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derent pas ce

fidérable qu'ils font avec nôtre argent? En effet, outre que l'on perd le profit qu'on au roit pû retirer foi même de cet argent, fi on ne l'eût point prêté; c'eft une chofe fufceptible d'eftimation, & qui mérite bien quelque petite récompenfe, que de donner fon bien pour une fimple obligation, par laquelle on aquiert feulement action perfonnelle contre le Débiteur, c'est-à-dire, un droit beaucoup moins confidérable que celui dont on se deffaiQui ne confi- fit, puis qu'il y a de méchans (1) paieurs, de qui l'on ne (m) tire jamais rien, ou du moins que dit Martial, fans en venir aux voies de la Juftice, ce qui coûte toûjours bien de la peine & des chagrins. D'ailleurs il peut arriver mille accidens qui nous faffent perdre nôtre capital. Quelquefois (1) Voiez Mar- même, pour tâcher de retirer fon argent, on eft obligé de faire la cour à un Débiteur; al, Lib.I. Epigr. & tel n'a fuivi le parti & époufé les intérêts d'une perfonne (n), que parce qu'il étoit fon (n) Voiez Diod. Créancier. C'eft ainfi que (o) Roquelaure, Gentilhomme François, s'étant rangé du côté Sicul. Lib. XIX. de la Ligue, difoit, pour excufer fa rebellion, Qu'il ne fuivoit pas le Duc de Mayenne, Plutarch. in Eu- mais fon argent, & que ce Duc feroit très-méchant paieur, s'il n'avoit toûjours à fes trousses men. pag. 591.C. fes Créanciers.

Lib. II. Epigr.
XIII.

LXXVI.

Cap. XXIV. &

Edit. Wechel.

(0) Gramond.

Ce que nous venons d'établir, n'eft pas fort différent de l'opinion de ceux qui prétenHift.Gall. Lib.V. dent, que le bien de l'Etat veut qu'on ne prête de l'argent à intérêt qu'aux Marchands. Car, dit-on, de cette maniére on entretiendra l'induftrie des pauvres, & l'on obligera à vivre d'économie ceux qui ne feroient pas fcrupule d'emploier à des dépenfes fuperflues l'argent qu'on leur auroit prêté. Pour les riches, comme ils ne veulent pas laiffer leur argent mort dans un coffre, ou ils en trafiqueront, ou ils le mettront à l'intérêt chez des Mar(p) Voiez Ludov. chands; ce qui fera fleurir le commerce, au grand avantage de l'Etat (p).

·Septalius, de ra-
tione ftatus, Lib.
II. Cap. XV.
(9) In Lucam,
Cap. VI, 35.

Réponse aux Objections de ceux qui condamnent abfolument le Prêt à intérêt.

(a) Le paffage de Senéque, de Benefic. Lib. VII. Cap.X.que l'Au

teur citoit plus bas, n'eft qu'une vaine declama

tion.

A l'égard de la quantité des intérêts, Grotius (q) croit, qu'il ne faut pas la mesurer fur le pied du gain que fait l'Emprunteur, mais fur le pied de ce que perd le Prêteur: de même que, dans la Vente & dans les autres fortes de Contracts, on ne doit jamais régler le prix fur l'avantage ou le profit qui en revient à celui qui reçoit, mais fur la diminution du gain on fur la perte de celui qui donne. Or un homme, qui préte de l'argent, perd par là le profit qu'il auroit pû en retirer & qu'il en retire ordinairement, felon fa profeffion & fon genre de vie; bien entendu qu'on déduife de là auparavant ce à quoi peuvent fe monter les rifques & périls, qui font plus grands en certaines chofes, qu'en d'autres. Si par là on entend, que, quand une perfonne, à qui l'on avoit prêté de l'argent, a le bonheur d'en tirer un profit extraordinaire, ou que l'on n'avoit point prévû, on ne fauroit fe plaindre raifonnablement, qu'elle nous faflé aucun tort en le gardant tout pour elle; je foufcris à ces paroles. Mais il n'y a point de doute, qu'on ne puiffe exiger un plus haut intérêt de fes Créanciers à proportion de ce que le trafic, pour lequel ils empruntent nôtre argent, eft lucratif par lui-même.

