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& la Carmanie. Enfuite les Perfes, les Sufiens, les Babyloniens, quelques autres petits peuples, la Méfopotamie, la Syrie, les Arabes & les Egyptiens jufqu'au Nil. Telles étoient en général les grandes divifions de l'Afie.

Strabon croyoit aufli que la mer Cafpienne étoit un golfe de l'Océan feptentrional. Il dit qu'un écrivain, qu'il nomme Patrocles, avoit recueilli cette tradition chez des peuples d'une origine très-ancienne, occupant les fommités du Caucase; & ce fait paroît très-probable au citoyen Goffelin, dont les travaux contribueront peut-être quelque jour à le

démontrer.

Afrique. Nous allons voir que Strabon n'étoit pas mieux informé, comme Géographe, fur l'intérieur de l'Afrique.

Egypte. Strabon fuivit Ælius-Gallus dans fon expédition contre les Ethiopiens & les Arabes, & il en rapporta, comme Hiftorien, quelques connoiffances utiles; mais, comme Géographe, il parle en homme bien peu inftruit.

Après avoir vu le Delta & vifité le Nome-Arfinoïtes, jufqu'au lac Méris, Strabon s'embarque fur un canal parallèle au Nil, qu'il prend pour le Nil même, & qui le conduit par Oxyrinchus à Phylace-Thebaïca. Là, il croit rencontrer un canal qui menoit à Tanis; cependant c'étoit le veritable Nil qu'il avoit ceffé de voir depuis Memphis. Il eft probable que la rapidité de ce fleuve ne permettoit pas de le remonter facilement, & que l'on fe fervoit des canaux pour parvenir dans la haute Egypte.

Strabon ne rentra dans le véritable lit de ce fleuve qu'à Panopolis ou Chemmis. Il parle des villes qu'il avoit rencontrées, comme fi elles avoient été fituées fur le Nil même, quoiqu'elles en fuffent toutes éloignées & baignées par les eaux d'un canal, qu'on ne doit pas confondre avec le Nil, dont il fuivoit le cours. Strabon paffa à Captos, où Prolémée-Philadelphe avoit fait tracer un chemin de fix à lept journées, qui aboutiffoit à Bérénice, fur le golfe Arabique (1). Il vifita enfuite les ruines de l'ancienne Thèbes, que Cambyfe avoit renversée, & arriva à Syéné, la dernière ville de l'Egypte.

Il ne paroît pas que Strabon ait paffé au-delà de Phyles, ville d'Ethiopie, qui n'étoit qu'à cent ftades de Syéné; mais les généraux de Gallus avancèrent jufqu'à Napata, où réfidoit Candace, fouveraine d'Ethiopie. La demeure ordinaire des rois étoit Méroé, fituée dans une île à laquelle on donnoit 3,000 ftades de long, fur 1,000 de large; cette île étoit formée par le Nil, l'Aftaboras, l'Aftafoba & l'Aftapus.

Dans le même temps Gallus reçut l'ordre d'aller foumettre les Arabes. Il partit donc de Cléopatride avec une flotte confidérable, débarqua à Leuce, principal port des Nabathéens. Obothas, roi de cette nation, joignit fes forces à celles de Gallus, déjà trèsépuifées, & fit commander fes troupes par Sylleus. Ce lieutenant conduifit les Romains. des déferts arides, dans le pays où régnoit Arétas; il leur fit enfuite traverser l'Ararène

par

(1) Pline, L. VI, Chap. 26, donne à ce chemin 258 mille pas, divifés en fept ftations, où l'on avoit creufé des puits pour les voyageurs qui traverfoient ce défert. Mais comme les grandes chaleurs ne permettoient de marcher que pendant la nuit, on employoit douze jours au lieu de huit à faire la route de Coptos à Bérénice,

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& ils n'arrivèrent qu'après cinquante jours d'une marche forcée & extrêmement difficile, à Anagrana, qu'ils faccagèrent; les villes d'Afca & d'Athrulla eurent le même fort. Mais les Ramanites refiftèrent, & Marfyabas ne fut pas prife.

