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Voyage dans le Brésil méridional.

Les anciennes missions des Jé

suites, traduit de l'allemand. Fragment d'un long récit de voyage, dû à la plume d'un médecin, le docteur Avé-Lallemant.

Les sept missions en ruine, situées sur la rive gauche de l'Uruguay, appartiennent au Brésil. Une seule a conservé de l'importance. Les autres se composent de quelques rares individus à demi sauvages. « Les jésuites, dit le docteur Avé-Lallemant, forcèrent autrefois les Indiens à se réunir, et firent des chrétiens de ces hommes qui n'avaient de sens que pour l'existence provisoire des forêts et des campos. Le christianisme ne leur a point apporté de joie dans la vie, mais il leur a donné la consolation dans la mort, et cette résignation avec laquelle ils supportent le dépérissement de leur race. »

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Dans la livraison du 1er décembre de la Revue européenne se trouve la continuation d'un roman inspiré par d'honnêtes sentiments, mais conçu dans de trop longues proportions, la Jambe de bois, par M. Emile Serret. Sous ce titre, Dick Moon, M. Francis Wey fait passer en revue par un Anglais les petits côtés de notre société française: aperçus peu étendus, lieux communs déjà redits cent fois, critique incolore qui manque totalement d'humour.- La Chine et les Chinois, de M. Emile Chasles, et surtout les Études sur la Syrie, de M. Blanche, vice-consul à Tripoli, offrent un sérieux intérêt d'actualité. Quant à la pièce de vers signée de M. H. Murger, elle étonnera tous ceux qui aiment et apprécient ce charmant esprit. L'article le plus remarquable de cette livraison est de M. Caro: la Critique de l'idée de Dieu, dans la philosophie contemporaine. M. Caro cherche comment l'école critique, et M. Renan en tête, ont traité les grands problèmes de la théodicée : l'influence de M. Renan provient du charme presque mystérieux répandu sur toutes ses idées par le prestige d'un style à la fois très-délicat et très-vague, et de la grandeur des problèmes où sa pensée se complait, moins pour les résoudre que pour les agiter. Selon M. Renan, Dieu est le produit de la conscience, non de la science et de la métaphysique. Ce n'est pas la raison, c'est le sentiment qui détermine Dieu. On ne peut le qualifier; il est. Le devoir reste comme unique point d'appui de la conscience humaine; mais à quoi bon, dit M. Caro, la lutte et les fatigues, si nous ne travaillons pas pour le certain, pour l'absolu? — La philosophie critique tend à décourager l'homme M. Renan, ce charmeur d'âmes, représente la double et contradictoire tendance de notre temps, le doute et le mysticisme, l'élan lyrique qui espère et qui rêve, l'analyse critique qui dépeuple le ciel.

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La Revue contemporaine étudie M. Troplong comme écrivain et comme homme d'État. L'auteur anonyme de ce travail, qui a une valeur littéraire appréciable, est probablement dans une situation qui le rapproche du président Troplong soit par des études semblables, soit par des liens d'affection. Il loue avec raison ses œuvres, il en apprécie bien la valeur, l'originalité du style, la profondeur des recherches. Mais il règne dans tout l'article un luxe d'encens que le bon goût de M. Troplong lui-même doit trouver excessif.

De telles appréciations ne peuvent jamais être justes quand elles concernent un contemporain si haut placé, et l'éloge ainsi isolé de toute critique devient trop proche parent de la flatterie.

M. Clavaux dans un article sur les ouvrages de M. de Sacy, a évité finement cet écueil. L'auteur a su rester critique impartial et appréciateur très-juste et très-bienveillant : il a bien résumé l'œuvre quotidienne du journaliste et bien apprécié le caractère de l'écrivain.

La même livraison de la Revue contemporaine contient une étude sur l'Italie au cinquième siècle, par M. F. Beslay, analyse exacte des derniers travaux de M. Amédée Thierry, et des considérations un peu obscures de M. R. Raczynski sur l'Allemagne et les nationalités : l'auteur indique la situation présente de la Pologne et de la Hongrie, et considère les théories germaniques qui cherchaient l'union éclectique de l'égoïsme et de la raison comme destinées à faire prochainement place à la grande puissance révolutionnaire.