§. X. IL est aisé de répondre aux (a) Objections de ceux qui condamnent abfolument le Prêt à intérêt. Le Prêt à confomption, difent-ils d'abord, doit être gratuit, puis que le

fortes de profit; l'un, que, l'on peut appeller pofitif,
lors que, par le moien de ce que l'on a emprunte, on
aquiert une chofe que l'on n'aquerroit point autrement :
l'autre negatif, qui confifte, non à gagner ce que l'on
n'a pas, mais à ne pas perdre ce que l'on a deja, ou
même ce que l'on peut avoir dans la fuite, non à des
venir plus riche, mais à s'empêcher d'être plus pauvre. Le
Prêt n'a fort fouvent que ce dernier ufage,& la chofe arri-
ve en plufieurs manieres. Par exemple, un homme doit
une fomme confiderable, dont il ne fauroit fe dechar
ger, & dont il paie l'interêt à fix pour cent. Je lui prê
te cette fomme à quatre pour cent. Ainfi il ne gagne rien
a la verité, mais il épargne actuellement deux pour
cent, qu'il paieroit fans moi à fon premier Créancier.
Un autre a befoin d'argent, &, n'en trouvant point,
eft contraint de vendre a vil prix des marchandifes qu'il
eft für de vendre plus cher quelque tems après. Je lui

Prêt

prête cet argent, dont il ne fauroit fe paffer, & par là je lui épargne ce qu'il alloit perdre fur les marchandises. Dans ces occafions, & autres femblables, il n'y a non plus aucune injuftice à prendre interêt. Car enfin, empêcher de perdre n'eft pas un moins bon office, que d'aider à gagner. D'ailleurs c'eft ici ou l'unique, ou du moins le principal fondement de l'interêt qu'on paie aux Directeurs des Monts de piété, établiffement que tour le monde trouve néanmoins fi utile, & fi commode aux miférables. Il faut remarquer feulement, que, quoi que cette forte d'intérêt foit aufli peu contraire à la Juftice, , que l'autre, il eft d'ordinaire beaucoup plus oppofé à la Charité. Le befoin de celui qui emprunte, eft tel fort fouvent, qu'il oblige ou à prêter fans intérêt, ou à fe contenter de l'intérêt compenfatif; ce qui n'a pas lieu auffi fréquemment dans les Prêts que l'on fait à ceux qui n'empruntent que pour profiter pofitivement.

Prêt à usage eft tel de fa nature. Mais je foûtiens au contraire, que, comme on peut accorder à autrui l'ufage d'une chofe de deux maniéres, ou gratuitement, ou moiennant une certaine rente, d'où il réfulte ou un Contract de Prêt à usage, ou un Contract de Louage: rien n'empêche auffi qu'on ne prête de l'argent ou fans intérêt, ou à intérêt. Que fi l'on s'opiniâtre à vouloir, que tout Prêt, proprement ainfi nommé, foit gratuit; tout ce qu'il y aura, c'eft qu'il faudra donner un autre nom aux Contracts dans lesquels un Créancier ftipule quelque intérêt pour l'argent qu'il donne à un Emprunteur; mais il ne s'enfuivra point de là, que ces fortes de Contracts foient illicites.

faute énorme

C'eft en vain auffi qu'on objecte, que la Monnoie étant de fa nature une chose (1) ftérile, & qui ne fert de rien aux befoins de la vie, comme font, par exemple, les habits, les bâtimens, les bêtes de (b) fomme; on ne doit rien exiger pour l'ufage d'un argent prê- (b) Il y a ici une té. Car quoi qu'une pièce de Monnoie n'en produife pas par elle-même phyfiquement une d'impreffion autre femblable; néanmoins, depuis que l'on a attache à la Monnoie un prix éminent, l'in- dans les derniédustrie humaine rend l'argent très-fertile, puis qu'il fert à aquérir bien des chofes, qui pro- riginal, juramenduisent ou des fruits naturels, ou des fruits civils. C'eft au rang de ces derniers qu'il faut tum, pour jumenmettre les intérêts qu'un Débiteur paie à fon Créancier (2).

res Edit. de l'O

tum.

