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à peindre ni les gens du monde, ni les ridicules des grands, quoiqu'on sache combien ces peintures sont plus propres à ple. L'auteur a préféré, autant qu'il a pu, ce qui convient flatter ou la vanité, ou la malignité, ou la curiosité du peuen général à tous les hommes, à ce qui est particulier à quelques conditions; il a plus négligé le ridicule que toute autre chose, parceque le ridicule ne présente ordinairement défauts; qu'en faisant sortir vivement ce qu'il y a de vain et les hommes que d'un seul côté, qu'il charge et grossit leurs de foible dans la nature, il en déguise toute la grandeur, et qu'enfin il contente peu l'esprit d'un philosophe, plus touché de la peinture d'une seule vertu que de toutes ces petites défectuosités, dont les esprits foibles sont si avides.

quand on veut peindre avec hardiesse, attacher de telles peintures à un corps d'histoire, ou du moins à une fiction, qui pût leur prêter, avec la vraisemblance de l'histoire, son autorité. C'est ce que La Bruyère a senti à merveille. Il ne manquoit pas de génie pour faire de grands caractères; mais il ne l'a presque jamais osé. Ses portraits paroissent petits, quand on les compare à ceux du Télémaque ou des Oraisons de Bossuet. Il a eu de bonnes raisons pour écrire comme il a fait, et on ne peut trop l'en louer. Cependant c'est être sévère que d'obliger tous les écrivains à se renfermer dans les mœurs de leur temps ou de leur pays. On pourroit, si je ne me trompe, leur donner un peu plus de liberté, et permettre aux peintres modernes de Les hommes ne sont vivement frappés que des images; et

sortir quelquefois de leur siècle, à condition qu'ils ne sortiroient jamais de la nature.

XII.

Sur les Anciens et les Modernes.

On auroit aimé à développer en quelques endroits, non seulement les qualités du cœur, mais même ces différences fines de l'esprit qui échappent quelquefois aux meilleurs yeux.

Mais, parceque de tels caractères auroient été des définitions plutôt que des portraits, on a pas osé s'y arrêter.

ils entendent toujours mieux les choses par les yeux que par les oreilles.

On a imité Théophraste et La Bruyère autant qu'on l'a pu; mais parcequ'on l'a pu très rarement, à peine s'apercevra-t-on que l'auteur se soit proposé ces grands modèles.

L'éloquence de La Bruyère, ses tours singuliers et har

dis, et son caractère toujours original, ne sont pas des moins orné, moins fort, moins sublime: ses portraits, chargés de détails, sont quelquefois un peu traînants; mais la simplicité et la vérité de ses images les ont fait passer jusqu'à nous. Tout auteur qui peint la nature est sûr de durer autant que son modèle, et de n'être jamais atteint par ses copistes.

choses qu'on puisse imiter. Théophraste est moins délicat,

Si j'osois reprocher quelque chose à La Bruyère, ce seroit d'avoir trop tourné et trop travaillé ses ouvrages. Un peu plus de simplicité et de négligence auroit donné

peut-être plus d'essor à son génie, et un caractère plus haut à ses expressions fières et sublimes.

Un Athénien pouvoit parler avec véhémence de la gloire à des Athéniens; un François à des François, nullement: il seroit honni. L'imitation des Anciens est fort trompeuse. Telle hardiesse qu'on admire avec raison dans Démosthènes, passeroit pour déclamation dans notre bouche. J'en suis fort fàâché; nous sommes un peu trop philosophes. A force d'avoir ouï dire que tout étoit petit ou incertain parmi les hommes, nous croyons qu'il est ridicule de parler affirmativement et avec chaleur de quoi que ce soit. Cela Théophraste a d'autres défauts: son style me paroit a banni l'éloquence des écrits modernes car moins varié que celui du peintre moderne; et il n'en a l'unique objet de l'éloquence est de persuader connu ni la hardiesse, ni la précision, ni l'énergie. et de convaincre. Or, on ne va point à ce but hommes de leur siècle, qu'ils ont imitées l'un et l'autre avec quand on ne parle pas très sérieusement. Celui la plus naïve vérité. La Bruyère, qui a vécu dans un siècle qui est de sang-froid n'échauffe pas, celui qui plus raffiné et dans un royaume puissant, a peint une nation doute ne persuade pas; rien n'est plus sensible. polie, riche, magnifique, savante et amoureuse de l'art. Mais la maladie de nos jours est de vouloir ba-Théophraste, né au contraire dans une petite république, diner de tout; on ne souffre qu'à peine un autre style.