Enfin la Revue contemporaine se termine par un long article de son directeur M. Alph. de Calonne, sur la Protection donnée aux arts. L'auteur voudrait qu'on n'encourageât que les grands artistes; il désapprouve les commandes trop nombreuses faites aux peintres médiocres, aux sculpteurs débutants. Nous croyons que les hommes d'un talent exceptionnel, bien rares d'ailleurs, ont beaucoup moins besoin de protection que les travailleurs modestes, qui sont en définitive, non pas les guides du goût, mais les vulgarisateurs de l'art. Néanmoins M. de Calonne a raison de considérer les questions d'art à un point de vue pratique; les artistes ne vivent pas d'esthétique et ont besoin de voir plus souvent discuter les questions qui les intéressent.

L'Artiste continue avec succès à publier des lithographies, des gravures qui sont de véritables objets d'art, et des articles qui sont de véritables tableaux signés Th. Gautier, Arsène Houssaye, Paul de SaintVictor. C'est le journal officiel de l'art mondain, gracieux, aimable. Sa livraison du 15 décembre passe en revue les dernières peintures de M. Matout à l'hôpital Lariboisière, le livre de M. Maurice Sand,

Masques et bouffons, et, dans un article d'une science facile et piquante, l'ensemble des traditions classiques sur les figures des dieux.

La Gazette des Beaux-Arts, excellente et luxueuse publication à laquelle M. Ch. Blanc imprime une direction élevée, continue une série d'articles de M. François Lenormant sur la Minerve du Parthenon. M. F. Lenormant, fidèle aux traditions paternelles, a fait des recherches très-curieuses sur la fameuse statue de Phidias qui faisait la gloire d'Athènes et était en quelque sorte l'archetype de l'art grec; à l'aide de documents nouveaux, en comparant la plupart des Minerves enfouies dans les musées de l'Europe et en les reproduisant par la gravure, il est arrivé à reconstituer avec une certitude presque absolue la merveille antique. Le même numéro contient des notes envoyées d'Athènes par M. Ch. Blanc, et qui peignent la Grèce comme M. Gautier a peint l'Italie; quelques renseignements précieux recueillis par M. Champfleury, sur les Frères Lenain, ces peintres mystérieux et énigmatiques, et un premier article de M. Paul Mantz sur les Collections d'amateurs, article un peu insuffisant à nos yeux.

Il nous reste à parler de la dernière livraison des Entretiens de M. de Lamartine. L'illustre écrivain se montre toujours plus admirable dans ses improvisations littéraires, toujours plus fort dans sa lutte contre la gêne, cette triste inspiratrice de ses derniers travaux. Il passe en revue les amitiés qui l'ont entouré, les esprits d'élite qui sont venus le saluer; il raconte comment Listz lui amena M. Laprade, ce poëte trop peu admiré qui a la transparence sereine, profonde, étoilée de Platon. Les soucis, res angusta domi, ont laissé à M. de Lamartine son éternelle bienveillance. Il parle de Laprade avec un sens exquis; il l'aime parce que

Il a pour les forêts des amours fraternelles.

Mais dans cette bienveillance, si rare chez un homme de génie, M. de Lamartine ne va-t-il pas un peu loin? Tout le monde ne partagera pas son admiration pour un poëte inconnu qu'il nomme simplement M. Alexandre, et dont il annonce l'apparition. Ce poëte, tout jeune a été amené à M. de Lamartine par un ami commun,

encore,

Par un des vrais amis de cette idole à terre.

Il a chanté Saint-Point, la vieille demeure

Où le barde muet, ce moderne brahmane,

Est entouré d'oiseaux et de chiens pour amis.

Nous sommes bien loin de trouver à ces vers un peu vieillots de ton, un peu prosaïques d'expression, la même valeur que M. de Lamartine.

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Ces vers, l'admiration professée pour le grand poëte par ce jeune poëte, ramènent à la fin de cet entretien le souvenir de bien des douleurs. M. de Lamartine s'arrête en face du vieux cheval qui fut longtemps le compagnon de sa vie heureuse, et lui dit : Qui sait si demain j'aurai encore le droit de te laisser tondre l'herbe dans ce pré où je t'ai donné l'hospitalité, et si un dur acquéreur ne t'enverra pas demain à l'équarisseur, toi qui fus un jour le signe de ralliement d'une nation! Si je demandais pour toi une botte de foin, je ne l'aurais pas ! Honte et misère !