Ariftote, pour décrier le Prêt à ufure, dit que, par ce Contract, on fait de l'argent monnoié un ufage tout contraire (c) à celui auquel il eft naturellement deftiné, qui eft d'af- (c) Politic. Lib.L. fortir les Echanges, & non pas de fe multiplier, pour ainfi dire, lui-même. Mais l'Em- Cap. X. in fine. prunteur du moins prend l'argent à intérêt pour l'emploier à quelque chofe, où il entre une espece d'Echange. D'ailleurs, la Propriété, par exemple, a été originairement établie, afin que chacun fe fervit immédiatement par lui-même du bien qui lui feroit échû en partage: cependant on peut, fans violer les Loix de la Nature, donner à louage les chofes, qui nous appartiennent, à qui bon nous femble.

Il y a quelque chofe de plus fubtil & de plus fpécieux dans la difficulté tirée de ce qu'en matiére de chofes fufceptibles de fonction ou d'équivalent, & qui fe confument par l'ufage, on ne fauroit diftinguer la Propriété d'avec l'ufage; de forte qu'auffi-tôt que l'on ac-corde à quelcun l'ufage d'une de ces chofes, on lui en transfére par cela même la Propriété, comme d'autre côté en vain en donneroit-on la Propriété, fi l'on n'en permettoit auffi P'ufage. Car, dit-on, de mêine que la fubftance du bled, de la viande, du vin, &c. fe détruit par la confomption qu'on en fait pour les befoins de la vie; ainfi l'argent périt, moralement parlant, pour celui qui le dépenfe, puis qu'il ceffe d'être au nombre de fes biens. Or, ajoûte-t-on, l'ufage ne pouvant point être diftingué ici de la chofe empruntée, il suffit que le Débiteur en rende une pareille de même efpece, & le Créancier n'a aucun droit de rien exiger en récompenfe de l'ufage qu'en fait l'Emprunteur. J'avoue, qu'à proprement

§. X. (1) L'Auteur citoit ici Matthieu XXV, 24. où l'Esclave méchant & pareffeux de la Parabole dit à fon Maitre: Je favois, que vous êtes un homme rude, qui moifSonnez ois vous n'avez point semé, & qui ramaffez du lieu où vous n'avez rien répandu. Mais le fens de ces paroles n'eft pas, qu'il y ait de la dureté à prendre quelque intérêt pour un argent prêté, qui eft une chofe fterile de fa nature: c'est une façon de parier Proverbiale, qui fignifie feulement, exiger des gens plus qu'ils ne peuvent. Voiez là-deffus les Interprêtes. Il auroit mieux valu remarquer, que, dans cette Parabole même, il y a dequoi prouver, que le Prêt à intérêt eft très-innocent. Car enfin, fi c'etoit une chofe criminelle, on ne conçoit pas comment Jefus-Chrift auroit pù mettre dans la bouche du Maître de la Parabole, fous l'emblême duquel il repréfente DIEU lui-même, les paroles fuivantes, (verf. 26, 27.) Méchant & pareffeux Efclave, vous Saviez que je moisonne où je n'ai point femé, & que je ramaffe du lieu où je n'ai rien répandu. Il faloit donc remettre mon argent aux banquiers, afin qu'étant revenu, je reziraffe, avec ufure, ce qui eft à moi.

par

(2) On répond, qu'à la vérité ceux qui empruntent, trouvent le moien de faire valoir l'argent, qu'ils reçoivent, mais que c'eft leur industrie qui le rend fertile entre leurs mains: d'où l'on conclut, qu'ils doivent eux feuls en profiter. Mais, (& j'emprunte encore ici les raifonnemens de Mr. La Placette, Chap. X.) l'industrie n'eft pas la feule caufe du profit, qui revient de l'argent. Comme l'argent, fans l'induftrie, n'apporteroit point de profit; l'induftrie, fans l'argent, n'en produiroit pas davantage. 11 eft donc jufte d'imputer une partie de ce profit à l'argent, & une autre à l'induftric de celui qui le fait valoir. C'eft ce que l'on voit dans quelques Contracts de Louage. Un champ ne rapporte rien, s'il n'eft cultivé. Des outils, qu'on loue à un artifan, ne feront rien non feulement s'il ne s'en fert, mais encore s'il ne fait l'art de s'en fervir. Tout cela pourtant n'empêche pas, qu'on ne puiffe fe faire paier & les fruits de ce champ, & l'ufage de ces outils. Pourquoi donc ne feroit-il pas permis d'en ufer de même à l'égard de l'argent & des autres chofes femblables?

