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La France devait, par toutes sortes de titres, avoir une académie des sciences; et déjà cette compagnie y naissait d'elle-. même, comme dans un terroir naturellement bien disposé. Aussi, après que la paix des Pyrénées eut été conclue, le roi jugea que son royaume, fortifié par les conquêtes qui venaient de lui être assurées, n'avait plus besoin que d'être embelli par les arts et par

les sciences, et il ordonna à Colbert de travailler à leur avance

ment.

Ce ministre, porté de lui-même à favoriser les lettres, et propre à concevoir de grands desseins, forma d'abord le projet d'une académie, composée de tout ce qu'il y aurait de gens les plus habiles en toutes sortes de littérature. Les savans en histoire, les grammairiens, les mathématiciens, les philosophes, les poëtes, les orateurs, devaient être également de ce grand corps, où se réunissaient et se conciliaient tous les talens les plus opposés. La bibliothèque du roi était destinée à être le rendez-vous commun. Ceux qui s'appliquaient à l'histoire, s'y devaient assembler les lundis et les jeudis ; ceux qui étaient dans les belles-lettres, les mardis et les vendredis; les mathématiciens et les physiciens, les mercredis et les samedis. Ainsi aucun jour de la semaine ne demeurait oisif; et, afin qu'il y eût quelque chose de commun qui liât ces différentes compagnies, on avait résolu d'en faire, tous les premiers jeudis du mois, une assemblée générale, où les secrétaires auraient rapporté les jugemens et les décisions de leurs assemblées particulières, et où chacun aurait pu demander l'éclaircissement de ses difficultés car sur quelle matière ces états-généraux de la littérature n'eussent-ils pas été prêts à répondre? Si cependant les difficultés eussent été trop considé rables pour être résolues sur-le-champ, on les eût données par écrit ; on y eût répondu de même, et toutes les décisions auraient été censées partir de l'académie entière.

Ce projet n'eut point d'exécution. D'abord on retrancha du corps de cette grande académie le membre qui appartenait à l'histoire. On n'eût pas pu s'empêcher de tomber dans des questions, où les faits deviennent trop importans et trop chatouilleux par la liaison inévitable qu'ils ont avec le droit.

pas

Ceux qui avaient les belles-lettres en partage, ne furent plus long-temps compris dans l'académie universelle. Comme ils étaient presque tous de l'académie française, établie par le cardinal de Richelieu, ils représentèrent à Colbert qu'il n'était point besoin de faire deux compagnies différentes qui n'auraient que le même objet, les mêmes occupations, et presque tous les mêmes membres ; et qu'il valait mieux faire refleurir-l'ancienne académie, en lui donnant l'attention et les marques de bonté

qu'il destinait à une compagnie nouvelle. Ce conseil fut suivi, et Colbert entreprit de rendre à l'académie française son premier éclat. Le roi fit l'honneur à cette compagnie de s'en déclarer protecteur : le ministre devint un de ses membres; et ce fut alors qu'elle prit une nouvelle naissance.

Il ne resta donc du débris de cette grande académie qu'on avait projetée, que les mathématiciens, au nombre de six ou sept; Carcavy, Huyghens, Roberval, Frenicle, Auzout, Picard et Buot. Ils s'assemblèrent dès-lors à la bibliothéque de Colbert, et commencèrent quelques exercices académiques, au mois de juin de l'année 1666.

Il sembla que le ciel voulût favoriser cette compagnie naissante de mathématiciens par deux éclipses, qui devaient arriver à quinze jours l'une de l'autre, ce qui est le temps le plus court où l'on en puisse voir deux; et l'on sait assez combien les éclipses sont précieuses aux astronomes par tous les usages qu'ils en tirent. De plus, la première, qui était lunaire, devait être horizontale, phénomène extraordinaire, où le soleil et la lune se voient en même temps sur l'horizon, quoique dans l'opposition où ils sont alors, l'un étant au-dessus de ce cercle, l'autre dût être réellement au-dessous. Aussi n'a-t-on encore observé jusqu'à présent que trois éclipses horizontales, non que ce phénomène soit rare, mais parce qu'il ne peut durer que très-peu de temps, et que les deux astres touchant à l'horizon, ils sont presque toujours enveloppés dans les nuages ou dans les vapeurs. Ce qui fait que ce phénomène dure si peu, c'est qu'il est l'effet d'une réfraction, qui élève sur le bord de l'horizon l'image de la lune, dont réellement le corps est encore au-dessous. Aussitôt après, le corps de la lune monte lui-même et prend la place de son image, et, pendant ce peu de temps, le soleil tombe nécessairement sous l'horizon.

fut

Cette éclipse de lune, qui devait arriver le 16 juin 1666, dérobée par les nuages aux mathématiciens qui l'attendaient avec tous les préparatifs nécessaires. On n'en a eu qu'une seule relation un peu exacte, par les mathématiciens que le prince Léopold de Florence avait envoyés dans la petite île de Gorgone. Ceux qui étaient allés aussi par son ordre en deux autres endroits, ne la purent voir; ce qui marque combien il est important de poster des observateurs en différens lieux, afin que ce qui échappe aux uns n'échappe pas aux autres.