Gallus revint fur fes pas, après avoir vu périr la plus grande partie de fon armée par les maladies, la fatigue, la foif & la faim; il n'avoit perdu que fept cents hommes dans les différens combats qu'il avoit livrés. Cette expédition n'ayant eu aucun fuccès, Sylleus fut accufé d'avoir trahi les Romains, d'avoir cherché à profiter de leur fecours pour foumettre quelques peuples & quelques villes, & fe rendre lui-même maître du pays. II fut envoyé à Rome, où il eut la tête tranchée.

perpen

Ethiopie. L'intérieur de l'Afrique étoit prefqu'entièrement inconnu au temps de Strabon. La côte de la Méditerranée feule, & les environs du Nil, étoient fréquentés par les Grecs. Leur opinion fur l'enfemble de cette partie du monde, étoit que fa forme reffembloit à celle d'un trapèze, ou même que la côte, depuis le détroit des Colonnes jufqu'à Pélufe, pouvoit être confidérée comme la bafe d'un triangle rectangle, dont le Nil formoit le côté diculaire, qui fe prolongeoit jufqu'à l'Ethiopie & à l'Océan, & dont l'hypothenuse étoit la côte comprise depuis l'Ethiopie jufqu'au détroit. Le fommet de ce triangle s'étendoit au-delà des limites de la terre habitable, & étoit par conféquent regardé comme inacceffible. Auffi, Strabon avoue-t-il, qu'il ne peut affigner la largeur précise de cette portion de l'Afrique.

Il ne connoiffoit guère plus la côte occidentale, puifqu'il dit qu'en paffant le détroit, on trouve une montagne, que les Grecs nomment Atlas, & les Barbares Dyris; que de-là, s'avançant à l'oueft, on voit le cap Cotes, & enfuite la ville de Tinga, fituée vis-à-vis Gadès, à 800 ftades de diftance; que de ces deux villes aux Colonnes d'Hercule, il y a auffi 800 ftades; qu'au fud de Tinga, on rencontre le golfe Emporicus, où les Phéniciens ont un établiffement; que toute la côte, après ce golfe, eft creufe; & que, fi on en excepte les finuofités, il faut imaginer qu'elle va droit, entre le midi & l'eft, rejoindre le fommet de l'angle dont il a parlé.

On peut reprocher à Strabon de rejeter trop légèrement les découvertes des Carthaginois le long de la côte occidentale de l'Afrique, & d'adopter des erreurs que l'expédition d'Hannon devoit avoir détruites. Strabon avoit lu le Périple de ce Général, & ce Périple étoit, fans doute, bien plus ample que l'extrait qui nous en refte aujourd'hui, puifque celui que Pline avoit fous les yeux comprenoit le journal d'une navigation non interrompue, depuis Carthage, par le détroit des Colonnes, jufqu'au golfe Arabique; mais l'efprit de systême qui dominoit prodigieufement Strabon, lui faifoit rejeter tout ce qui contrarioit fes opinions. L'idée d'une zône, inacceffible par la chaleur qui y régnoit, le portoit à mettre au rang des fables tout ce qu'on avoit écrit fur la poffibilité de faire le tour de l'Afrique, quoique ce voyage eût encore été répété fous Ptolémée Lature, environ cent fix ans avant J. C., cent cinquante ans avant l'époque où Strabon écrivoit.

cap

Cotes,

Une erreur qu'on ne peut s'empêcher de relever, parce qu'elle appartient tout entière à Strabon, eft d'avoir placé le mont Atlas fur le détroit des Colonnes, à l'orient du tandis qu'il ne lui étoit pas permis d'ignorer que cette montagne devoit être beaucoup au

delà, fur la côte occidentale de l'Afrique, baignée par l'Océan Atlantique, auquel elle a donné fon nom.

Cette côte étoit habitée par des Ethiopiens, nommés Occidentaux , pour les diftinguer de ceux qui étoient au-deffus de l'Egypte. Le nom d'Ethiopiens étoit alors commun à tous les peuples qui occupoient les contrées méridionales de l'Afrique. Les navigateurs qui étoient entrés dans l'Océan, foit par le golfe Arabique, foit par le détroit des Colonnes, avoient toujours appelé Ethiopie, les régions les plus méridionales où ils étoient parvenus. Ceux des Ethiopiens occidentaux, les plus reculés que l'on connût au temps de Strabon habitoient fous le méridien de Carthage, près la région qui produifoit la canelle. Au-delà, la côte paffoit pour être à-peu-près parallèle à l'équateur, & pour venir joindre celle des Ichthyophages, qui habitoient au-deffus de Dere.

Strabon, en difant que l'on nommoit Ethiopiens les peuples les plus reculés dans les parties méridionales de l'Afrique, & qui occupoient les bords de l'Océan, aux extrémités de la terre habitable, & le long de fes limites, fait affez connoître que l'opinion de fon fiècle & la fienne étoient, que l'Océan occupoit les environs de l'équateut & y formoit une zone autour du globe. Les Grecs avoient vifiblement puifé cette idée dans l'Afie, où cela étoit vrai. La manie des hypothéfes la leur avoit fait transporter dans le reste du monde; & c'eft d'après eux que les Romains l'ont adoptée.