(3) Une

De ufufructu ea

vel minuuntur, Leg. I. & II.

(d) Voiez Dis. parler, l'ufufruit des chofes fufceptibles de fonction ou d'équivalent (d) n'est point diftin& Lib. Var. TV: de la confomption de leur fubftance (3). Mais il ne s'enfuit pourtant pas de là, qu'il foit, rum rerum qua illicite de mettre à prix le droit que l'on donne à un homme de confumer une chofe, qu'on ufu confumuntur lui prête à condition de nous en rendre une pareille au bout d'un certain tems; car cette circonftance d'un terme accordé à celui, qui emprunte, eft effentielle au Prêt à confomption. Pendant tout ce tems-la le Débiteur peut acheter de l'argent emprunté, des chofes (c) Voiez, dans qui lui apportent du revenu, ou en tirer du profit de quelque autre maniére (e). Une percon. Lib. II. fonne à qui l'on a prêté des denrées, ou d'autres chofes femblables, néceffaires à la vie, Cap. I. Paction profite auffi en ce que par là on lui épargne la néceffité, où il auroit été, de troquer def neanmoins ne avantageufement, ou de vendre à bas prix fes marchandifes, pour acheter du bled, par s'aquitta pas à la exemple, ou que même il fait valoir plus avantageufement l'argent qu'il y auroit emploié. Pourquoi donc feroit-il difpenfé de nous faire part de ce gain qu'on lui procure (4)?

Ariftote, Oc

de Cypfelus; qui

rigueur de fon

Vœu.

Argument ad ho

minem contre

ceux qui con

ment le Prêt à interêt.

§. XI. CELA eft fi vrai, que ceux-là même, qui condamnent abfolument le Prêt à ufure, ne blament point certains Contracts (1), où il entre quelque chofe d'équivalent. damnent abfolu- Par exemple, Pierre n'aiant pas de l'argent pour acheter une terre, qui l'accoinmode, Jean l'achete, à la prière, & la lui donne enfuite à louage. Perfonne ne trouve là rien que de très-innocent. Suppolons maintenant, qu'au lieu de cela Jean prête l'argent à Pier re, afin qu'il achete lui-même la terre, qui eft à fa bienféance, & qu'au lieu de la rente annuelle qu'il lui auroit donné pour le louage de ce fonds, il lui paie la même valeur pour l'intérêt de la fomme empruntée. Pour moi, je ne vois pas fur quel fondement on prétendroit trouver ici la moindre ombre d'injuftice. Bien loin de là, ce dernier Contract eft. plus avantageux à Pierre, que le premier; puis qu'il lui procure la Propriété du fonds. De même, lors qu'on met fon argent entre les mains d'un honnête homme, qui doit nous. donner une portion raifonnable du profit qu'il fera en trafiquant de cette fomme; tout le monde approuve un tel traité. Mais ne feroit-ce pas au fond la même chofe, fi l'on ftipuloit de celui, chez qui l'on place fon argent, un intérêt fixe & modique, pour le profit incertain qu'il peut en tirer. L'Alcoran défend aux Mahometans de prêter à ufure. Néan-.