CARACTÈRES.

PRÉFACE.

Ceux qui n'aiment que les portraits brillants et les satires ne doivent pas lire ces nouveaux caractères. On n'a cherché

A l'égard des mœurs qu'ils ont décrites, ce sont celles des

où les hommes étoient pauvres et moins fastueux, a fait des portraits qui, aujourd'hui, nous paroissent un peu petits.

S'il m'est permis de dire ce que je pense, je ne crois pas que nous devions tirer un grand avantage de ce raffinement ou de ce luxe de notre nation. La grandeur du faste ne peut rien ajouter à celle des hommes. La politesse même et la délicatesse, poussées au-delà de leurs bornes, font regretter aux esprits naturels la simplicité qu'elles détruisent. Nous perdons quelquefois bien plus en nous écartant de la nature, que nous ne gagnons à la polir. L'art peut devenir plus barbare que l'instinct qu'il croit corriger.

Je n'oserois pousser plus loin mes réflexions à la tête d'un si petit ouvrage. La négligence avec laquelle on a écrit ces caractères, le défaut d'imagination dans l'expres

voir prévu, des marques de sa compassion. Si tous les hommes, dit Aceste, vouloient s'en

sion, la langueur du style, ne permettent pas d'en hasar-tr'aider, il n'y auroit point de malheureux; mais

der un plus grand nombre. Il faudroit peut-être avoir honte de laisser paroitre le peu qu'on en ose donner.

I.

Aceste, ou le Misanthrope amoureux.

l'affreuse et inexorable dureté des riches retient tout pour elle, et la seule avarice fait toutes les misères de la terre.

II.

L'Important.

Un homme qui a médiocrement d'esprit et

cule comme un déshonneur; quoiqu'il soit pénétré de son mérite, la plus légère improbation l'aigrit, et la plaisanterie la plus douce l'embarrasse; lui-même a cependant cette sincérité désagréable qui vient de l'humeur et de la sécheresse de l'esprit, source de la raillerie la plus

dans ses expressions que dans ses idées; la roideur de son caractère fait haïr ses sincérités et sa probité fastueuse : ses manières dures l'ont aussi empêché de réussir auprès des femmes. Ce sont là les plus grands chagrins qu'il ait éprouvés dans sa vie ; mais ils ne l'ont pu corriger de ses défauts: suivi de toutes les erreurs de la jeunesse dans un âge déja avancé, il joue encore l'important parmi les siens, et ne peut se passer du monde qui est son idole.

