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Philofophes & les Grammairiens au fujet des figures, en décidant combien on en devoit compter de claffes, & combien d'efpéces chaque claffe devoit renfermer. Scaliger, dans fa Poëtique, fe vante d'avoir fçu le premier ranger les figures dans leur claffe, ce que jufqu'à lui, dit-il, on n'avoit pu faire, faute de l'efprit philofophique. La grande découverte de Scaliger confifte à fai re cette réflexion fur les figures: Ou elles difent le plus comme l'hyperbole, ou le moins comme la litote, ou le contraire comme l'anti,, pbrafe, ou une feule chofe en plufieurs façons » comme la péripbrafe, &c. Suivant cette divifion qui ne paroît pas demander un fi grand effort de Philofophie, il range en différentes claffes tou tes les figures.

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Quand fon travail termineroit la difpute dont a parlé Quintilien, l'utilité n'en feroit pas grande, Que nous importe de nommer toutes les efpéces de figures, & de leur régler des claffes? Cherchons feulement leur origine & leur utilité.

(a) Ariftote croit trouver leur origine dans cette inclination qui nous porte à admirer tout ce qui eft étranger. Les mots figurés n'ayant plus leur fignification naturelle, nous plaifent, & ce qu'il croit, par leur déguisement, & nous les admirons à caufe de leur apparence étrangere.

Prefque tous les Rhéteurs définiffent les tropes & les figures, des façons de parler éloignées des fafons fimples & communes. M. Rollin répéte après Quintilien qu'elles doivent leur origine à l'indigence des mots propres, & qu'elles ont contribué à l'ornement du difcours, de même que les habits qu'on n'a cherchés d'abord, que par la néceffité de fe couvrir, ont enfuite fervi de parure; & il ajoute que l'ingénieufe adreffe qui fait

(a) Rhee, 1, 3.

cher

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chercher au loin des expreffions étrangeres à la place des naturelles qui font fous la main, eft la cause du plaifir que nous fait le ftile figuré (a).

Mais pourquoi nous fervons-nous prefque malgré nous de termes figurés en tant d'occafions où les termes naturels ne nous manquent pas?, Ces expreffions, une maison trifte, une campagne riante, le froid d'un difcours, le feu des yeux, &c. font à tout moment dans la bouche de ceux qui cherchent le moins les métaphores, & y font plutôt que les expreffions naturelles.

Ce n'eft pas non plus la hardieffe d'aller chercher au loin des expreffions étrangeres, que nous admirons, puifqu'elles ceffent de plaire fitôt qu'el les paroiffent cherchées au loin. Nous donnons le nom de nuée à cet amas de traits que deux ar. mées lançoient autrefois l'une contre l'autre ; & cet amas qui obfcurciffoit l'air, présente naturellement l'image d'une nuée, mais l'appeller avec Brebeuf,

Un nuage homicide, & des meurtres volans,

c'eft une hardieffe qui, quoiqu'ingénieuse, déplaît, de même que celle du Marini lorsqu'il appelle le Roffignol,

Son volant, voix en plume, & plume harmo nieufe :

ou quand il nomme la Rofe

L'œil du Printems,la fleur des fleurs les plus cheries, Prunelle de l'amour, & pourpre des prairies.

Nous condamnons les images que l'efprit va cher

(a) Dela maniere d'étudier les Belles-Lettres,

ehercher bien loin, & que la nature ne préfen.

te pas.

Le fentiment d'Ariftote fur les figures a plus de vraisemblance, puifque certains mots doivent quelquefois toute leur grace à l'air étranger fous lequel on les déguise; & même cet air étranger en fait recevoir qui n'oferoient fe préfenter fous leur air véritable. Ce mot, entrailles, que dans fa fignification propre ne veut point recevoir le ftile noble, où, quoiqu'on dife percer le cœur, percer le fein, on ne dit point percer les entrailles = ce mot employé par Corneille dans le ftile figuré plaît,

Où Rome par fes mains déchiroit fes entrailles:

& il exprime la tendreffe paternelle dans ces Vers que Théfée adreffe à fon fils:

Je t'aimois, & je fens que malgré ton offenfe
Mes entrailles pour toi fe troublent par avance.