(3) Une fomme d'argent, (dit encore Mr. La Placet-
te) que l'on prête à un homme, pour la mettre dans le
commerce, ne fe confume pas davantage par là, qu'une
pareille fomme, que l'on niet entre les mains d'un fim-
ple Commis, pour l'emploier à un femblable ufage, ou
qu'une autre fomme que l'on confie à un Affocié, à qui
on en donne la direction. Ce Débiteur, ce Commis, cet
Affocié, s'en defont de la même maniére, & dans les
mêmes intentions. On avoue, que le Commettant, &
celui qui met fon argent entre les mains de fon Affocié,
demeurent toûjours les maîtres de cet argent, & qu'il
fubfifte toûjours dans l'équivalent. Pourquoi la même
chofe n'auroit-elle pas lieu à l'égard du Créancier, & de
l'argent prêté? On ne préte point a la perfonne, (dit très-
bien Mr. de Beauval, Hift. des Ouvr. des Sav. Octobre
1691. p. 66.) c'eft aux biens. On compte fur le pouvoir de
rendre, & non point fur l'industrie de l'emprunteur, ni fur
fa bonne foi. C'est le reproche que Martial (Lib. XII. Epigr.
XXV.) met dans la bouche d'un Ami: Tu ne te confies
point à la fidélité de nôtre ancienne amitié: tu prêtes à
mes arbres & à mes héritages, & non pas à moi.

Quod mihi non credis veters, Thelefine, fodali,
Credis colliculis arboribufque meis.

(4) L'Auteur citoit ici quelques paffages, & faifoit
quelques remarques, qui feront mieux placées dans une
Note. Caton difoit, (De Re Ruftica, au commencement)
que les anciens Romains condaranoient un Voleur à rendre le
double, & un Ufurier à rendre le quadruple. Il foûtenoit
encore, que l'Ufure eft auffi criminelle que l'Homicide.
(Voiez Cicer. de Offic. Lib. II. à la fin.) Mais il faut en-
tendre cela de l'Ufure exceffive, qui plonge dans la

moins

derniére mifére les Citoiens pauvres, ou peu accommodez, & qui ne fert qu'à fatisfaire une avarice infatiable. Caton lui-même mettoit de l'argent à la groffe aventure: commerce, qu'il exerçoit auili d'une maniére affez vilaine. Voiez Plutarque, dans fa Vie. Ce fut avec raifon que l'Empereur Augufte châtia quelques Chevaliers Romains, qui empruntoient de l'argent, pour le prêter à un plus haut interêt, que celui qu'ils en donnoient. (Sueton. in August. Cap. XXXIX.) Selon Appien d'Alexandrie, (Lib. I. De Bell. Civil. pag. 382. B. Ed. H. Steph.) les anciens Romains, auffi bien que les Grees, déteftoient l'Ufure, comme un trafic qui incommode les pauvres, & qui fournit matière à des procès & à des inimitiez, ὡς καπηλεύειν καὶ βαρὺ τοῖς κίνησι, καὶ δύσερα,

ixera. Les Perfes la regardoient comme une chofe accompagnée de fraude & de menfonge, ὡς ἀπατηλόν τε na pina fuder. lbid. Nous croions auffi, qu'il est indigne d'un Chrétien de prendre quelque intérêt des petites fommes que l'on prête à des gens qui fe trouvent dans la néceffité; car alors le Prêt doit tenir lieu d'aumône. Voiez Ecclefiaftique, XXIX, 1, 2. Pfeaum. XV. Et on ne peut que louer extremement la manière dont les anciens Grecs avoient accoûtumé de foulager la mifére de leurs amis, en fe cotifant pour faire une fomme, qu'ils leur prêtoient fans interêt; ce qui s'appelloit ex

. Voież là-deffus le docte Commentaire d'Ifaac Cafaubon fur le Chap. XVI. des Caracteres de Theophrafte.

§. XI. (1) Il faut ajoûter à ceux, dont il eft parlé ici, le Contract des trois Contracts; fur quoi on peut voir le Chap. XIV. du Traité de l'Intérêt de Mr. La Placette.

(z) Voicz

rius, Itin. Perfic.

