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ductions de tous genres et brillant plutôt par la valeur de leurs collaborateurs que par l'homogénéité de leur rédaction. Avec les exigences d'un format volumineux, d'une publication fréquente, d'un public habitué à trouver régulièrement dans chaque livraison des articles qui sont de véritables ouvrages, l'unité dans la rédaction devient presque impossible. Cette difficulté diminue en restreignant l'espace, en faisant une part relativement plus grande à l'appréciation et à la critique.

On comprend dès lors que nous ne cherchons à faire concurrence à personne.

Nous croyons qu'il y a dans le grand atelier de la publicité une petite place à prendre, et nous essayons de l'occuper.

L'Angleterre, qui a fondé les Magazines, a su créer des revues de critique modèles.

En 1704, Daniel de Foë imagina de publier des livraisons où il appréciait, avec son esprit vif et impartial, la marche des intelligences et les productions des écrivains. Sept ans plus tard, Steele commença le Spectateur, où il fit avec Addison la plus charmante critique de la société anglaise, et au bout de quelques semaines le Spectateur compta douze mille abonnés.

Enfin, au commencement même du siècle, quand Jeffrey, Hornam, er lord Brougham et Sidney Smith créèrent la Revue d'Édimbourg, ils donnèrent le plus remarquable exemple de ce que peut faire la réunion de forces collectives, d'intelligences convaincues tendant vers un but unique. Le public apprécia vite les avantages de cette unité: il ne se plaignit point le jour où, par les hasards d'une semblable rédaction, lord Brougham se trouva chargé d'écrire à lui seul un numéro entier de la nouvelle Revue. Dès la troisième livraison, la Revue d'Édimbourg eut vingt-cinq mille abonnés, et elle acquit une influence considérable et utile sur la marche de la littérature anglaise.

Nous savons très-bien qu'en France il est difficile d'obtenir une pareille situation, et qu'il est partout plus difficile encore de réunir de pareils collaborateurs; mais dans l'échelle littéraire il existe des rangs différents. Si les monopoles littéraires n'appartiennent qu'à des esprits d'élite, le droit de juger, d'apprécier les productions contemporaines, appartient à tous. Ce droit, c'est le droit de la critique.

A l'œuvre donc, sans plus de préambule.

LES REVUES.

Dans sa livraison du 1er décembre, la Revue des Deux-Mondes qui, par droit d'ancienneté, par l'ampleur de son format, et surtout par l'éclat de sa rédaction, doit passer la première dans cette chronique, — ab Jove principium, - continue la publication d'Études sur l'Angleterre et la vie anglaise, par Alph. Esquiros. Quoiqu'on oublie vite en France, on se souvient encore de ce charmant esprit trop longtemps éloigné de notre littérature, et l'œuvre importante qu'il publie dans la Revue des Deux-Mondes le montre plus sérieux, plus pratique, mais toujours délicat et fin. Il étudie, dans cette livraison, l'organisation que les volontaires anglais reçurent au commencement du siècle, en 1799, trois cent mille étaient enrégimentés et coûtaient au budget 350,000 livres sterling, et celle qu'ils viennent de recevoir en 1860. C'est une armée de soldats à la fois disciplinés et libres, formant une sorte d'assurance contre les invasions, et garantissant à jamais, selon M. Esquiros, l'indépendance du territoire britannique. Au besoin, cinq cent cinquante mille volontaires seraient sous les armes ; mais pour le moment ils paradent dans des revues spirituellement décrites, et n'ont d'autre ennemi que le dandysme, qui commence déjà à créer des rivalités et des luttes d'uniformes et de pompons dans ces légions citoyennes.

La Revue des Deux-Mondes publie un fragment de voyage en Amérique, extrait des papiers de M. de Tocqueville. Là, cet esprit d'élite, qui a été trop tôt enlevé aux lettres, montre les plus merveilleuses qualités d'écrivain. Étant en Amérique, il voulut voir des Indiens, des pionniers, une forêt vierge, tous les décors et les personnages des drames de Cooper, et ce sont ses impressions de voyage qu'il raconte. Le désert lui apparut tel qu'il s'offrit il y a six mille ans à nos premiers pères : une solitude fleurie, délicieuse, embaumée, magnifique demeure, palais vivant bâti pour l'homme, mais où le maître n'avait pas encore pénétré. Cette seule citation ne peut indiquer quelle âme poétique, quel peintre habile, se cachaient sous l'enveloppe grave et sérieuse du penseur et de l'économiste, et jusqu'où il s'élève dans ce trop court fragment d'une œuvre qui sera bientôt publiée par l'éditeur Michel Lévy.

