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LETTRE IV.

Véretz, 10 septembre 1819.

MONSIEUR,

Quelqu'un se plaint, dans une de vos feuilles, que, sous prétexte de vacances, on lui a refusé l'entrée de la Bibliothèque du Roi. Je vois ce que c'est; on l'a pris pour un de ces curieux, comme il en vient là fréquemment, qui ne veulent que voir des livres, et gênent les gens studieux. Ceux-ci n'ont point à craindre un semblable refus, et la Bibliothèque pour eux ne vaque jamais. Aux autres on assigne certains jours, certaines heures, ordre fort sage; votre ami, pour peu qu'il y veuille réfléchir, lui-même en conviendra. S'il m'en croit, qu'il retourne à la Bibliothèque, et, parlant à quelqu'un de ceux qui en ont le soin, qu'il se fasse connaître pour être de ces hommes auxquels il faut, avec des livres, silence, repos, liberté; je suis trompé, s'il ne trouve des gens aussi prompts à le satisfaire que capables de l'aider et de le diriger dans toutes sortes de recherches. J'en ai fait l'expérience; d'autres la font chaque jour à leur très-grand profit. Après cela, s'il a voyagé, s'il a

vu en Allemagne les livres enchaînés, en Italie purgés, c'est-à-dire biffés, raturés, mutilés, par la cagoterie, enfermés le plus souvent, ne se communiquer que sur un ordre d'en haut, il cessera de se plaindre de nos bibliothèques, de celle-là surtout; enfin il avouera, s'il est de bonne foi, que cet établissement n'a point de pareil au monde, pour les facilités qu'y trouvent ceux qui vraiment veulent étudier.

Quant au factionnaire suisse qu'il a vu à la porte, ce n'étaient pas sans doute les administrateurs qui l'avaient placé là. Rarement les savans posent des sentinelles, si ce n'est dans les guerres de l'École de droit. Je ne connais point messieurs de la Bibliothèque assez pour pouvoir vous rien dire de leurs sentimens; mais je les crois Français, et je me persuade que, s'il dépendait d'eux, on ferait venir d'Amiens des gens pour être suisses, puisque enfin il en faut dans la garde du roi.

LETTRE V.

Véretz, 18 octobre 1819.

MONSIEUR,

Le hasard m'a fait tomber entre les mains une lettre d'un procureur du roi à un commandant de gendarmes. En voici la copie, sauf les noms que je supprime.

Monsieur le commandant, veuillez faire arrêter et conduire en prison un tel de tel endroit.

Voilà toute la lettre. Je crois, si vous l'imprimez, qu'on vous en saura gré. Le public est intéressé dans une pareille correspondance; mais il n'en connaît d'ordinaire que les résultats. Ceci est bref, concis; c'est le style impérial, ennemi des longueurs et des explications. Veuillez mettre en prison, cela dit tout. On n'ajoute pas : car tel est notre plaisir. Ce serait rendre raison, alléguer un motif; et, en style de l'empire, on ne rend raison de rien. Pour moi, je suis charmé de ce petit

morceau.

Quelqu'un pourra demander ( car on devient curieux, et le monde s'avise de questions maintenant qui ne se faisaient pas autrefois), on de

mandera peut-être combien de gens en France ont le droit ou le pouvoir d'emprisonner qui bon leur semble, sans être tenus de dire pourquoi. Est-ce une prérogative des procureurs du roi et de leurs substituts? Je le croirais, quant à moi. Ces places sont recherchées; ce n'est pas pour l'argent. On en donnait jadis, on en donnait beaucoup pour être procureur du roi. Fouquet vendit sa charge dix-huit cent mille francs, cinq millions d'aujourd'hui, et elles coûtent à présent bien plus que de l'argent. Ce qu'achètent si cher d'honnétes gens, c'est l'honneur (l'honneur seul peut flatter un esprit généreux), ce sont les privilèges attachés à ces places. En est-il en effet de plus beau, de plus grand que de pouvoir dire: Gendarmes, qu'on l'arrête, qu'on le mène en prison. Cela ne sent pas du tout le robin, l'homme de loi. On ne voit rien là-dedans de ces lentes et pesantes formalités de justice que le cardinal de Retz reproche, avec tant de raison, à la magistrature, et qui, tant de fois, le firent enrager, comme luimênie le raconte.

Il ne se plaindrait pas maintenant : tout a changé au-delà même de ce qu'il eût pu désirer alors. Notre jurisprudence, nos lois sont prévôtales; nos magistrats aussi doivent être expéditifs et le sont. Vite, tôt; emprisonnez, tuez; on n'aurait jamais fait s'il fallait tant d'ambages et de circonlocutions. Tout chez nous porte em

preint le caractère de ce héros, le génie du pouvoir, qui faisait en une heure une constitution, en quelques jours un code pour toutes les nations, gouvernait à cheval, organisait en poste, et fonda, en se débotant, un empire qui dure

encore.

Tout bien considéré, le parti le plus sûr, c'est de respecter fort les procureurs du roi, leurs substituts et leurs clercs; de les éviter, de fuir toute rencontre avec eux, tout démêlé; de leur céder non-seulement le haut du pavé, mais tout le pavé, s'il se peut. Car enfin, on le sait, ce sont des gens fort sages, qui ne mettent en prison que pour de bonnes raisons, exempts de passions, calmes, imperturbables, des hommes éprouvés sous le grand Napoléon qui, cent fois dans le cours de sa gloire passée, tenta leur patience et ne l'a point lassée. Mais ce ne sont pas des saints ; ils peuvent se fâcher. Un mot avec paraphe, le commandant est là. Veuillez..... et aussitôt gendarmes de courir, prison de s'ouvrir; quand vous y serez, la Charte ne vous en tirera pas. Vous pourrez rêver à votre aise la liberté individuelle. Non, respectons les gens du roi, ou les gens de l'empereur, qui happent au nom du roi. C'est le conseil que je prends pour moi, et que je donne à mes amis.

Mais je me suis trompé, monsieur, je m'en aperçois; ce n'est pas là toute la lettre du procu

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