Taprobane. Quoique Strabon varie fur les dimenfions de la Taprobane, qu'il porte, tantôt à 8,000 ftades de longueur, tantôt à 5,000 ftades, en comparant fon étendue à celle de la Bretagne; le citoyen Goffelin penfe qu'il adoptoit la première de ces mefures qu'Eratofthènes avoit également admife, d'après les hiftoriens d'Alexandre. La feconde n'avoit été donnée que par Onéficrite, en qui Strabon avoit peu de confiance, & qui d'ailleurs n'avoit diftingué, dans fon récit, ni la largeur, ni la longueur de cette île.

Les principaux Géographes qui ont fuivi le fiècle de Strabon, & dont les ouvrages font parvenus jufqu'à nous, font Denys le Périégète, Ifidore de Charax, Pomponius Mela Pline & Arrien. Les uns n'ont laiffé que des périples, ou des defcriptions de contrées particulières; les autres ont décrit le monde entier, mais fans foumettre l'ensemble de fes parties à des bafes aftronomiques; de forte qu'il eft impoffible de tracer une carte d'après leurs opinions. Il faut cependant en excepter Pline, qui, dans le grand nombre d'extraits qu'il a raffemblés, fait entrevoir quel a été le premier effai du fyflême géographique des Romains, entrepris par Agrippa, & terminé par les ordres d'Augufte fur les mémoires qu'Agrippa avoit laiffés. On y trouve des erreurs étranges pour le temps; mais, la longueur de la Méditerranée, depuis Calpe jufqu'à Iffus, ne préfenteroit que 2° 11' 9" de moins que ce qu'on lui donne aujourd'hui ; ce qui prouve qu'Agrippa avoit puifé cette mefure générale dans la copie de quelque ancien ouvrage, & que, pour lesdétails particuliers, il a fuivi les erreurs qui lui étoient perfonnelles, ou qu'il partageoit avec fes compatriotes.

Marin de Tyr.

Marin de Tyr vivoit vers la fin du premier fiècle de notre Ete. L'étendue de fes travaux géographiques paroît lui avoir acquis une grande réputation. Ptolémée affure que Marin

avoit lu la plupart des auteurs anciens; qu'il en avoit extrait tout ce qu'il avoit jugé propre à déterminer la fituation des lieux & l'emplacement des villes, & que, combinant enfuite ces matériaux avec les éclairciffemens qu'il pouvoit tirer des voyageurs & des écrivains de fon temps, il avoit formé un corps complet de Géographie, dans lequel i difcutoit les bafes des nouvelles cartes qu'il conftruifoit.

Il n'existe plus, & depuis long-temps, aucun écrit de Marin de Tyr; ils ne font connus aujourd'hui que par que par la critique que Prolémée en a faite. On voit qu'il reproche à Marin d'avoir fouvent laiffé de l'obfcurité dans fes difcufions; d'avoir mal combiné quelques diftances, & fur-tout de n'avoir pas mis affez d'ordre dans fes defcriptions. On croit s'appercevoir, en effet, que Marin de Tyr a fuivi une méthode à-peu-près femblable à celle de Strabon. Au lieu de rapprocher les indications de longitude & de latitude des lieux, il n'a parlé des longitudes que dans le chapitre où il a traité des intervalles horaires, ou de la diftance des méridiens. Il n'a fait mention des latitudes que dans un chapitre féparé, deftiné à indiquer les parallèles & à fixer leur éloignement de l'équateur. Il falloit donc pour connoître la pofition d'une ville, feuilleter une grande partie de l'ouvrage, au rifque de fe tromper fur le réfultat des difcuffions qu'il préfenteroit.

Ce reproche eft fondé; & fi la méthode de Marin, en traitant de la Géographie Aftronomique, ne s'oppofoit pas au progrès de la science, il eft du moins évident qu'elle en gênoit la marche par les difficultés dont elle l'environnoit.

En lifant, avec une attention foutenue, les prolégomènes de Ptolémée, on parvient à y retrouver toutes les bases de la carte que Marin de Tyr avoit construite, il y a plus de dixfept cents ans. C'est de la réunion combinée de toutes ces bafes que le citoyen Gosselin a formé une carte, que l'on trouve dans les mémoires de l'Académie des Belles-Lettres.