L'autre éclipse, qui était de soleil, et qui arriva le 2 juillet, fut heureusement observée chez Colbert, par les mathématiciens `que nous avons nommés. Elle commença à 5 heures 43′ 20′′ du matin, et finit à 7 heures 42' 20"; elle fut, dans son milieu,

de 7 doigts 56', et l'on remarqua que le temps qu'on appelle d'incidence ou d'immersion, qui est depuis le commencement de l'éclipse, jusqu'à ce point du milieu où elle est la plus grande, fut de quelques minutes plus court que le temps de l'émersion, par où l'on s'aperçut que l'on ne prenait pas assez exactement le milieu d'une éclipse, en coupant par la moitié le temps de sa durée entière.

Ceux qui, dans ce même temps, prenaient la hauteur du soleil dans le jardin de la bibliothèque du roi, trouvèrent, vers le milieu de l'éclipse, que l'air était plus froid; et, ce qui ne peut être sujet à erreur, c'est que les miroirs ardens avaient, en ce temps-là, beaucoup moins de force qu'au commencement et à la fin de l'éclipse. Ils brûlaient encore le bois, mais sans flamme, et ils ne pouvaient brûler le papier blanc : c'était la même chose que si la moitié du miroir eût été couverte, et qu'il n'eût reçu que la moitié des rayons qu'il peut recevoir; car un peu plus de la moitié du disque du soleil était cachée par celui de la lune. Cependant les yeux ne s'apercevaient pas beaucoup de l'affaiblissement de la lumière, et ceux qui n'étaient pas avertis de l'éclipse, pouvaient bien ne se pas douter qu'il y en eût une. Le petit froid que l'on sentit, répond à la diminution de clarté qui pouvait devenir sensible en y faisant attention; mais tout cela prouve bien que les sens sont fort éloignés d'aller jusqu'aux fines différences, puisqu'il leur en échappe même d'assez grossières.

Dans tout le temps de l'éclipse, le disque de la lune, interposé entre le soleil et la terre, parut, avec le télescope, également noir en toutes ses parties, d'où l'on jugea que la lune n'était point enveloppée d'une atmosphère, parce que, dans la situation où elle est, lorsqu'elle cache le soleil à nos yeux, cette atmosphère serait traversée de quelques rayons du soleil, qui la feraient paraître comme une bordure moins noire que le reste du disque de la lune.

Le diamètre de la lune parut un peu plus petit que celui du soleil, ou tout au plus il parut lui être égal; et l'on remarqua l'erreur des tables de Képler et des autres, qui faisaient le diamètre du soleil plus petit, et celui de la lune plus grand qu'ils n'étaient effectivement.

On commençait alors à connaître mieux que jamais de quelle importance il était d'avoir, dans la dernière précision, les diamètres apparens des planètes dans toutes les différentes élévations où elles se peuvent trouver, soit par les mouvemens annuels, soit par les diurnes. De là dépend toute la justesse du calcul des éclipses solaires et lunaires; car on ne peut juger ni de la quantité de doigts qu'elles occuperont, ni du temps qu'elles durer

ront, que par la grandeur que l'on suppose aux diamètres apparens du soleil et de la lune à l'égard l'un de l'autre, et quelque peu qu'on s'y méprenne, l'erreur tire fort à conséquence.

Pour mesurer donc les diamètres apparens avec une exactitude inconnue à toute l'ancienne astronomie, Huyghens avait eu la première idée d'une machine très-ingénieuse que tout le monde connaît présentement. C'est ce petit treillis, divisé en un certain nombre de carrés égaux, que forment des fils de soie ou de mé→ tal très-déliés. On le place dans le foyer du verre objectif; et là, les petits carrés sont vus très-distinctement. On sait d'ailleurs, et même assez facilement, à quelle quantité d'un degré céleste répond le côté de chacun de ces carrés, et, par conséquent, on sait la grandeur apparente d'un objet compris dans un ou plusieurs de ces intervalles. Mais il y avait un inconvénient considérable; l'objet n'était pas toujours compris juste dans un ou dans plusieurs carrés, et le plus ou le moins ne s'estimait qu'à peu près. Auzout et Picard réparèrent parfaitement ce défaut par le moyen de deux fils qu'ils rendirent mobiles. Picard rendit. encore le tout plus parfait par une règle d'un pied, divisée en quatre cents parties avec le secours du microscope, et qui faisait connaître ce que valaient les distances insensibles des deux fils. Nous ne ferons pas une description plus exacte de cette machine, parce qu'elle est dans le recueil de quelques ouvrages. d'académiciens, que de la Hire a fait imprimer en 1693; elle y est nommée micromètre.

