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Agreable Indifcret, qui conduit par le chant,

Paffe de bouche en bouche, & s'accroift en marchant. 185 La liberté Françoise en ses Vers se déploye,

Cet Enfant de plaifir veut naistre dans la joye.
Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.

REMARQUES.

Marche parmi le peuple aux danses aux feftins,
Et raconte aux carfours les geftes des mutins.

Paflons à l'endroit du fecond Livre, que j'ai annoncé.
Chantant en nos feftins, ainfi les vau-de-Vire
Qui fentent le bon temps nous font encore rire, &c.
Le temps qui tout polit depuis rendit polies
grace & la douceur de ces chanfons jolies,

La

Avec un plus doux air les branles accordant

Et la douce Mufique aux nerfs accommodant: &c.

Il ajoute un peu plus bas, en parlant de la France:
Et nous a ramené de la Lyre cornué

(Qui fut auparavant aux noftres inconnue)

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* Henri III.

Les chants & les accords, qui vous ont contenté:
Sire, en oyant fi bien un David rechanté
De Baif& Courville. O que peut une Lyre
Mariant à la voix le fon & le bien dire.
JEAN Antoine de Baif, dont il
eft parlé dans ces Vers peut
être regardé comme le Père de
la Poëfie Chantante en France. Il
avoit établi une efpèce d'Acadé-
mie de Mufique, dont les Con-
certs êtoient entremêlés de
Chant. Baif, quoique Poëte
fort dur, s'efforça d'affervir nos
Vers à la Mufique. Il fit beau-
coup d'Ouvrages pour être chan-
tés, entre autres quelques Imi
rations des Pfeaumes. Plufieurs
autres Poëtes travaillèrent pour
fon Académie. On pourroit in-
ferer de quelques endroits de
Ronfard, qu'on effaïa de mettre
en chant toutes les différentes
fortes de Poeftes Françoifes, &

La Frejnaie Vauquelin fait enten-
dre en plus d'un lieu, qu'on ne
compofoit les Odes que pour être
chantées. C'êtoit fe conformer à
ce qu'elles avoient êté dans leur
origine. Elles fe chantoient chés
les Grecs, & leur nom fignifie
Chanfon. Pour nous depuis long
tems nous avons trouvé le fe-
cret de faire fous le même nom,
des Chanfons, qui non feulement
ne fe chantent point, mais qui
ne peuvent pas même fe chanter.

VERS 187. & 188. Toutefois n'allez pas, &c. Faire Dieu le fu jet d'un badinage affreux.] Je ne fai pourquoi la Gent Poëtique a dans tous les tems eu quelque chose à démêler avec le Ciel,

A la fin tous ces jeux, que l'atheïsme éleve, 190 Conduisent triftement le Plaisant à la Greve.

Il faut mefme en chanfons du bon fens & de l'art.
Mais pourtant on a veu le vin & le hazard

REMARQUES.

1

La Frefnaie-Vauquelin s'en plaint, Art Poëtique, Livre III.
maint Poëte ayant à gorge pleine

Beu de l'onde facrée à la docte Newvaine,
Fera mille beaux vers: Mais fouvent orgueilleus
Il melera des traits mutins & perilleux :
Et fouvent contre Dieu fuperbe il outrepasse,
Par folle opinion les loix du faint Parnase.

VERS 189. & 190. ces jeux,
que l'atheisme éleve Conduisent
triflement le plaisant à la Greve,]
ELEVER dans le figuré, fignifie
quelquefois bâtir, & quelque-
fois lower. C'eft apparemment
dans ce dernier fens, que nôtre
Auteur l'emploie. Mais l'autre
fe préfente d'abord, & j'ai vu
des gens d'efprit, qui l'enten-
doient ainfi dans ce Vers, parce
que, quand élever doit fignifier
Lower, nos bons Ecrivains ont
coutume de mettre toujours dans
la phrafe quelque mot, qui le
détermine à ce fens. On a dans
cet endroit un exemple de ce
que la contrainte de la Rime fait
faire quelquefois, malgré qu'on
en ait. C'est au refte une forte
de défectuofité fi rare chés nô-
tre Auteur, qu'il faudroit être
de bien mauvaise humeur, pour
ne la lui pas pardonner.

Les deux Vers, qui donnent occafion à cette Remarque, ont trait à la trifte fin de Petit, Auteur du Paris Ridicule, Poëme d'un Burlefque très-ingénieux, & fort fupérieur à la Rome Ri dicule de Saint-Amant, dont il eft une imitation. Petit fut dé

couvert aflés fingulièrement pour l'Auteur de quelques Chanfons impies & libertines, qui couroient dans Paris. Un jour qu'il êtoit hors de chés lui, le vent enleva de deffus une table placée fous la fenètre de fa chambre quelques carrés de papiers, qui tombèrent dans la rue. Un Prêtre, qui paffoit par là, les ramaffe, & voïant que c'êtoit des Vers impies, il va fur le champ les remettre entre les mains du Procureur du Roi. Au moien des mesures, qui furent prifes, Petit fut arrêté dans le moment qu'il rentroit & l'on trouva dans fes papiers les brouillons des Chanfons, qui couroient alors. Malgré tout ce que purent faire des perfonnes du premier rang, que fa jeuneffe intereffoit pour lui, il fur condamné à être pendu & brûlé. Ce Poëte, très-bien fait de fa perfonne, êtoit fils d'un Tailleur de Paris, & très en êtat de fø faire un grand nom par un meilleur ufage de fes talens. Je tiens ce détail de quelqu'un, qui l'avoit connu, lui & fa famille.