Nous ne savons rien de plus déchirant que ces grandes tristesses ainsi poétisées, et nous voudrions que de cette page modeste pussent monter vers l'illustre poëte un souvenir et un hommage. Qu'il se soumette au sort commun des grands hommes, qu'il vive comme Homère. Celui qui a eu la gloire la plus pure du siècle, qui a menė, monté sur ce vieux cheval, tout un peuple à la liberté dans la paix publique, doit n'envier personne et se trouver heureux par le souvenir, par la pensée, qui sont la vie des forts!

T. C.

LES LIVRES.

Princesses de Comédie et déesses d'Opéra. - Par Arsène Houssaye.— H. Plon, éditeur.

M. Arsène Houssaye vit depuis longtemps déjà dans le dix-huitième siècle : il a connu Voltaire, il a lutté d'esprit avec Chamfort, il a causé avec Rivarol et a soupé avec Boufflers. Tous les beaux diseurs de l'époque lui ont fait leur confidence; mais le contact de cette génération naguère sémillante, un peu sur le retour de l'âge maintenant, ne lui a òté ni sa verve, ni sa jeunesse, ni cette fleur de sentimentalité riante et fine qui fait le charme de ses écrits. Ce causeur élégant cache sous un esprit charmant et une imagination inépuisable toutes les qualités d'un homme de travail et d'étude; mais il a le rare mérite de beaucoup connaître, de beaucoup rechercher, et de s'assimiler si bien le résultat de ses études, que cette connaissance parfaite d'un autre. temps semble chez lui chose naturelle.

Après avoir raconté la royauté de Voltaire, il s'engage aujourd'hui très-avant dans les coulisses de l'ancien Opéra et dans les boudoirs de la Régence. C'est un interminable défilé de personnes un peu court vêtues,

chez qui la bonne renommée a fait large place à la ceinture dorée, – Camargo, Clairon, Sophie Arnould; c'est une galerie de biographies et de portraits écrits comme peignait Fragonard, qui ressemblent aux bergères des vieilles assiettes de Sèvres, qui paraissent des pastels animés, et qui ont toute la désinvolture et tout l'esprit petillant du dix-huitième siècle.

Si on ne trouvait dans ce livre que le récit des aventures légères, des amours trop nombreuses de ces princesses et de ces déesses, il faudrait reprocher à M. Arsène Houssaye d'exciter autre chose que la curiosité et de montrer un peu trop le nu dans ses peintures; mais sous ces astragales, ces carquois galants, cet attirail de fêtes et de plaisirs, l'auteur a fait une œuvre sérieuse et utile. Il a montré le dix-huitième siècle mille fois mieux qu'un historien grave et dogmatique, et à ceux qui se demandent comment les jours d'orage, le déluge prédit par Louis XV, sont venus si brusquement sans que les beaux esprits aient eu le temps de le voir venir et de se garer, il répond en montrant où ils laissaient leur jugement, leur esprit, leur raison et leurs forces. Un livre semblable n'est plus un pastiche, c'est une œuvre d'histoire aussi bien que d'art faite dans la vraie tradition de l'époque indiquée, et l'art moderne, qui réhabilite Boucher et Watteau, n'a pas de peintres des fêtes galantes qui vaille M. Arsène Houssaye.

Nous reviendrons sur la publication des œuvres complètes de M. Arsène Houssaye, dont ce volume forme le tome cinquième.

Les tribulations et métamorphoses posthumes de maître Fabricius, par M. RABOU. Librairie nouvelle.

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Un volume.

Maître Fabricius fut abominablement assassiné à un rendez-vous galant, puis, après mille aventures aussi extraordinaires que réellement possibles, déguisé en demoiselle, enlevé sur un grand chemin, livré à une courtisane, pendu au haut d'un gibet, puis transformé en momie d'Égypte et placé sous verre dans la collection d'un savant. Là ne s'arrêtent pas ses aventures; un beau jour et par un miracle parfaitement historique, il ressuscite, retrouve sa famille, rentre dans le monde ; mais pris d'un grand regret pour la mort, termine sa seconde vie en se brûlant la cervelle., e

M. Ch. Rabou, en publiant ce petit livre amusant et bizarre, aurait peut-être dû imiter Balzac, son maître, en empruntant la langue des Contes drôlatiques, qui se serait prêtée à merveille à la peinture de ces scènes bouffonnes et de ces métamorphoses étranges. Ce qu'il y a d'un peu décousu dans ce récit, où la fantaisie et l'excentrique sont souvent

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