On s'appliqua à profiter de cette nouvelle invention; et, pendant toute la lunaison qui suivit cette éclipse du 2 juillet, on s'attacha à la mesure des différens diamètres apparens de la lune. On fut étonné de voir tomber aussitôt les hypothèses que les nouveaux astronomes mêmes avaient faites sur cette planète, et l'on s'assura que pour être si proche de nous, et pour appartenir en quelque façon à notre terre, elle ne nous en était pas mieux connue.

Outre la nouvelle justesse que produisit l'invention du micromètre, on avait égard aux réfractions dont jusque-là on ne s'était pas trop mis en peine; l'astronomie devenait de jour en jour plus scrupuleuse et plus circonspecte.

Picard conjectura que les réfractions devaient être plus grandes en hiver qu'en été, parce que, mesurant le diamètre, ou dų soleil, ou de la lune, à la même hauteur horizontale, il trouvait en hiver le diamètre vertical plus petit. Il faut supposer que les réfractions, en même temps qu'elles haussent ces astres sur l'horizon, accourcissent leurs diamètres verticaux, parce que, comme leur plus grande force est à l'horizon, et que de là elles

vont toujours en diminuant, elles élèvent plus la moitié inférieure du diamètre vertical du soleil ou de la lune, qu'elles ne font la moitié supérieure; et, par conséquent, c'est la même chose que si une partie de la moitié inférieure du diamètre se cachait derrière la supérieure, ce qui diminuerait nécessairement la grandeur apparente de ce diamètre ; et plus les réfractions sont grandes, plus cet effet est sensible.

Vers la fin de la même année, Auzout écrivit sur toute cette matière des diamètres apparens, à Oldembourg, secrétaire de la société royale d'Angleterre. Il lui rendait compte de tout ce qu'ils avaient fait, Picard et lui, pour parvenir au point de précision où ils en étaient; il lui apprenait qu'ils savaient diviser un pied en trois mille parties, avec tant de sûreté, qu'à peine se pouvaient-ils tromper d'une seule ; que par-là ils mesuraient les diamètres du soleil et de la lune jusqu'aux secondes, et que tout au plus ils se tromperaient de trois ou quatre. Il ajoutait que par ce moyen ils avaient trouvé que le diamètre du soleil, dans son apogée, n'avait guère été plus petit que 31' 37", ni dans son périgée, plus grand que 32′ 45′′; que de même celui de la lune n'avait encore guère passé 33', et n'avait pas eu moins de 29′ 40′′ ou 35". Il apportait la raison pour laquelle, à l'éclipse du 2: juillet, Hévélius avait trouvé le diamètre de la lune plus grand: de 8 ou 9" à la fin qu'au commencement; c'est que, comme elle arriva le matin, la lune était à la fin plus élevée sur l'horizon; et plus les astres s'élèvent vers le méridien, plus leurs diamètres apparens augmentent, quoique les yeux jugent tout le contraire. Si l'éclipse était arrivée le soir, il est clair que le diamètre de la lune eût été plus petit à la fin, parce qu'elle eût été plus basse. Cela vient de ce que les astres sont plus près de l'observateur au méridien qu'à l'horizon, de près d'un demi-diamètre de la terre; et cette différence est quelque chose, principalement par rapport à la petite distance de la lune, qui n'est que de 50 demi-diamères terrestres environ.

C'est ainsi que l'académie qui se formait à Paris, entrait déjà en commerce de découvertes avec les académies étrangères. Rien ne peut être plus utile que cette communication, non-seulement parce que les esprits ont besoin de s'enrichir des vues les uns des autres, mais encore parce que différens pays ont différentes commodités et différens avantages pour les sciences. La nature se montre diversement aux divers habitans du monde; elle fournit aux uns des sujets de réflexion qui manquent aux autres ; elle se déclare quelquefois plus ou moins, selon les lieux; et enfin, pour la découvrir, il n'y a point trop de tout ce qui peut nous

être connu.

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