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L'élégance suppose l'exactitude

la justelle & la pureté , c'est-à-dire , la fidélité la plus févere aux regles de la langue , au fens de la pensée , aux loix de l'usage & du goût , accord d'où résulte la correction du style ; mais tout cela contribue à l'élégance & n'y fuffic pas. Elle exige encore une liberté noble , un air facile & natu: rel, qui , sans nuire à la correction , en déguise l'étude & la gêne. Le style de Despreaux eft corre& ; celui de Racine & de Quinaut est élégant. « L'élégance confifte ( dit l'Auteur des Sye » nonymes François ) dans un tour de pensée » noble & poli, rendu par des expressions chânyg tiées , coulantes & gracieuses à l'oreille ». Difons mieux : c'est la réunion de toutes les

graces du style , & c'est par - là qu'un ouvrage relu sans ceffe eft sans cesse nouveau. Mais les graces du style dépendent fur - tout de ses mouvemens , & nous n'en sommes pas encore là. Suivons le fil de nos idées.

La langueur & la mollesse du style sont les écueils voisins de l'élégance , & parmi ceux qui la recherchent il en est peu qui les évitent : pour donner de l'aisance à l'expression ils la

rendent lâche & diffuse ; leur style est poli - mais efféminé. La premiere cause de cette foiblefle est dans la maniere de concevoir & de

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fentir. Tout ce qu'on peut exiger de l'élégana ce, c'est de ne pas énerver le sentiment ou la pensée ; mais on ne doit pas s'attendre qu'elle donne de la chaleur ou de la force à ce qui

n'en a pas.

La vérité, le naturel, la décence du style, sont des qualités relatives & qui font partie de l'imitation.

La vérité consiste à faire parler chacun fon langage ; le naturel , à dire ou à faire dire ce

i qui semble avoir dû se présenter d'abord fans étude & sans réflexion ; la décence, à dire les choses comme il convient & à celui qui parle & à ceux qui l'écoutent.

Le point essentiel & difficile est de concie lier l'élégance avec le naturel , la vérité avec le décence. L'élégance suppose le choix de l'expression; or le moyen de choisir quand l'expreffion naturelle est unique ? le moyen d'accorder cette vérité, ce naturel , avec toutes les convenances des meurs, de l'usage & du goût; avec ces idées factices de bienséance & de noblesse , qui varient d'un fiecle à l'autre & qui font loi dans tous les temps? comment faire parler naturellement un villageois , un homme du peuple , sans blesser la délicatesse d'un home me poli, cultivé ?

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· C'est là fans doute une des plus grandes difficultés de l'Art , & peu de Poêtes ont fu la vaincre. Toutefois il y en a deux

en a deux moyens : le choix des idées & des chofes, & le talent de placer les mots. Le style n'est le plus souvent bas & commun que par les idées. Dire comme tout le monde ce que tout le monde a pensé , ce n'est pas la peine d'écrire ; vouloir dire des choses communes d'une façon nouvelle & qui n'appartienne qu'à nous, c'est courir le risque d'être précieux , affe&é , peu naturel ; dire des choses que nous avons tous confufément dans Pame ; mais que personne encore n'a pris soin

n’a de démêler , d'exprimer ; de placer à propos : les dire dans les termes les plus simples , & en apparence les moins recherchés, c'est le moyen d'être à la fois naturel & ingénieux. Le fage est ménager du temps & des paroles. Qui ne l'eût pas dit comme Lafontaine ? qui n'eût pas dit comme lui , Qu'un ami véritable est une douce chose ? Qu'il cherche nos besoins au fond de notre cæuf ? ou plutôt qui l'eût dit avec cette vérité fi touchante ?

Le moyen le plus sûr d'avoir un style à soi, ce seroit de s'exprimer comme la Nature &

le

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te Poête que je viens de citer en est la preuve & l'exemple ; mais fi le vrai seul eft aimable, il faut avouer qu'il ne l'est pas toujours. Il est donc important de choisir dans la Natute des détails dignes de plaire, & dont l'expression naïve & fimple n'ait rien de grossier ni de bas : par exemple , tout ce qu'on peint des meurs des villageois doit être vrai sans être dégoûtant ,

& il y a moyen de donner à ces détails de la grace & de la noblesse:

Il en est du moral comme du physique ; & fi la Nature est choisie avec goût ; les mots qui doivent l'exprimer seront décents & gracieux comme elle. J'expliquerai mieux ce précepte en parlant du choix de la belle Nature. L'art de placer , d'assortir les mots de les relever l'un par l'autre , de ménager à celui qui manque de clarté , de couleur, de noblesse , le reflet d'un terme plus noble , plus lumineux , plus coloré, cet Art, dis-je , ne peut se prescrire : voyez

fe ce que deviennent les instrumens du labourage dans ces mots de Pline l'ancien , gaudente terra vomere laureato triumphali üratro. Je suis bien loin de croire avec le P. Bouhours, y ait de la bassesse dans cette pensée de Ban con , « que l'argent est comme le fumier, qui » ne profite que quand il est répandu. » Si le Tonie I.

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qu'il

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Philosophe y trouvoit quelque chose de vil, ce n'étoit pas le fumier , ce trésor du Laboureur , ce précieux aliment des campagnes. Il faut avouer cependant que ce n'est pas sur les idées philosophiques , mais sur l'opinion populaire , que le Poête doit se régler -; & combien de détails intéressants sont perdus faute de moyens pour

les ennoblir ? Je n'en citerai que deux exemples. Dans tout l'éclat des fêtes qu'on a données pour la convalescence du Roi, y a-t-il rien de fi beau que la Tableau du Peuple de Paris baisant la botre du Courier qui lui rendoit l'espérance , & embrassant, dans l'ivresse de la joie & de fon amour , les jambes mêmes du cheval qui portoit ce Courier defiré? y a-t-il rien de plus touchant que de voir , au milieu des illuminations publiques, l'un de ces enfans , qui , dans le plus vil emploi , jouissent de la confiance des citoyens & la méritent , un Savoyard , François par le caur, partager une chandelle en quatre, & faire ainsi , selon ses moyens , une illumination sur les quatre coins de la sellette , le seul espace qui fût à lui ? La Poésie héroïque ne dira rien de plus digne d'attendrir la postérité ; mais une botte, un cheval de poste, une chandelle, une felette de Savoyard , ne font pas des mots, des détails dignes d'elle: à peine ofera - t-elle les indiquer

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