Aceste se détourne à la rencontre de ceux qu'il voit venir au-devant de lui; il fuit les plai-beaucoup d'amour-propre, appréhende le ridisirs qui le cherchent; il pleure et il cache ses larmes. Une seule personne qui ne l'aime pas, cause toute sa rêverie et cette profonde tristesse. Aceste la voit en dormant, lui parle, se croit écouté; il croit voyager avec elle dans un bois, à travers des rochers et des sables brûlants; il arrive avec elle parmi des barbares : ce peu-amère. Il a l'esprit net, mais étroit, et plus juste ple s'empresse autour d'eux, et s'informe curieusement de leur fortune. Aceste se trouve à une bataille, et, couvert de blessures et de gloire, il rêve qu'il expire dans les bras de sa maîtresse; car l'imagination d'un jeune homme agite son sommeil de ces chimères que nos romanciers ne composent qu'après bien des veilles. Aceste est timide avec sa maîtresse; il oublie quelquefois en la voyant ce qu'il s'est préparé de lui dire plus souvent encore il lui parle sans préparation, avec cette impétuosité et cette force que sait inspirer la plus vive et la plus éloquente des passions. Sa grace et sa sincérité l'emportent enfin sur les voeux d'un rival moins tendre que lui; et l'amour, le temps, le caprice, récompensent des feux si purs. Alors il n'est plus ni timide ni inquiet, ni vain ni jaloux; il n'a plus d'ennemis; il ne hait personne; il ne porte envie à personne : on ne peut dépeindre sa joie, ses transports, ses discours sans suite, son silence et sa distraction; tous ceux qui dépendent de lui se ressentent de son bonheur : ses gens, qui ont manqué à ses ordres, ne le trouvent à leur retour ni sévère, ni impatient; il leur dit qu'ils ont bien fait de se divertir, qu'il ne veut troubler la joie de personne. Le premier misérable qu'il rencontre est comblé, sans l'a

Quelques personnes ont cru trouver une faute dans ce mot; cependant l'auteur a bien écrit Aceste, et non pas Alceste, comme ces personnes ont paru le croire. B.

III.

Pison, ou l'Impertinent.

Ceux qui sont insolents avec leurs égaux s'échappent aussi quelquefois avec leurs supérieurs, soit pour se justifier de leur bassesse, soit par une pente invincible à la familiarité et à l'impertinence, qui leur fait perdre très souvent le fruit de leurs services, soit enfin par défaut de jugement, et parcequ'ils ne sentent pas les bienséances. Tel s'est fait connoître Pison, jeune homme ambitieux et sans mœurs, sans pudeur, sans délicatesse; d'un esprit hardi, mais peu juste, plus intempérant que fécond, et plus laborieux que solide; patient néanmoins, complaisant, capable de souffrir et de se modérer; très brave à la guerre, où il avoit mis l'espérance de sa fortune, et propre à ce métier par son activité, par son courage et par son tem

pérament inaltérable dans les fatigues. Trop ami | regarde sa montre, il se lève et il se rasseoit : cependant du faste; engagé par ses espérances on sent qu'il n'est point à sa place, et que quelà une folle et ruineuse profusion; accablé de que chose lui manque. Il lui faut un théâtre, dettes contre l'honneur ; peu sûr au jeu, mais une école, et un peuple qui l'environne; là il sachant soutenir avec impudence un nom équi- parle seul et long-temps, et parle quelquefois voque; sachant sacrifier les petits intérêts, et avec sagesse. Les obligations indispensables de la réputation même, à la fortune; incapable de sa place, ses études, ses distractions, ses attenconcevoir qu'on pût parvenir par la vertu; tions scrupuleuses pour les grands, la préoccu privé de sentiment pour le mérite, esclave des pation de son mérite, ne lui laissent pas le loisir de grands, né pour les servir dans le vice, pour cultiver ses amis, ni même d'avoir des amis. Il les suivre à la chasse et à la guerre, et vieillir est ivre de ses talents et de la faveur du public. parmi les opprobres, dans une fortune mé- Le commerce des grands qui le recherchent diocre. lui a fait perdre le goût de ses égaux. Il s'ennuie de ceux qu'il estime, lorsqu'ils n'ont que de l'agrément et du mérite, quoiqu'il ne prime luimême que par cet endroit. Il n'honore que la vertu, et ne néglige que les vertueux. Laborieux d'ailleurs, pénétrant, d'un esprit facile et orné, fécond par sa vivacité et sa mémoire, mais sans invention; tel qu'il faut pour tromper les yeux du peuple et pour captiver ses suffrages.

IV.

Ergaste, ou l'Officieux par vanité.

