscrits avec des variantes remarquables : c'est pour cette raison que nous le donnons encore icl. B.

replonge le genre humain dans l'ignorance, parcequ'il sape, par le fondement, toutes les scien

ces.

égale en sublimité cette inspiration du génie?

Qu'on ait donc adopté de grandes fables dans des siècles pleins d'ignorance; que ce qu'un génie audacieux faisoit imaginer aux ames fortes, l'intérêt, le temps et la crainte l'aient enfin persuadé aux autres hommes; qu'ils aient cru l'impossibilité des antipodes ou telle autre opinion que l'on reçoit sans examen et qu'on n'a pas même les moyens d'examiner, cela ne m'étonne en aucune manière. Mais que tous les jours, sur les choses qui nous sont les plus familières et que nous avons le plus examinées,

manières; que nous ne puissions même avoir une heure de conversation sans nous tromper ou nous contredire: voilà à quoi je reconnois la petitesse de l'esprit humain.

Je cherche quelquefois parmi le peuple l'image de ces mœurs sans politesse qui nous surprennent aussi beaucoup dans les Anciens. J'écoute ces hommes grossiers; je vois qu'ils s'entretiennent de choses communes, qu'ils n'ont point de principes réfléchis, que leur esprit est véritablement barbare comme celui des premiers hommes, c'est-à-dire tout-à-fait inculte. Mais je ne trouve pas que leur grossièreté leur fasse faire de plus faux raisonnements qu'aux gens du monde; je vois au contraire que leurs pensées sont plus naturelles, et qu'il s'en faut de beaucoup que les simplicités de l'ignorance soient aussi éloignées de la vérité que les subtilités de la science et l'imposture de l'affectation.

Je ne cite pas nos erreurs pour diminuer les véritables avantages de notre siècle; je voudrois seulement qu'elles nous inspirassent un peu d'indulgence pour les siècles qui nous précèdent. Qu'avons-nous à leur reprocher? l'extravagance de leur religion? Mettons-nous un moment à leur place. Aurions-nous deviné la nôtre? n'a-t-il pas fallu qu'elle nous fùt révélée? notre esprit étoit-il capable de produire une religion si divine? Nous ne les blàmons pas, répondons-nous prenions cependant le change de tant de nous, de n'avoir pas connu la vraie religion, mais d'en avoir suivi de fausses et de ridicules. Ce reproche est encore injuste. Les hommes sont nés pour croire des dieux, pour attendre ce qu'ils souhaitent, pour craindre ce qu'ils ne connoissent pas, pour soutenir la puissante main qui tient tout l'univers en servitude. Leur esprit curieux et craintif sondoit à tâtons dans la nuit le secret redouté de la nature. Il n'avoit pas plu au vrai Dieu de se manifester encore à tous les peuples. Représentons-nous leur état. Supposons qu'on nous eût appris dans notre enfance que Mercure étoit un dieu voleur; que c'étoit un mystère inconcevable, parcequ'il n'appartenoit pas aux hommes de juger des choses surnaturelles, ni mème de beaucoup de choses naturelles ; qu'on nous eût assuré que cette doctrine avoit été confirmée par des prodiges, et que nous risquions de tout perdre si nous refusions de la croire quel parti aurions-nous pu prendre? Aurions-nous résisté à l'autorité Ainsi jugeant des mœurs anciennes par ce de tout un peuple, à celle du gouvernement, que je vois des mœurs du peuple qui me repréau témoignage successif de plusieurs siècles et sente les premiers temps, je crois que je me à l'instruction de nos pères? Pour moi, je l'a- serois fort accommodé de vivre à Thèbes, à voue à ma honte, l'expérience de ma propre Memphis et à Babylone. Je me serois passé de foiblesse m'auroit déterminé à me soumettre à nos manufactures, de la poudre à canon, de la l'erreur d'autrui. J'aurois cru des dieux ridi-boussole et de nos autres inventions modernes, cules plutôt que de ne croire point de dieu. La vérité ne peut-elle nous parler quelquefois par l'imagination ou par le cœur autant que par la raison? Auquel faut-il plus se fier, de l'esprit ou du sentiment? quel nous a donné plus d'erreurs ou plus découvert de lumières? Le premier qui s'est fait des dieux avoit l'imagination plus grande et plus hardie que ceux qui les ont rejetés! Quelle est l'invention de l'esprit qui

ainsi que de notre philosophie. Je ne pense pas que ces peuples, privés d'une partie de nos arts et des superfluités de notre commerce, aient été par-là plus à plaindre. Xénophon n'a jamais joui de nos délicatesses, et il ne m'en paroît ni moins heureux, ni moins honnête homme, ni moins grand homme. Que dirai-je encore? J'estime, je révère comme je dois le bonheur d'être né chrétien et catholique; mais

s'il me falloit être quaker ou monothélite, j'ai- | tien du jargon et des épigrammes du reste des merois presque autant le culte des Chinois ou celui des anciens Romains.