XII.

moins en Mauritanie on permet une forte de Contract, qui en approche beaucoup. Car on y voit tous les jours, que ceux qui empruntent de l'argent pour leur négoce, ou pour. quelque autre ufage d'où ils retirent du profit, donnent la moitié du gain à leur Créancier. Si le capital vient à fe perdre, ils ne font tenus de rendre que ce qu'ils ont reçû. Mais s'ils perdent feulement la moitié du capital, cette moitié fe prend fur le gain qu'ils ont fait de celle qui refte. On ne trouve nulle part rien de blâmable dans l'Antichrefe (2), qui confifte à prêter de l'argent, moiennant un gage dont on retire les fruits; & en Perfe (a), où (a) Voiez Olesle Prêt à intérêt eft défendu, on perinet cette forte de Contract, accompagné même d'une Lib. V. Cap. claufe commiffoire. Pourquoi donc feroit-il illicite, lors qu'on prête fans gages, de ftipuler XXXVI. quelque intérêt, équivalent aux fruits que l'on auroit pû retirer d'un gage, fi on l'eût exigé du Débiteur? Grotius (b) en condamnant le nom d'Intérêt, retient & approuve au fond (b) Lib. II. Cap. la chofe même. Il y a, dit-il, des chofes, qui femblent approcher du Prêt à usure, & qui paffent ordinairement pour s'y rapporter, lesquelles néanmoins font des Conventions d'une autre forte: comme fi un Créancier exige quelque dédommagement de la perte qu'il fouffre pour être long-tems fans ravoir fon argent, ou du gain qu'il auroit pû faire, s'il ne l'eût pas prêté; bien entendu qu'il en déduife auparavant ce à quoi peut fe monter l'incertitude de ses efpérances, (c'est-à-dire, les rifques qu'il auroit couru d'être fruftré ou en tout, ou en partie, du profit dont il fe flattoit,)& la peine qu'il lui auroit fallu prendre pour faire valoir luimême fon argent. Selon le même Auteur, ce n'est pas non plus un véritable Prêt à usure, lors qu'une perfonne qui prête à un grand nombre de gens, & qui tient toûjours de l'argent en caiffe pour cela, exige un dédommagement des dépenses auxquelles cet emploi officieux l'engage; ni lors que prêtant à un homme, qui ne nous donne pas toutes les furetez néceffaires, on prend quelque chofe de lui en compenfation des risques que l'on court de perdre fon capital. Mais la raison principale pourquoi on peut, à mon avis, ftipuler un intérêt modique, non pas d'un pauvre à qui l'on prête, mais d'un Créancier qui doit tirer du profit de nôtre argent, c'est qu'on perd le gain que l'on auroit fait fi l'on eût eû fon argent entre les mains, & que l'on fe deffaifit de fon bien fans recevoir autre chofe à la place qu'un fimple droit, qui nous donne action en Juftice contre le Créancier; outre qu'il eft jufte d'avoir part au profit, qui revient de nôtre argent à une perfonne à qui on n'étoit obligé de le prêter, ni par les Loix de la Juftice, ni par celles de l'Humanité. La queftion fe réduira donc à une difpute de mots. Et qui ne riroit d'entendre dire à certaines gens, qu'ils ne prennent point d'intérêt de l'argent qu'ils prêtent, mais feulement un dédommagement (3) de ce qu'ils perdent par là: D'ailleurs ces fubtilitez fuperftitieufes ne s'accordent pas même avec les maximes de la Jurifprudence Romaine, qui diftingue entre les intérêts que l'on (4) ftipule par avance du Créancier; & le dédommagement qu'on exige enfuite de lui, entr'autres raifons à caufe qu'il eft en demeure de paier au terme limité (5): dédommagement qui répond à la perte que l'on a actuellement foufferte, quelle que ce foit; quoi que, comme il eft difficile de la déterminer au juste, on en régle l'estimation fur le pied des intérêts ordinaires.

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(3) Id quod intereft. Au refte on peut voir fur toute cette matière des Intérêts, confidérée par rapport au langage, & aux décisions du Droit Romain, les favans Traitez de Saumaife, de Ufuris, & de Fænore trapezitico; & celui de Mr. Noodt, Profeffeur en Droit à Leide, où il fut imprimé en 1698. fous le titre, De Ufuris & Fœmore. On trouvera auffi dans le Traité de Mr. la Placette, que j'ai cité tant de fois, dequoi appuyer & mettre dans un plus grand jour tout ce que l'on a dit fur la juftice du Prêt à intérêt; avec la refolution de diverfes TOM. IL

Questions qui ont du rapport à cette matiére.