Ergaste n'avoit ni esprit ni passions, mais une excessive vanité qui lui tenoit lieu d'ame, et qui étoit le principe de tout ce qu'on voyoit en lui, sentiments, pensées, discours; c'étoit là tout son fonds et tout son être. Il n'aimoit ni les femmes, ni le jeu, ni la musique, ni la bonne chère; tous les hommes, tous les pays, tous les livres, lui étoient égaux; il n'aimoit rien. Tout ce qui donnoit dans le monde de la considération lui étoit également propre, et il n'y cherchoit que cela. Empressé par cette raison à faire valoir ses talents; servant beaucoup de gens sans obliger personne; facile et léger, il promettoit en même temps à plusieurs personnes ce qu'il ne pouvoit tenir qu'à une seule. Un étranger arrivoit dans la ville qu'Ergaste ne connoissoit point, il alloit le voir le premier, lui offroit ses chevaux et sa maison, et faisoit redemander à son ami un remise qu'il l'avoit forcé de prendre peu auparavant. Toujours vain et précipité dans ses actions, et aussi peu capable de bien faire que de bien penser.

V.

Calistène.

Calistène ne connoît pas le plaisir qu'il peut y avoir dans un entretien familier, et à épan

cher son cœur dans le secret. S'il est seul avec

une femme ou avec un homme d'esprit, il attend avec impatience le moment de se retirer. Quoiqu'il soit assez vif, il paroît froid. Quoiqu'il soit grand parleur, il ne parle point; il bâille, il

VI.

Cotin, ou le bel esprit.

Cotin se pique d'estimer les grandes choses, parcequ'il est vain. Il affecte de mépriser l'éloquence de l'expression et la justesse même des pensées, qui, à ce qu'il dit quelquefois, ne sont point essentielles au sublime. Il ignore que le génie ne se caractérise en quelque sorte que par l'expression. La seule éloquence qu'il aime est l'ostentation et l'enflure. Il réclame ces vers pompeux et ces magnifiques tirades qu'on a tant vantés autrefois :

Serments fallacieux, salutaire contrainte,

Que m'imposa la force et qu'accepta ma crainte,
Heureux déguisements d'un immortel courroux,
Vains fantômes d'État, évanouissez-vous!

Et vous qu'avec tant d'art cette feinte a voilée,
Recours des impuissants, haine dissimulée,
Digne vertu des rois, noble secret de cour,
Éclatez, il est temps, et voici votre jour.

Cotin sait encore admirer des sentences et des

antithèses, même hors de leur place; mais il ne connoît ni la force, ni les mouvements des

Dans le manuscrit on lit il réclame ; si l'auteurn'a pas voulu

dire il déclame, il donnoit au verbe réclamer une autre accep seconde fois, il répète. B.

tion que celle reçue de nos jours, Il lui fait signifier, il dit use

passions, ni leur désordre éloquent, ni leurs hardiesses, ni ce sublime simple qu'elles cachent dans leurs expressions naturelles; car les hommes vains n'ont point d'ame, et croient la grandeur dans l'esprit. Ils aiment les sciences abstraites, parcequ'elles sont épineuses et supposent un esprit profond. Ils confondent l'érudition et l'étalage avec l'étendue du génie. Partisans passionnés de tous les arts, afin de persuader qu'ils les connoissent, ils parlent avec la même emphase d'un statuaire, qu'ils pourroient parler de Milton. Tous ceux qui ont excellé dans quelque genre, ils les honorent des mêmes éloges; et si le métier de danseur s'élevoit au rang des beaux-arts, ils diroient de quelque sauteur, ce grand homme, ce grand génie; ils l'égaleroient à Virgile, à Horace, et à Démosthènes.

VII.

Egée, ou le bon esprit.