hommes. Comment se fait-il que l'on perde le goût de la simplicité jusqu'à ne pas s'apercevoir qu'on l'a perdu? Il n'y a ni vertus, ni plaisirs qui n'empruntent d'elle des charmes et leurs graces les plus touchantes. Est-il rien de grand ou d'aimable quand on s'en écarte? Du moment qu'on la méconnoît, la grandeur n'est-elle pas

Si la barbarie consistoit uniquement dans l'ignorance, certainement les nations les plus polies de l'antiquité seroient extrêmement barbares vis-à-vis de nous. Mais si la corruption de l'art, si l'abus des règles, si les conséquences mal tirées des bons principes, si les fausses ap-fausse, l'esprit méprisable, la raison trompeuse, plications, si l'incertitude des opinions, si l'af- et tous les défauts plus hideux? fectation, si la vanité, si les mœurs frivoles ne méritent pas moins ce nom que l'ignorance, qu'est-ce alors que la politesse dont nous nous vantons?

Ce n'est pas la pure nature qui est barbare, c'est tout ce qui s'éloigne trop de la belle nature et de la raison. Les cabanes des premiers hommes ne prouvent pas qu'ils manquassent de goût; elles témoignent seulement qu'ils manquoient des règles de l'architecture. Mais quand on eut connu ces belles règles, et qu'au lieu de les suivre exactement on voulut enchérir sur leur noblesse, charger d'ornements superflus les bâtiments, et à force d'art faire disparoître la simplicité; alors ce fut, à mon sens, une véritable barbarie et la preuve du mauvais goût. Suivant ces principes, les dieux et les héros d'Homère, peints naïvement par le poëte d'après les hommes de son siècle, ne font pas que l'Iliade soit un poëme barbare, car elle est un tableau très passionné, sinon de la belle nature, du moins de la nature. Mais un ouvrage véritablement barbare, c'est un poëme où l'on n'aperçoit que de l'art, où le vrai ne règne jamais dans les expressions et les images, où les sentiments sont guindés, où les ornements sont inutiles et hors de leur place.

Fatigué quelquefois de l'artifice qui domine aujourd'hui dans tous les genres, rebuté de traits, de saillies, de plaisanteries et de tout cet esprit que l'on veut mettre dans les moindres choses, je dis en moi-même, si je pouvois trouver un homme qui n'eût point d'esprit, et avec lequel il n'en fallût point avoir, un homme ingénu et modeste, qui parlât seulement pour se faire entendre et pour exprimer les sentiments de son cœur, un homme qui n'eût que de la raison et un peu de naturel, avec quelle ardeur je courrois me délasser dans son entre

Mais, me dira-t-on, croyez-vous que les temps les plus reculés aient été tout-à-fait exempts d'affectation? Non; je suis bien loin de le croire. Les hommes ont aimé l'art dans tous les temps; leur esprit s'est toujours flatté de perfectionner la nature : c'est la première prétention de la raison et la plus ancienne chimère de la vanité. J'avoue donc qu'il n'y a jamais eu de peuple et de siècle sans fard; je vais bien plus loin je prédis que tant que les hommes naîtront avec peu d'esprit et beaucoup d'envie d'en avoir, ils ne pourront jamais s'arrêter dans leur sphère, et dans les bornes trop étroites de leur naturel. Que vous dis-je donc? que le monde n'a jamais été aussi simple que nous le peignons, mais qu'il me paroît que ce siècle l'est encore beaucoup moins que tous les autres, parceque, étant plus riche des dons de l'esprit, il semble lui appartenir au même titre d'être plus vain et plus ambitieux.

Avouez du moins, poursuit-on, que la politesse a rendu nos moeurs moins féroces. Oui, en apparence, au-dehors; mais dans l'intérieur, point du tout. On l'a dit peut-être avant moi, mais on ne peut trop le redire. La politesse, qui adoucit l'esprit, endurcit presque toujours le cœur, parcequ'elle établit parmi les hommes le règne de l'art, qui affoiblit tous les sentiments de la nature. Aussi ne connois-je guère d'ancien peuple qui nous cède en humanité, ni même en aucune vertu qui dépende du sentiment. C'est de ce côté-là, je crois, qu'on peut bien dire qu'il est presque impossible aux hommes de s'élever au-dessus de l'instinct de la nature. Elle a fait nos ames aussi grandes qu'elles peuvent le devenir, et la hauteur qu'elles empruntent de la réflexion est ordinairement d'autant plus fausse qu'elle est plus guindée. Et parceque le goût tient essentiellement au

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