Or,

(4) Cela paroit clairement par ce qu'ils difent, qu'on
ne peut point demander d'intérêt pour un argent prê-
té, à moins qu'on ne l'aît ftipule dans le Contract; &
que, quand le Débiteur a une fois paié les intérêts, il
ne fauroit plus fe les faire rendre, ni prétendre les ra-
battre fur le capital. Refpondit, pecunia quidem credita
ufuras nifi in ftipulationem deductas, non deberi. Digeft.
Lib. XIX. Tit. V. De Prafcriptis verbis, Leg. XXIV.
Quamvis ufura fanebris pecunia citra vinculum ftipula-
tionis peti non poffint: tamen ex pacti conventione foluta,
neque ut indebita repetuntur, neque in fortem accepto fc-
renda funt. Cod. Lib. IV. Tit. XXXII. De Ufuris.

(s) Vfura enim non propter lucrum petentium, fed prop.
ter moram folventium infliguntur. Dig. Lib. XXII. Tit. I.
De Vfuris, & fructibus &c. Leg. XVII. §. 3.
§. XII.

I

Or, s'il eft permis de fe faire paier le profit ceffant, & le dommage émergent, lors que le Débiteur a manqué de nous fatisfaire au terme; pourquoi ne pourroit-on pas ftipuler par avance un certain profit fixe, en dedommagement de ce que l'on perdra pour n'avoir pas (c) Voiez Bacon. eû cet argent entre les mains, ou du gain qu'on en auroit retiré fi on l'eût fait valoir foi-même, pendant tout le tems dont on convient avec l'Emprunteur, en faveur de qui on n'étoit point tenu de fouffrir cette perte, ni de fe priver de ce gain (c)?

Sermon. fidel.

Cap. XXXIX.

Divers moiens

qu'on a invenla defenfe de prêter à intérêt.

tez, pour éluder

(a) Voicz Franc, Hotomann. Obf Joh. Labard. Hift.

Lib. II. Cap.I. &

Gall. Lib. VI. pag. 393.

b) L'Empereur Alexandre Sévé

re avoit fait, à peu près,un femblable établiffement. Voiez Jul. Capitolinus, Cap.

XXL

§. XII. ENFIN, le Prêt à ufure eft abfolument néceffaire dans l'état où la Société Humaine fe trouve depuis long-tems (1). Il n'y auroit pas affez de gens qui vouluffent prêter gratuitement une auffi grande quantité d'argent que celle qu'on eft obligé tous les jours d'emprunter pour les befoins de la vie, & pour le commerce, tel qu'on le voit établi parmi la plupart des Nations civilifées. Cela eft fi vrai, que l'on a inventé & que l'on tolére par tout divers expédiens qui fervent à éluder la décifion du Droit Canonique au fujet du Prêt à ufure. Il faut mettre en ce rang les rentes (2) conftituées à prix d'argent, ou cette forte de Contract, par lequel on prête de l'argent fur un Immeuble, que le Débiteur nous engage pour le paiement d'une certaine fomme, ou d'une certaine quantité de fruits qu'il doit nous donner tous les ans en confidération de la fomme qu'il a reçue, & cela ou à perpétuité, ou pendant un certain tems, foit limité, ou indéfini & incertain, c'eft-à-dire, pendant la vie du Créancier. De ces rentes les unes peuvent être amorties ou rachetées en rendant l'argent qu'on avoit reçû, les autres non. Quelquefois même, lors que la chofe engagée vient à périr, le Débiteur ne laiffe pas d'être tenu après cela de paier la rente tout comme auparavant, en forte que l'Obligation eft inféparablement attachée à fa perfonne. Or qui ne voit, qu'entre ce Contract, & celui du Prêt à ufure, il n'y a aucune différence dans les termes (a)? Mais les Papes eux-mêmes n'ont-ils pas permis le Prêt à intérêt fous le beau nom de Monts de piété (b)? Les Directeurs de ces fonds prêtent aux pauvres jusqu'à trois Ecus, fans gages, & fans intérêt : mais lors que la fomme, qu'on leur emprunte,

