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Les individus que M. Doucet a rapportés et dont plusieurs, nous a-t-il dit, ont fleuri à bord du navire pendant une relâche au Chili et ont produit des capsules allongées qui contenaient un grand nombre de graines noires et luisantes, ont tous été plantés à son arrivée dans quelques jardins de nos environs. La plupart, malheureusement, ont fini par y périr, et nous le regrettons d'autant plus que, d'après M. Doucet, ces individus devaient appartenir à des espèces différentes. Mais quelques-uns ont persisté, et grâce aux soins de M. Drouet, membre de la Société d'horticulture de notre ville, celui qui lui a été donné vient enfin de nous montrer ses fleurs.

Des caractères spécifiques fort tranchés distinguent ce Phormium de tous ceux connus jusqu'à ce jour.

Sa touffe, autant qu'il nous est possible d'en juger d'après un seul individu, est beaucoup moins forte que celle des Phormium à fleurs jaunes cultivés en France depuis environ quarante ans.

Ses feuilles, pliées en deux à leur base et jusqu'au tiers de leur longueur, fortement carénées dans cette partie, planes dans le reste de leur étendue, ensiformes, en un mot, et semblables à celles des glaïeuls et des iris, sont roides, aiguës, très-entières, glabres, striées, vertes endessus, d'un vert un peu plus pâle en-dessous et bordées de rouge. Comparées à celles de l'ancien Phormium à fleurs jaunes dont la végétation est si vigoureuse non-seulement autour de nous, mais encore dans toutes les parties de la France où il a été introduit, elles sont plus étroites, plus finement striées, plus roides, de consistance plus filamenteuse et plus sèche, moins blanches ou d'un vert plus pâle, et ont, pour ainsi dire, un air souffrant.

La hampe, haute de 1,20, dressée, légèrement anguleuse ou comprimée, d'un vert glauque pâle, simple inférieurement, rameuse dans sa partie supérieure, est un peu ridée.

Ses rameaux (onze) de même couleur qu'elle, assez

espacés, alternes-distiques, d'abord appliqués contre l'axe, finissent par former avec lui un angle très-ouvert.

Une spathe membraneuse, lancéolée, pointue, sagittée, repliée sur elle-même, striée, d'un vert jaunâtre, caduque, enveloppe chacun d'eux dans sa jeunesse.

Les fleurs, nombreuses, fasciculées, sont portées par des pédicelles articulés, ridés, d'un brun très-foncé et munis à leur base de bractées petites et membraneuses.

Le périgone, tubuleux, long de trois centimètres, légèrement arqué, à tube rempli pendant l'anthèse d'un liquide sucré et un peu visqueux, est à six divisions, dont trois sont extérieures et trois intérieures. Les premières, d'un beau rouge foncé en-dehors, verdâtres en-dedans, aiguës, à dos obtusément caréné et légèrement rugueux, coriaces, changent peu de couleur avec l'âge et persistent jusqu'à la maturité du fruit. Les autres, d'abord d'un vert gai, légèrement striées de rougeâtre, un peu plus longues, moins aiguës, moins coriaces, brunissent et se dessèchent après l'anthèse.

Les étamines, à filamens d'un beau rouge cocciné, sont inégales. Trois sont plus longues que les trois autres. Les anthères, sagittées, pointues, rouges, à pollen orangé, dépassent le périgone.

Le style, de même longueur à peu près que les longues étamines, de même couleur que les filamens, légèrement arqué, à base un peu renflée, se termine par un stigmate simple.

L'ovaire, allongé, obtusément trigône, tordu quelquefois dans sa longueur et d'un vert jaunâtre, est supère et à trois loges.

La capsule, longue de 8-10 centimètres (style compris), presque cylindrique, d'un brun très-foncé, tordue trèssouvent sur elle-même, loculicide ou à valves septifères sur leur milieu, a ses loges polyspermes.

Les graines, très-nombreuses, ascendantes, comprimées, planes, munies d'un rebord membraneux, oblongues,

larges de 4-6 millim., longues de 8-10, sont du noir le plus brillant.

Les premières fleurs de cet individu, qui a été planté dans un terrain aride, au pied d'un mur et à l'exposition du midi, se sont épanouies le 15 mai. Sa floraison s'est prolongée jusqu'au 15 juin. A cette époque les capsules peu développées jusque là ont pris tout-à-coup un accroissement considérable.

Le Phormium tenax dont un individu cultivé au Jardindes-plantes de Paris où il a fleuri en même temps que le nôtre, mais qui, cultivé en pot, n'a émis très-probablement pour cette raison qu'une hampe grêle et une douzaine de fleurs, le Phormium tenax a des caractères trèsdifférens.

Ses fleurs, à divisions externes d'un jaune orangé, et à divisions internes d'un jaune pâle, ne sont pas seulement, comme on voit, d'une autre couleur, elles sont aussi plus grandes, leur style est jaune et non rouge et leur ovaire a une teinte acajou. Cet ovaire n'est pas non plus, comme celui de notre plante, presque cylindrique, ou mieux, légèrement trigône ou à angles très- obtus; sa forme, du moins d'après les analyses que nous en a communiquées M. Decaisne, est plus anguleuse. Elles le montrent décidément trigône, à angles aigus et creusé de trois sillons longitudinaux, un au milieu de chacune de ses faces, ce qui lui donne une apparence trilobée.