Je ne puis croire cependant ni avec Ariftote que les figures foient des expreffions déguifées pour plaire par leur déguisement, ni avec Quin tilien & M. Rollin, qu'elles foient des expreffions que l'indigence des mots propres a fait emprunter, lorique je fais réflexion que nous parlons fans le vouloir un langage figuré toutes les fois que nous fommes animés par une violente paffion. C'eft alors que les mots étrangers se préfentent d'eux-mêmes fr naturellement, qu'il feroit même impoffible de les rejetter, & de ne parler qu'en mots fimples. Pour s'en convaincre, il ne faut qu'écouter une difpute entre des femmes de la plus vile condition; on ne les foupçonnera pas d'aller chercher bien loin les expreffions; cependant quelle abondance de figures elles prodi

guent

guent la métonimie, l'hyperbate, la catacbréfe, l'by perbole, & tous ces autres tours de phrase, qui ne font, malgré les noms pompeux que leur donnent les Rhéteurs, que des façons de parler très-com

munes.

Le langage figuré n'eft donc que le langage or dinaire de la nature dans les circonftances où nous le devons parler: elle ne nous l'infpire pas tou jours, parce que nous n'en avons pas toujours befoin. Dans une converfation tranquille, où il ne s'agit que de faire entendre ce que nous penfons, les mots fimples nous fuffifent; mais quand il eft de notre intérêt de perfuader aux autres ce que nous penfons, & de faire fur eux une impreffion pareille à celle dont nous fommes frappés, la nature nous dicte le langage qui y eft propre. Elle eft attentive à nous fournir tous les fecours qui nous font néceffaires: & de même que pour la confervation de notre corps, elle nous fait faire dans les dangers de promts mou vemens que la réflexion n'avoit pas le tems de nous apprendre, elle fournit à notre âme un fecours convenable à nos befoins, en nous infpirant un langage propre à perfuader ceux à qui nous parlons, parce qu'il leur plaît: & il leur plait, parce qu'il les remue, & réveille en eux les paf fions dont il préfente la peinture; ils ont en me me tems le plaifir de juger de la vérité des pein. tures: ainfi l'origine du ftile figuré eft dans la nature, & l'imitation est la fource du plaifir qu'il nous caufe.

Ce langage eft commun à toutes les nations, parce que les paffions font communes à tous les hommes: mais comme elles ne font pas par-tout également fortes; que leur vivacité dépend de l'âge, du tempérament, & du climat, le ftile fi guré n'eft pas non plus le même par tout. La nature uniforme dans le fond des chofes, varie

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dans

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dans l'exécution: en Orient, où elle eft, pour ainfi dire, dans toute fa chaleur, le stile eft plus abondant en figures, & les figures y font plus harEdies; de-là vient que certaines images peuvent plaire à certains peuples, & déplaire à d'autres. L'ufage des figures n'eft pas égal par-tout, quoique le ftile figuré foit par-tout en ufage.

Les Philofophes mêmes font forcés d'y avoir recours, pour nous attacher à la lecture de leurs écrits, dans la crainte que les vérités les plus intéreffantes ne deviennent ennuyeufes dans un fti. le trop fimple. Je ne parle pas de Platon, qui eft Poëte autant que Philofophe, & qui a toujours eu la paffion des Vers: je parle d'un Philofophe plein de mépris pour les Vers, du fameux enne mi de l'imagination, qui cependant pour plaire à la nôtre s'abandonne fouvent à la fienne. Le P. Mallebranche, pour nous élever à fon fyftême des Idées, met en ufage tous les agrémens du ftile; & pour nous rendre probable fon fyftême fur la Grace, il nous l'expofe fous tant d'images, qu'il paroît plus fouvent Poëte qne Théologien. Lorfque même il veut nous expliquer les mouvemens intérieurs du fang dans le trouble des paffions, il développe ce fecret de la nature avec autant de Poëfie que de Phyfique. Je n'en citerai que cet exemple.

Il arrive quelquefois que la pâleur d'un homme. qui vient de recevoir un coup mortel, excite la compaffion dans le cœur même de fon meurtrier, ce que l'Auteur de la nature a établi pour le bien des hommes. Cette compaffion naturelle est bien exprimée dans ces Vers de Virgile.

At verò, ut vultum vidit morientis & ora,
Oramodis Anchifiades pallentia miris,

Ingemuit, miferans graviter, dextramque tetendit.

C'eft

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