§. XII. (1) Les uns, (dit Mr. La Placette, Chap. I.) ne peuvent fe paffer de prêter; les autres ont befoin qu'on leur prête. I. S'il n'eft pas permis de ftipuler aucun interêt, que deviendront une infinité de perfonnes, qui ont tout leur bien en argent? Elles le confumeront en très-peu d'années; & après cela comment fubfifterontelles? En vain répondroit-on, que ces gens-là doivent apprendre quelque Art, ou quelque Métier, s'appliquer au Commerce, ou à l'Agriculture. Cela eft bien-tôt dit. Mais, de bonne foi, trouve-t-on, qu'il n'y aît pas dans le monde affez de Laboureurs, affez d'Artifans, affez de Marchands? Les terres ne font-elles pas fuffifamment cultivees dans toute l'Europe, à la referve des lieux qui ont été expofez à la fureur de la guerre Bien loin qu'il n'y ait pas affez de Marchands & d'Artifans, n'eft-il pas vifible qu'il y en a trop, puis que ces Profeffions ne peuvent pas faire fubfifter bien des gens, & que le grand nombre de ceux, qui s'y adonnent, les oblige à chercher chaque jour de nouvelles inventions pour nourrir & pour irriter la vanité & l'intemperance. II. Mais (& cette confideration rend les Prêts à intérêt plus néceffaires) que deviendroient tant de miferables, qui ne fubfiftent que par le moien de ce qu'ils empruntent? Que deviendroient les Marchands, parmi lesquels il y en a un fi grand nombre, dont le commerce ne roule que fur des fonds qu'on leur a prêtez ? Que deviendroient tant de Bourgeois & de Laboureurs, qui de tems en tems fe trouvent furpris d'un befoin preflant de cent chofes, qu'ils ne fauroient avoir que par cette voie? Trouveront-ils toûjours à point nommé des gens qui leur prêtent gratuitement ce qui leur eft néceffaire Cela fe pourroit, fi tous les hommes étoient charitables. Mais y en aiant fi peu qui le foient, &, parmi ceux qui le font, y en aiant fi peu qui foient en etat de prêter, au lieu qu'une infinitè de gens out befoin qu'on leur

ion

prête; il eft clair, que cette reffource n'a aucune proportion avec leurs néceffitez. Et l'on peut dire, que ce que les perfonnes charitables peuvent & doivent prêter gratuitement, n'eft pas la centième partie, peut-être pas la milliéme de ce qu'une infinité de gens ont inceffamment befoin d'emprunter. Ainfi il n'importe guéres moins au Genre Humain, qu'il foit quelquefois permis de prêter à intérêt, que de refferrer cette permiffion dans de certaines bornes, au delà defquelles on ne doive jamais aller. Voiez la Note fuivante.

(2) Elles font autorifées dans la Novelle CLXI. de Juftinien; & dans les Extravagantes de Martin V. en 1424. & de Calixte III. en 1454. Le Prêt à ufure eft même formellement dans la Novelle LXXXIH. de Leon fur le pied de quatre pour cent, à l'exemple, dit cet Empereur, des anciens Législateurs, qui l'avoient ainsi réglé. Statuimus, ut aris alieni ufus ad ufuras procedat idque quomodo veteribus Legislatoribus placuit, ad trientes centefima nempe, qua quotannis in fingulos folidos fingulas fœneratoribus filiquas pariunt. La raifon qu'il allegue pour juftifier cette permiffion, fe réduit à ce que l'on vient de voir dans la Note précédente. Car, dit-il, mon Pére aiant défendu le Prêt à ufure, on a reconnu par l'expérience, que cela étoit préjudiciable à l'Etat, parce que ceux qui ont de l'argent, n'en veulent point prêter à ceux qui en ont befoin: de forte, ajoûte-t-il, qu'une telle Loi eft au deffus de la portée de la Nature humaine. Propter paupertatem res illa non in melius (quem tamen finem Legiflator propofuerat) fed contra in pejus vertit. Qui enim ante ufurarum fpe ad mutuandam pecuniam prompti fuerant, poft latam Legem, quod nihil lucri ex mutua percipere poffint, in eos, qui pecuniis indigent, diffici les atque immites funt. ...propterea quod humana Natura ad illius [Legis] fublimitatem non perveniat, egregium illud prafcriptum abrogamus. (3) C'cft

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