- A côté de M. de Tocqueville, M. Cucheval-Clarigny, parlant d'une élection présidentielle aux États-Unis, paraît un peu lourd et perd beaucoup à un voisinage qui serait d'ailleurs dangereux pour tout le monde; mais il décrit d'une façon complète et avec des détails curieux la

situation des partis dans l'Union, et ces luttes électorales derrière lesquelles se cache l'unique question de l'esclavage.

M. Lavedant étudie l'agriculture dans les Flandres, cette Lombardie du Nord, qui compte cent soixante-six mille agriculteurs, et qui est une des richesses de la France et de la Belgique; les Flandres ont une terre féconde, un capital d'exploitation plus considérable que partout ailleurs, créé par la démocratie rurale des petits propriétaires, et une race de cultivateurs qui réalise le type des gentlemen farmers, plus rare en Angleterre et plus fréquent en France qu'on ne le croit communément.

- Le Correspondant (livraison du 25 novembre) contient deux articles sur l'Unité de l'Italie et sur la Politique française à Rome sous la république, qui renferment l'expression modérée des plaintes d'un parti, et racontent, en citant plusieurs documents peu connus, la révolution romaine de 1848. M. l'abbé L. Lecœur étudie le mouvement qui s'accomplit dans la nationalité bulgare, et tend à séparer de la communion grecque cette race noble et digne de toutes les sympathies de l'Europe, qui campe sous le joug turc entre la mer Noire, le Balkan et le Danube. Cette aspiration vers l'unité, au point de vue de la reconstitution des nationalités européennes, a une importance trop peu sentie peut-être. Dans la même livraison, M. de Pontmartin analyse le théâtre d'Octave Feuillet, qui, selon lui, a grand tort de déflorer ses petits chefsd'œuvre en les rhabillant pour la scène, et de recommencer l'éternelle et fastidieuse apologie de la Dame aux camélias. Il y a dans cet article des considérations excellentes et des pages d'une critique douce, polie, élevée. Nous n'en dirons pas autant de l'article intitulé La vallée de Chamouny, par X. Marmier, notes de voyage un peu pâles sur un thème bien rebattu; mais nous devons signaler comme document économique plein d'actualité les Études de M. F. Passy sur l'Abolition des octrois en Belgique, et les recherches de M. de Circourt sur la Littérature populaire en Espagne. L'auteur passe en revue les travaux d'un Allemand, M. Wolff, et de M. Manuel Mila sur les romanceros espagnols, et les recherches d'un jeune littérateur catalan, M. Pifarros, sur l'histoire de la Péninsule.

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-Dans la Revue britannique, M. Antoine de Latour analyse également les Poésies anacréontiques de don José Gonzalez de Tejada, — fine raillerie des mœurs modernes, piquante parodie de la vieille forme classique. La même livraison contient différentes traductions des revues anglaises qui, sans avoir un grand attrait de nouveauté, ont les qualités ordinaires et précieuses de la littérature d'outre-Manche recherches consciencieuses, aperçus pratiques, conclusions justes et logiques. Sous ce titre, les

Stoïciens, les Oxford Essays analysent la philosophie de Zénon, de Marc-Aurèle, de Sénèque. Le stoïcisme puisait sa grandeur dans la double croyance au monothéisme et à l'âme immortelle; mais, en même temps, son défaut est une disposition au fatalisme et une propension littéraire et morale à l'emphase, à l'égoïsme, à l'exagération. En Angleterre, les puritains étaient des stoïciens et les cavaliers des épicuriens: en France, Caton et Thraséas furent les modèles des Girondins. Un extrait des voyages du capitaine Burton à la recherche des sources du Nil, fait connaitre le dernier état de la science sur cette grande énigme géographique. Un extrait d'un roman anglais : Il n'est jamais trop tard, nous paraît le morceau capital de cette livraison. Cette œuvre a un grand charme et une haute valeur: c'est une peinture saisissante des abus que peut offrir le régime des prisons. Il y a dans ce fragment des pages déchirantes, des tableaux d'intérieur faits avec ce sens pratique et vrai qui donne un si grand charme à Dickens et à ses imitateurs.