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Infpirer quelquefois une Muse groffiere,
Et fournir fans genie un couplet à Liniere.

VERS 194.

REMARQUES.

un couplet & Liniere, 1 Ce Poëte furnommé de fon tems, l'Athée de Senlis, réuffiffoit aflés bien à faire des Couplets fatiriques; mais fon principal talent êtoit pour les Chanfons impies, ce qui fit que

M. Defpréaux lui dit un jour qu'il n'avoit de l'efprit que contre Dieu. Linière aïant exercé fon talent contre nôtre Auteur, celui-ci répondit par ce Couplet dont le cinquiéme Vers n'eft pas fort brillant.

Liniere apporte de Senlis
Tous les mois trois Couplets impies.
A quiconque en veut dans Paris
Il en préfente des Copies;

Mais fes Couplets tout pleins d'ennui

Seront brûlex même avant lui.

LINIERE dans fon Portrait, fait fur les fentimens, qu'il avoit par lui-même s'explique ainfi de la Religion.

La lecture a rendu mon efprit affés fort,
Contre toutes les peurs que l'on a de la Mort ;
Et ma Religion n'a rien qui m'embarasse,
Je me ris du fcrupule & je bais la grimace, &c.

Madame Deshoulières
qui pa-
roît avoir êté deftinée à prendre
parti pour les mauvais Poëtes,
a fait auffi le Portrait de Linière,
& s'eft efforcée, autant qu'elle
l'a pu,de le juftifier du reproche
d'irreligion & de libertinage,

quoiqu'il eut entreprit une Cri-
tique abominable du Nouveau
Teftament, qu'elle indique elle-
même. Voici quelques Vers de
ce Portrait, dont le quatriéme ne
donne pas une haute idée de la
Catholicité de fon Auteur.

On le croit indévot, mais, quoique l'on en die,
Je crois que dans le fonds Tirfis n'eft pas impie.
Quoiqu'il raille fouvent des Articles de foi,
Je crois qu'il eft autant Catholique que moi.
Pour fuivre aveuglément les confeils d'Epicure,
Pour croire quelquefois un peu trop la nature,
Pour vouloir fe mêler de porter jugement
Sur tout ce que contient le Nouveau Teftament
On s'égare difément du chemin de la Grace.
Tirfis y reviendra : ce n'est que par grimace
Qu'il dit qu'on ne peut pas aller contre le fort
Il changera d'humeur à l'beure de la mort.

M. Broffette dit, que la prophe. Sat, IX. V. 236. Ep. I.V.40. Ep. tie s'eft trouvés faulle. Voïés II.V.8.Ep.VII.V.89.Ep.X.V.36.

195 Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardez qu'un fot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent l'Auteur altier de quelque chansonnette,
Au mefme inftant prend droit de fe croire Poëte.
Il ne dormira plus qu'il n'ayt fait un fonnet.
200 il met tous les matins fix Impromptus au net.
Encore eft-ce un miracle,
furies,
Les
en vagues
Si bien-toft imprimant fes fottes réveries,
Il ne se fait graver au devant du recueil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteüil.

REMARQUES.

VERS 204.
de Nanteuil.]
Fameux Graveur. DES P.
Robert Nanteuil êtoit né à
Rheims en 1630. Il excella dans
la Peinture, & dans la Gravure.
Un talent particulier & les cir-
conftances le bornèrent au Por-
trait, qu'il peignoit admirable-
ment bien en paftel. On le re-
garde comme le plus parfait de
nos Graveurs. C'êtoit d'ailleurs

un homme de beaucoup d'efprit, d'une converfation charmante, aimant le plaifir, fe fouciant peu de fortune, & faisant agréablement des Vers, qu'il récitoit parfaitement bien. Il mourut à Paris le 18. Decembre 1678. âgé de 48. ans.

Nôtre Poëte avoit deffein de finir ce Chant par ces deux Vers:

Et dans l'Académie, orné d'un nouveau lustré,
Il fournira bientoft un quarantiéme Illustre.

Mais il ne voulut point en faire
ulage dans l'imprefion, pour ne

pas déplaire à Meffieurs de l'A cadémie Françoise.

CHANT IIL

O

CHANT III.

IL n'est point de Serpent, ni de Monftre odieux,
Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux yeux.
D'un pinceau delicat l'artifice agreable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.

REMARQUES.

VERS 1. Il n'est point de Serpent, &c.] Cette Comparaifon eft empruntée d'Ariftote, Ch. IV. de fa Poetique, & Ch. XI. Propof. XXVIII. du Liv. I. de fa Rhétorique. Rien ne fait plus de plaifir à l'Homme, dit-il, que l'imitation. C'eft ce qui fait que nous aimons tant la Peinture, quand même elle répréfente des objets hideux, dont les originaux nous feroient horreur: comme des bêtes venimeufes, des hommes morts, ou mourans & d'autres images

femblables. Plus limitation en eft parfaite ajoute-t-il, plus nous les regardons avec plaifir. Mais ce plaifir ne vient pas de la beauté de l'original, qu'on a imité; il vient de ce que l'Efpric trouve par là moïen de raifon ner & de s'inftruire.

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La Frefnaie Vauquelin dans le I. Livre de fon Art Poetique, avoit fu faire, avant nôtre Au teur,un ufage à peu près femblable du même fonds de Comparaifon & des Idées d'Ariflote que M. Broffette vient d'expofer. C'est un Art d'imiter, un Art de contrefaire Que toute Poëfie, ainfi que de pourtraire, Et l'imitation eft naturelle en nous : Un autre contrefaire il eft facile à tous : Tome II.

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