Le diagramme des fleurs de ces deux plantes présente aussi des différences marquées. L'oestivation des segmens extérieurs, presque valvaire chez la nôtre est tout-à-fait imbricative dans celle du Muséum; les segmens externes concaves arrondis s'y recouvrent fortement par leurs bords.

Le Phormium à fleurs rouges et vertes qui vient de fleurir à Cherbourg constitue donc une véritable espèce facile à distinguer du P. tenax. Il ne paraît pas néanmoins qu'elle ait été décrite; aucune phrase spécifique, aucune

description ne lui convient, du moins complètement. Les botanistes d'ailleurs n'admettent tous qu'une seule espèce de Phormium.

Cependant Cook en avait distingué deux. « On trouve, << dit-il, dans la Nouvelle-Zélande une plante dont les ha<«< bitans se servent en place de chanvre et de lin et qui << surpasse toutes celles qu'on emploie aux mêmes usages << dans les autres pays. Il y en a deux espèces. Leurs feuilles « ressemblent à celles des glaïeuls.... Dans l'une les fleurs « sont jaunes, dans l'autre elles sont d'un rouge foncé (1). »

Une figure de ce lin de la Nouvelle-Zélande, qui aurait été mieux placée dans le premier voyage de Cook, a été insérée dans son second voyage. Mais elle y est sans explication (2). On n'y renvoie non plus à aucun texte. Le passage en regard duquel elle se trouve ne contient même que le mot lin. On ne saurait done dire à laquelle des deux espèces de Cook elle se rapporte. Nous croyons cependant qu'on a voulu représenter celle à fleurs rouges et vertes, tant parce qu'elle en rappelle assez bien l'inflorescence, que parce que ce Phormium est le plus commun dans la partie méridionale de l'île, où Cook, pendant son second voyage, a séjourné long-temps.

Il est encore question de ce lin d'après les notes d'Anderson, dans le troisième voyage de Cook, mais Anderson n'y parle que d'une seule espèce et lui donne des fleurs jaunâtres (3).

Cependant Forster en connaissait une à fleurs rouges, puisqu'on voit un Phormium à fleurs de cette couleur dans ses dessins originaux conservés au Muséum de Londres. Ne l'aurait-il considéré que comme une variété de celui à fleurs jaunes? Aurait-il rédigé sa description d'après ces

(1) Cook, premier voyage. Tom. III, p. 258 (traduction franaise).

(2) Id. deuxième voyage. Tom. 1, p. 207, pl. 8. (3) Id. troisième voyage, Tom. I, p. 189.

deux plantes? Y aurait-il là une troisième espèce intermédiaire entre elles? Ce qu'il y a de certain, c'est que sa description, que M. A. Richard a copiée sur ses manuscrits, ne convient entièrement ni à celle à fleurs jaunes ni à celle dont nous nous occupons. Ce qui regarde l'inflorescence, la couleur des pédoncules, la forme de l'ovaire et la couleur du style, le pistil, en un mot, s'accorde sans doute avec notre plante à fleurs rouges et vertes, mais le reste ou ce qu'il dit du rapport des spathes avec les entrenœuds, de la couleur de la hampe et de celle des fleurs, ne lui convient point. et s'applique très-bien au contraire à la plante du Muséum dont nous avons parlé (1). Le Phormium tenax de Forster est donc, comme on le voit, une espèce fort embrouillée, incertaine, très-douteuse. Ce qu'on trouve dans les auteurs depuis Cook, sur le lin de la Nouvelle-Zélande, se réduit presque à rien.

Thouin, en 1803, a dit qu'il existait une variété du P. tenax à feuilles pétiolées de quatre à cinq centimètres et non sessiles comme dans le type où elles seraient, d'après lui, engaînées les unes dans les autres à la manière de celles des iris (2); mais Thouin, bien certainement, s'est trompé. Toutes les feuilles de tous les individus de cette plante pliées et soudées plus ou moins longuement à leur base sont plus ou moins pétiolées. Seulement ce pétiole est un plus prononcé dans notre plante à fleurs rouges et vertes que chez celle à fleurs jaunes.

Roemer et Schultes (1829) admettent aussi, et probablement d'après Thouin, une variété à feuilles pétiolées.

(1) Scapus niger.... Pedunculi partiales nigri.... Spathæ pedales, seu internodiis scapi duplò longiores. Flores ochraceolutei, sesquipollicares... Germen obtusè triquetrum... Stylus ruber... A. Richard, Essai d'une Flore de la Nouvelle-Zélande, Voyage de l'Astrolabe, Botanique, pag. 153 (1832).

(2) Observations sur un envoi de plantes vivantes et sur la naturalisation du lin de la Nouvelle-Zélande qui en faisait partie. Annales du Muséum, t. 2, p. 228.

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