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Dans sa livraison du 10 décembre, la Revue nationale, qui continue dans une proportion plus large, en y mêlant d'autres matières, la voie déjà tracée par le Magasin de librairie, publie un article de M. Chéruel, sur le projet qu'aurait eu Mazarin en 1646 de faire roi de Naples un prince de Savoie et d'étendre la France jusqu'aux Alpes, curieuse étude à laquelle l'histoire d'hier donne un nouvel intérêt. M. Armand Rivière fait connaître, par de très-remarquables citations, Guido Cavalcanti, l'ami de Dante, qui a eu pour Béatrice une jeune fille de Toulouse. M. A. Mézière passe en revue les nouveaux critiques de Shakespeare et les derniers travaux de l'érudition allemande, qui généralise tous les types créés par la fantaisie du poëte et en fait la personnification de telle race ou de tel caractère: Gervinus qui fait de Shakespeare un écrivain politique plein de profondeur, Visher qui le considère comme le chantre du panthéisme, et cet anonyme qui vient de publier un gros volume pour prouver que sous le masque de Jago Shakespeare a peint l'Italie, dans Macbeth la race. celtique, dans Hamlet la race teutonique, etc. La Revue des Deux-Mondes avait déjà donné un article sur cette matière, mais M. Mézière l'a envisagée d'une façon nouvelle et intéressante. Il indique bien comment Shakespeare, avec le sens pratique des Anglais, sut s'enrichir par le théâtre, et tout poëte qu'il était, acquérir un revenu de près de quarante mille francs de notre monnaie.

Terminons en citant un article signé E. Yung, sur la Liberté industrielle et la liberté politique. L'auteur, au sujet d'un très-remarquable livre de M. le conseiller Renouard, pose nettement les principes du

libre échange et les théories protectionistes, en y mêlant toutefois des plaisanteries un peu lourdes.

La Revue germanique paraîtra désormais deux fois par mois. Voici le sommaire des articles publiés dans la dernière livraison :

Une aventure de la vieillesse de Jean-Paul, par Me la baronne Aloise de Carlowitz. - Une jeune fille de Mayence, nommée Maria Lux, entretient avec J. P. Richter, qu'elle n'a jamais vu et qui vit retiré à Bayreuth, une de ces correspondances exaltées dont certaines imaginations allemandes possèdent le secret. Le vieux poëte paraît s'amuser de cette platonique ardeur. Mais le jeu finit d'une manière tragique. Maria, désespérée d'être traitée en enfant, se jette dans le Rhin. — Jean-Paul est-il bien innocent de cette mort? et le ton paternel qu'il affecte ne cache-t-il pas une pointe de coquetterie? Cette histoire est lugubre; mais on y trouve de curieux enseignements sur ce qu'on pourrait appeler la pathologie de la sentimentalité germanique.

Contes et apologues indiens. - Le Pantschatantra, par M. A. Dozon. -M. Théodore Benfey, professeur de langue sanskrite à Gættingue, vient de publier une traduction avec commentaires du Pantschatantra, recueil de fables indiennes. C'est à ce remarquable travail que nous initie M. Aug. Dozon. Ce qui surprendra le lecteur étranger à ces hautes études, c'est que la sagesse orientale (M. Benfey le prouve) s'est plus d'une fois inspirée de la pensée occidentale ou ésopique. La civilisation, comme l'Océan, a donc aussi son mouvement de flux et de reflux? W. A. Mozart, par M. Johannès Weber. Analyse intéressante des quatre volumes publiés à Leipzig de 1856 à 1859, par M. Otto Jahn. Un des grands mérites du biographe allemand est d'avoir retrouvé la correspondance de Mozart, à partir de l'année 1777. Ainsi sont réfutées victorieusement mille calomnies accréditées sur la mémoire de l'illustre compositeur. Certaines gens aiment à dénigrer les hommes dont ils sont contraints de subir la supériorité. C'est une petite consolation que M. Otto Jahn vient d'enlever à la médiocrité jalouse et à la niaiserie des oisifs.

Dieu dans l'histoire, ou le Progrès de la croyance en un ordre moral dans l'univers, par M. Ch. Dollfus. - Profession de foi panthéiste, à propos d'un gros livre théologique de M. Bunsen. Quelle est la valeur des doctrines de M. Charles Dollfus, c'est ce que nous dirons ailleurs. Ici nous rédigeons un procès-verbal. Quelle que soit notre opinion sur le fond des choses, nous savons gré à l'auteur de l'article de sa franchise et de sa hardiesse. Tout le monde convient d'ailleurs qu'en philosophie, comme dans les sciences en général, la liberté illimitée des systèmes est le seul moyen de préparer le triomphe du vrai.

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