Egée, au contraire, est né simple, paroît ne se piquer de rien, et n'est ni savant, ni curieux; il hait cette vaine grandeur que les esprits faux idolâtrent, mais la véritable l'enchante et s'empare de tout son cœur. Son ame, obsédée des images du sublime et de la vertu, ne peut être attentive aux arts qui peignent de petits objets. Le pinceau naïf de Dancourt le surprend sans le passionner, parceque cet auteur comique n'a saisi que les petits traits et les grossièretés de la nature. Ainsi il met une fort grande différence entre ces peintures sublimes, qui ne peuvent être inspirées que par les sentiments qu'elles expriment, et celles qui n'exigent ni élévation, ni grandeur d'esprit dans les peintres, quoiqu'elles demandent autant de travail et de génie. Egée laisse adorer, dit-il, aux artisans l'artisan plus habile qu'eux; mais il ne peut estimer les talents que par le caractère qu'ils annoncent. Il respecte le cardinal de Richelieu comme un grand homme, et il admire Raphaël comme un grand peintre; mais il n'oseroit égaler des vertus d'un prix si inégal. Il ne donne point à des bagatelles ces louanges démesurées que dictent quelquefois aux gens de lettres l'intérêt ou la politique; mais il loue très sincèrement tout ce qu'il loue, et parle toujours comme il pense.

VIII.

Le critique borné.

Il n'y a point de si petit peintre qui ne porte son jugement du Poussin et de Raphaël. De même un auteur, tel qu'il soit, se regarde, sans hésiter, comme le juge de tout autre auteur. S'il rencontre des opinions dans un ouvrage qui anéantissent les siennes, il est bien éloigné de convenir qu'il a pu se tromper toute sa vie. Lorsqu'il n'entend pas quelque chose, il dit que l'auteur est obscur, quoiqu'il ne soit pour d'autres que concis; il condamne tout un ouvrage sur quelques pensées, dont il n'envisage quelquefois qu'un seul côté. Parcequ'on démêle aujourd'hui les erreurs magnifiques de Descartes, qu'il n'auroit jamais aperçues de luimême, il ne manque pas de se croire l'esprit bien plus juste que ce philosophe; quoiqu'il n'ait aucun sentiment qui lui appartienne, presque point d'idées saines et développées, il est persuadé cependant qu'il sait tout ce qu'on peut savoir; il se plaint continuellement qu'on ne trouve rien dans les livres de nouveau; et si on y met quelque chose de nouveau, il ne peut ni le discerner, ni l'apprécier, ni l'entendre: il est comme un homme à qui on parle un idiome étranger qu'il ne sait point, incapable de sortir de ce cercle de principes connus dans le monde, qu'on apprend, en y entrant, comme sa langue.

IX.

Batylle, ou l'auteur frivole.

Batylle cite Horace et l'abbé de Chaulieu pour prouver qu'il faut égayer les sujets les plus sérieux, et mêler le solide à l'agréable; il donne pour règle du style ces vers délicats et légers:

Qu'est-ce qu'esprit ? raison assaisonnée.
Par ce seul mot la dispute est bornée.
Qui dit esprit, dit sel de la raison :

Donc sur deux points roule mon oraison :
Raison sans sel est fade nourriture;
Sel sans raison n'est solide pâture.

De tous les deux se forme esprit parfait;

De l'un sans l'autre un monstre contrefait.
Or, quel vrai bien d'un monstre peut-il naitre ?
Sans la raison, puis-je vertu connoitre?
Et, sans le sel dont il faut l'apprêter,
Puis-je vertu faire aux autres goûter?

J.-B. ROUSSEAU, Épitre à clément
Marot, livre I, épître HI.

Selon ces principes qu'il commente, il n'ose- | roit parler avec gravité et avec force, sans bigarrer son discours de quelque plaisanterie hors de sa place: car il ne connoît pas les agréments qui peuvent naître d'une grande solidité. Batylle ne sait donner à la vérité ni ces couleurs fortes qui sont sa parure, ni cette profondeur et cette justesse qui font sa hauteur; ses pensées frivoles ont besoin d'un tour ingénieux pour se produire; mais ce soin de les embellir en fait mieux sentir la foiblesse. Une grande imagination aime à se montrer toute nue, et sa simplicité, toujours éloquente, néglige les traits et les fleurs.