Il est probable que Marin de Tyr ignoroit la méthode des projections inventée par Hipparque, pour repréfenter fur une furface plane, la fphéricité du globe, puifqu'en fe plaignant de la défectuofité des projections plattes, il en a adopté une qui, fans être celle de Strabon, préfentoit cependant des inconvéniens auffi graves que ceux qu'il cherchoit à éviter. En traçant fes méridiens & fes parallèles en lignes droites, Marin de Tyr ne pouvoit pas ignorer que la forme des continens fe trouveroit altérée dans fa carte, à mesure que les contrées s'éloigneroient du parallèle où les bafes de fa graduation feroient établies; il pouvoit arbitrairement faire porter ces erreurs fur telle latitude qu'il jugeoit à propos, & facrifier à l'exactitude qu'il vouloit donner à la position de certaines contrées, celles dont il lui paroiffoit le moins important de déterminer l'étendue; comme la Méditerranée, les parties de l'Europe, celles de l'Afrique & de l'Afie, qui s'écartent peu du trente-fixième degré de latitude, étoient les plus connues & les plus fréquentées par les Grecs & par les Romains, il penfa, fans doute, qu'il importoit à l'utilité de fes cartes, que la graduation du parallèle de Rhodes fût conforme aux distances que l'on disoit avoir été mefurées, ou, pour mieux dire, aux distances que l'opinion avoit accréditées.

Marin de Tyr établit donc les bafes de fa graduation, en longitude, fur le parallèle de Rhodes, en y réduisant le degré comparé à celui du grand cercle de la terre, dans la proportion de quatre-vingt-treize à cent quinze. Alors les méridiens fe trouvoient plus rap

prochés

prochées entre eux fur la carte, que ne l'étoient les parallèles. Cette méthode eût été bonne pour décrire une zône qui fe feroit peu écartée du trente-fixième degré de latitude. Mais, comme Marin l'employoit dans une largeur de quatre-vingt-fept degrés, on conçoit qu'il n'a fait que changer la place où les erreurs fe commettoient dans les projections plattes, & que la fcience n'y a rien gagné du côté de l'exactitude.

Quelques mots donneront une idée du fyftême de Marin de Tyr, confidéré fous les rapports aftronomiques.

La longueur de la Méditerranée, prise depuis le détroit jufqu'à Issus, est de 62 degrés dans la carte de Marin, tandis que d'après les obfervations modernes, l'intervalle, entre ces deux points, n'est que de 41°, 30'.

La distance, depuis le cap Sacrum jufqu'au promontoire Comaria, dans l'Inde, est donnée par Marin, pour être de 119°, 15', quoiqu'elle ne foit que de 85°,35'.

L'intervalle, entre le cap Sacrum & l'embouchure orientale du Gange, y eft fixé à 168°, 10', quoiqu'il ne foit que de 99°, 23′, 48".

La longitude de Thina y eft indiquée à 225°, 40', quoique cette ville, la même que Tanaserim, ne foit pas à plus de 106°, 27′ du cap Sacrum.

Il résulte que, d'après les obfervations & la manière dé compter des modernes, Marin de Tyr s'eft trompé de plus de 410 lieues fur la Méditerranée; de plus de 800 en ligne droite, fur la distance de l'Efpagne au Gange; de près de 3000 lieues, ou du tiers de la circonférence du globe, fur la distance de Thina; & que tous les points intermédiaires de fa carte auroient fubi une altération proportionnelle dans leurs pofitions.

Aucun monument géographique ne présente une masse d'erreurs fi énorme; &, en les comparant à celles qu'Eratofthènes avoit commifes, dans un temps où les Grecs commençoient à peine à cultiver les sciences, on feroit forcé de croire, qu'à l'epoque où Marin de Tyr écrivoit, l'ouvrage d'Eratosthènes & les anciens matériaux qu'il avoit employés, étoient entièrement perdus.

Cependant, la Géographie d'Eratofthènes eft citée par des auteurs qui vivoient plus de mille ans après Marin de Tyr; & l'on ne peut fe perfuader que ce Livre élémentaire ait échappé aux recherches d'un homme que Ptolémée nous dit avoir lu & extrait les auteurs qui l'avoient précédé. Il est donc de la plus grande vraisemblance que Marin a connu & confulté l'ouvrage d'Eratofthènes; qu'il y avoit vu la prodigieufe différence qui existoit entre les opinions de cet ecrivain, & celles qu'il vouloit leur fubftituer. Pourquoi les avoit-il rejetées? fur quelles bafes établiffoit-il fon nouveau fyftême? & quelles font les autorités qui l'ont entraîné? C'est ce que le citoyen Goffelin a expliqué dans un mémoire fort étendu, dont on ne donne ici qu'un court extrait.

Marin de Tyr n'étoit point astronome; il étoit au-deffus de fes forces d'appliquer avec fuccès le résultat des obfervations à la conftruction des cartes. D'ailleurs, il exiftoit alors peu d'obfervateurs ; &, de l'aveu de Ptolémée, on n'avoit encore que des approximations très-incertaines pour déterminer les diftances dans le fens des longitudes. Les recherches, les travaux d'Hipparque, l'obfervation d'un petit nombre d'éclipfes de lune, ont pu Geographie ancienne. Tome III.

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