X.

Ernest, ou l'esprit présomptueux.

mode, il n'estime pas de tels personnages, qui n'ont été grands que par instinct, et les traite de petits génies, avec quelques femmes de ses amies qui ont de l'esprit comme les anges. En un mot, il est convaincu qu'on ne fait de véritablement grandes choses que par réflexion, et rapporte tout à l'esprit, comme tous ceux qui manquent par le cœur, et qui, croyant ne dépendre que de la raison, sont éternellement les dupes de l'opinion et du plus petit amourpropre.

VARIANTES'.

I.

Titus, ou l'activité.

Un jeune homme qui a de l'esprit n'estime d'abord les autres hommes que par cet endroit ; et, à mesure qu'il méprise davantage ce que le Titus se lève seul et sans feu pendant l'hiver; monde honore le plus, il se croit plus éclairé et plus hardi; mais il faut l'attendre. Lorsqu'on est bre, ils trouvent déja sur sa table plusieurs letet quand ses domestiques entrent dans sa chamassez philosophe pour vouloir juger des printres qui attendent la poste. Il commence à la cipes par soi-même, il y a comme un cercle d'erreurs par lequel il est difficile de se dispen- fois plusieurs ouvrages qu'il achève avec une ser de passer. Mais les grandes ames s'éclairent rapidité inconcevable, et que son génie impadans ces routes obscures où tant d'esprits justes tient ne lui permet pas de polir. Quelque chose se perdent; car elles ont été formées pour la qu'il entreprenne, il lui est impossible de la revérité, et elles ont des marques pour la recon- tarder; une affaire qu'il remettroit l'inquiétenoître qui manquent à tous ceux qui l'ont reçue dre. Incapable de se fixer à quelque art, ou à roit jusqu'au moment qu'il pourroit la reprende la seule autorité des préjugés. Ernest, dans un âge qui excuse tout, ne pro-puisse être, il cultive en même temps plusieurs quelque affaire, ou à quelque plaisir que ce met pas cependant cet heureux retour; né avec de l'esprit, il sert de preuve qu'il y a des vérités sociétés et plusieurs études. Son esprit ardent qu'on ne connoît que par le cœur. Semblable à et insatiable ne lui laisse point de repos; la conceux qui n'ayant point d'oreille font des systè-versation même n'est pas un délassement pour mes ingénieux sur la musique ou prennent le lui. Il ne parle point, il négocie, il intrigue, il flatte, il cabale; il ne comprend pas que les parti de nier l'harmonie, et disent qu'elle est arbitraire et idéale, Ernest ose assurer que la hommes puissent parler pour parler, ou agir vertu n'est qu'un fantôme; il est très persuadé bienséances le retient inutilement en quelque seulement pour agir, et quand la tyrannie des que les grands hommes sont ceux qui ont su le bienséances le retient inutilement en quelque endroit, ses pensées s'égarent ailleurs, ses yeux plus habilement tromper les autres. César, selon lui, n'a été clément, Marius sévère, Sci- sont distraits, son visage est sensiblement alpion modéré, que parcequ'il convenoit ainsi à téré, et on voit sans beaucoup de peine que son leurs intérêts. Il croit que Caton et Brutus au- n'y emploie pas moins de manege que dans les ame souffre. S'il recherche quelque plaisir, il roient été de petits-maîtres dans ce siècle, par- affaires les plus sérieuses; et cet usage qu'il fait cequ'il leur eût été plus honorable et plus utile. Si on lui nomme M. de Turenne ou le maréchal de Vauban, si sincèrement vertueux malgré la les œuvres de Vauvenargues.

Ces Variantes se rapportent aux Caractères déja donnés dans

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